ÉCOLO, l’ADN et l’OGM.

Pour celleux qui sont venus à l’écologie politique par le biais des luttes anti-nucléaires, et ils sont nombreux depuis une cinquantaine d’années en Belgique, la pilule sera difficile à avaler.
Format cochonnet, la pilule. Voire carrément boules de Noël (d’où l’expression “avoir les boules” ?).
Dans une récente interview au ” Soir” (14/1/2023), Jean-Marc Nollet et Rajae Maouane, l’actuel binôme à la tête d’ECOLO, viennent en effet de benoitement déclarer que le slogan “Nucléaire, non merci” … “ne faisait plus partie de l’ADN” du parti écologiste !
Ils l’ont même répété deux fois, au cas où quelqu’un n’aurait pas bien compris.

J’ai beau être habitué à entendre des conneries venant des bancs du petit orchestre désaccordé de la Vivaldi, j’en suis quand même tombé de ma chaise. Car enfin, s’il y a bien une chose qui peut encore servir de colonne vertébrale au grand corps mou d’ÉCOLO, écartelé, à tous les étages du kamasoutra politique, entre les libéraux Gloubsés et les socialos Diroupoïsés, sans même parler des nationalistes BartDewéverisés, c’est bien la transition radicale vers les énergies renouvelables, et donc la rupture avec ces énergies toxiques que sont le pétrole et le nucléaire.
Au risque sinon de condamner ÉCOLO à n’être plus qu’une sorte de PSC repeint en vert, un petit parti centriste et charnière bouffant aux râteliers de toutes les coalitions, une fois avec le MR, une fois avec les socialos, une fois avec l’Union Saint-Gilloise ou le Zoo d’Anvers.

En ce qui concerne le nucléaire, en particulier, aucun des problèmes qui nourrissaient il y a cinquante ans notre refus des centrales nucléaires n’ont depuis été résolus : ni le stockage à perpète des déchets, ni l’approvisionnement en uranium, ni la concentration monopolistique de la production, ni la sécurité des centrales, ni la mise en danger de la santé des populations, ni les risques futurs pour la planète elle-même.
Bien au contraire.
Depuis 1970, trois accidents majeurs sont venus confirmer nos pires prédictions dans des pays pourtant hautement industrialisés (USA, URSS, Japon).
L’actuelle guerre en Ukraine vient en outre de nous rappeler qu’en cas de conflit armé, la sécurité des centrales dépend du seul bon vouloir des belligérants et des missiles errants – c’est à dire de personne.
Et que dire alors des dangers d’une attaque terroriste !
Il suffirait d’un seul avion de ligne, détourné sur les centrales nucléaires de Doel ou de Tihange, comme ils le furent sur les Tours du World Trade Center, pour transformer la Belgique entière en une invivable friche déserte pendant des dizaines d’années !
Qui oserait jurer que ce scénario est chez nous impossible, dans un pays qui accueille l’état-major de l’OTAN et le cœur de son dispositif militaire?
Répétons le donc, ici et à jamais : “Nucléaire, non merci!“.
Et s’il le faut, recommençons avec de la vaseline et un sourire en wallon : “Nucléaire : neni valét !“.

Qu’est-ce qui peut alors expliquer l’apparent tête-à-queue de la direction d’ÉCOLO ? Elle avancera sans doute trois raisons : la crise de l’énergie provoquée par la Guerre en Ukraine ; la nécessaire diminution des énergies carbonées ; et les rapports de forces internes aux diverses coalitions des sept gouvernements belges.
Les libéraux, en particulier, y ont fait un forcing d’enfer pour prolonger les vieilles centrales nucléaires, en revenant éternellement sur les accords de 2003, qui prévoyaient pourtant explicitement “une sortie progressive du nucléaire” – mais sans calendrier précis.
(Entre parenthèses, le jour on l’on enquêtera sur le “arguments” des électriciens pour “convaincre” nos parlementaires, comme on vient de le faire au niveau européen avec le Quatar, on aura peut-être quelques autres surprises en matières de lobbying).

