EN AVANT À PLOPSALAND !

Vooruit“, ex-SPa, ex “socialistes flamands”, vient de réélire triomphalement son président Conner Rousseau… au parc d’attractions de Plopsaland.
Une sorte de Disneyland flamand en plus laid (si, si, c’est possible), royaume de la junk food, des sodas diabétiques et de Maya l’abeille, rempli d’affreux vieux gnomes barbus à lunettes, coiffés d’une paire de couilles à clochettes (rien à voir donc avec Marx et Engels).

J’ai désespérément cherché à savoir, dans la presse nationale et sur le site même du parti, sur quel “programme” Conner avait été réélu (la Grande Roue, la Ronde des Canards ou le Train Fantôme ?) (1).
Célébrez notre lutte et amusez-vous avec toute la famille sur les plus de 50 attractions de Plopsaland. L’entrée, normalement à 48 euros, est gratuite pour les membres de Vooruit !“, pouvait-on seulement lire sur la page d’accueil du site du Parti.
En précisant benoitement dans un coin : “On peut se faire membre sur place !“.
Ben voyons… Une carte de membre gratuite dans chaque paquet de Plopsaland !
Ca, c’est du recrutement !

Notez bien, je ne m’intéresse particulièrement ni à Conner, ni à Vooruit, et encore moins à Plopsaland (même si ce seul parc d’attractions pourrait, à mes yeux, justifier la scission de la Belgique).
Mais comme tout le monde, j’ai eu écho du “discours du Premier Mai” de Conner Rousseau, qui avait choisi cette curieuse occasion pour évoquer… la suppression des allocations de chômage après deux ans sans travail !
Une mesure a priori ni très “populaire” ni très “premier mai”.
Mais comme Vooruit a aussi l’ambition de diriger la Belgique, quand son président tire un obus de ce calibre-là, il est normal d’avoir les oreilles qui sifflent, même à Liège, à Charleroi ou à Arlon.
Je me demandais donc comment une “sortie” aussi provocante allait être accueillie au Congrès d’un parti qui, même s’il a changé de nom, revendique toujours des racines populaires et sociales.
D’autant plus qu’une autre figure connue de Vooruit, le ministre Frank Vandenbroucke, pas le cycliste, l’autre, affirmait, presque au même moment, vouloir “remettre les malades de longue durée au travail“.
Eh! bien, on a la réponse : Conner Rousseau a été triomphalement réélu à la tête du parti avec plus de 95% des voix.
Et on comprend peut-être mieux pourquoi le “Parti Socialiste Flamand” avait préalablement changé de nom.
En Flandre, tu as vraiment intérêt à ne pas être à la fois chômeur de longue durée… et malade !

Une laideur très patriarcale : des couilles à clochettes sur la tête

Une chose est sûre : Conner Rousseau est un “grand communiquant” – c’est-à-dire un être sans foi, ni loi, ni principes.
Dans ses discours, il alterne avec brio le lissage brésilien consensuel (de courtes phrases sans vagues, sans couleur et sans odeur) et les petites provocations disruptives (qui feront parler d’elles dans toutes les familles et seront commentées en boucle dans tous les médias – la preuve : même moi, je m’y mets !).
Une façon comme une autre de se placer au centre de la vie politique.
Sa “sortie” sur la suppression des allocations de chômage appartient évidemment à cette seconde catégorie, et il a d’ailleurs aussitôt reçu les félicitations enamourées de Gloubs, du MR et des libéraux flamands.
Idem pour sa sortie, l’été passé, sur la commune de Molenbeek “où il se sent plus chez lui…”, contrairement à la Flandre, où il doit se sentir pleinement “chez lui” avec un parti fasciste et raciste annoncé à 25%…

Sur le site de Vooruit, j’ai fini par retrouver le discours de Conner Rousseau au Congrès (un bel exemple du “lissage brésilien” dont je parlais tout à l’heure).
Un ton très prolo-copain, une chouette “team” où tout le monde s’appelle par son prénom, pour enfiler de courtes phrases positives et creuses qui semblent perpétuellement appeler l’acquiescement, mais