La lutte contre la centrale de Tihange a été la première grande bataille des écologistes.

Je ne comprend donc pas pourquoi Jean-Marc et Rajae n’ont pas simplement admis une défaite momentanée, un recul circonstancié, en déclarant par exemple : “Le rapport de force gouvernemental et la situation internationale ne nous permettent pas de faire mieux “, en appelant parallèlement “la société civile à renforcer le pôle antinucléaire et à accélérer la mise en place d’alternatives” – pour modifier précisément ce rapport de forces ?
Cela ne mange pas de pain, et au moins, cela n’insultait pas l’avenir. Car de toutes façons, au prochain “accident” nucléaire, ce qui ne saurait malheureusement tarder, les écologistes feront mécaniquement 20 ou 25 %, sans même devoir coller une seule affiche (comme avant cela, la crise de la dioxine avait fait exploser les résultats d’ÉCOLO aux législatives suivantes).
Pour assumer pleinement cet objectif stratégique, il faut toutefois avoir suffisamment de convictions pour renoncer à une coalition si le cœur de son programme n’y est pas au moins représenté. Nollet et Malouane ont fait exactement l’inverse. Ils ont verbalement amendé le cœur de leur programme, le fameux “ADN”, pour continuer à tranquillement gérer “leurs” ministères. Et tant qu’on parle de ça, on ne parle pas des six nouveaux centres fermés pour étrangers que le gouvernement fédéral vient également de budgétiser.

Quand, il y a vingt ou trente ans, ÉCOLO a commencé à remporter ses premières victoires électorales, à rentrer dans des coalitions, à gagner des villes, des ministères et des cabinets, à multiplier ses parlementaire, à professionnaliser ses cadres et à engager des dizaines de permanents, c’est Henri Goldman, si je me souviens bien, qui avait théorisé le risque de générer ainsi sa propre “nomenklatura”, une sorte de “parti dans le parti”, qui allait rapidement poser des problèmes de démocratie interne vis-à-vis des “autres” militants. Vingt ans plus tard, nous sommes je crois en plein dedans.

La majorité des cadres d’ECOLO ont complètement intériorisé les codes et le mode de vie du petit milieu politique dans lequel ils gravitent. Salaires “de député” ou “de ministre”, “à côtés” divers, y compris les jetons de présence dans les intercommunales wallonnes, frais de table, cravates de cabinettards, et langue de bois roulée dans la farine gouvernementale des très élastiques “compromis” à la belge.
Histoire éternellement recommencée d’une bourgeoisie d’Empire, commencée en sandales dans la fumée des lacrymos, terminée en fauteuil en classe “affaires”, avec, en fin de carrière, un salaire à 5 chiffres dans l’une ou l’autre instance internationale ou à la tête agence environnementale (“des noms, des noms !”). Or le résultat de cet “embourgeoisement” est pour moi souvent insupportable. J’en deviens même parfois injuste.
Quand j’entends le vice-premier ministre Gilkinet parler des trains et des navetteurs, sans plus jamais mettre un pied dans wagon, sauf devant un photographe, j’ai juste envie de courir m’acheter un camion diesel.
Or après dix ans de ce régime calorique (et certains y sont depuis plus de trente ans !), l’enjeu n’est plus “comment vais-je défendre au mieux mes idées et mon programme ?“, mais “que dois-je dire et faire pour conserver ma place ” ? Nuance. De taille.
Certes, par élégance morale ou par carrure idéologique, certains y résistent mieux que d’autres. Mais structurellement, tous finissent par être confrontés au problème. C’est le mode d’existence qui, in fine, nourrit l’idéologie.

Revenons à notre “Nucléaire, non merci !”.
Je n’ai pratiquement plus aucun contact avec les cadres d’ECOLO que j’avais côtoyés au moment des “États Généraux de l’Écologie Politique”, où après deux ans de mobilisation commune, j’avais accepté en 1998 d’être “candidat indépendant” sur la liste ÉCOLO du Sénat (…et où j’avais fait 11.000 voix de préférence. On s’en tape furieusement le haricot, je dis juste ça pour faire l’intéressant).
Aujourd’hui, j’échange bien encore parfois quelques mots avec Christos à Bruxelles, ou avec Patrick Dupriez en Wallonie, toujours cordiaux et affectueux, mais politiquement souvent ironiques ou un peu tendus.
Je ne sais donc pas du tout, ni comment l’appareil du parti, ni comment la base des militants, vont réagir en “interne” aux propos de Jean-Marc et de Rajae. Je ne sais même pas si quelqu’un va songer à réagir !
Ce que je crains donc, c’est qu’à force modifier ainsi sans-gêne leurs gênes devant la presse, le vieil ADN originel des écolos (Alternative au Désastre Nucléaire) ne se soit finalement transformé en ersatz d’OGM (Organisation Gouvernementale du Mensonge).

Et je suis bien curieux de savoir ce que Paul Lannoye ou Jacky Morael en auraient pensé.

Claude Semal, le 10 janvier 2023.

En libre écoute, “les petites fissures” et “la fin du monde” ;-).

 

4 Commentaires
  • Isabelle Pauthier
    Publié à 18:20h, 22 janvier

    Bonjour,

    je suis députée bruxelloise Ecolo et mon ADN anti nucléaire n’a pas changé même si la génération Climat souhaite davantage d’ énergie décarbonnée et que l’invasion de l’Ukraine, en faisant s ‘envoler les prix de l’énergie, a forcé le Plan B de l’accord de majorité (Plan A : on sort du nucléaire pour autant que les prix et la sécurité d’approvisonnement soient garantis. Plan B : on prolonge. En l’occurrence les 2 réacteurs les plus récents sur 7). Cette industrie, en plus d’être marginale dans la production belge (au contraire de celle de la France qui pollue ce débat comme d’autres), représente en effet un risque industriel attesté et un coût énorme relatif au démentélement et au traitement des déchets. Cette sortie – parfaitement criticable comme toute prise de position – a été débattue au Bureau politique du lundi suivant et Jean-Marc Nollet avait déjà précisé les choses en radio lundi matin sur RTL.
    Je vois une difficulté dans le fait qu’il y a une troisième condition, implicite, dans l’esprit de beaucoup au gouvernement, c’est qu’on continue à consommer comme on consomme. La population a du mal à remettre en question ses modes de vie. (On est accusés d’être liberticides quand on invite les gens à réfléchir à leur mode de déplacement alors que c’est moins douloureux que d’isoler sa maison). Et deux : le MR plaide non seulement pour la prolongation d ‘autres réacteurs mais également pour le développement du “nouveau nucléaire” qui est comme l’ancien (on ignore ce qu’on fera des déchets).
    Hé oui, soyons sévères mais justes : Gilkinet prend le train même quand il n’y a pas de photographes. Les libéraux ont désinvesti les services publics dont le rail pendant 20 ans, remonter la pente ne se fera pas en une législature, hélas.

    • Semal
      Publié à 08:21h, 23 janvier

      Merci Isabelle pour ton commentaire. J’espère par ailleurs que cette histoire d’ADN se discutera un jour à un congrès d’Ecolo, et pas seulement au BP ou dans la presse.

  • François-Marie Gerard
    Publié à 12:37h, 21 janvier

    Juste pour info : Georges Gilkinet se rend la plupart du temps en train à Bruxelles. Ça dit quelque chose sur la qualité de l’information diffusée ici.

    • Semal
      Publié à 15:49h, 21 janvier

      hahaha. oui, j’ai prévenu, je suis sans doute injuste. Mais je ne sais pas ce que signifie “la plupart du temps”, ni d’où il part. Je sais par contre que notre collègue de plume Anne L., qui pratique quotidiennement la ligne La Louvière-Bruxelles, avec visiblement des tonnes de retards et d’annulations, lui a proposé d’aller à la rencontre des problèmes de navetteurs, et n’a jamais reçu de réponse. Ca raconte quelque chose sur sa façon de “faire de la politique autrement”. Ce qui nous éloigne de toutes façons un peu du nucléaire ;-).

Poster un commentaire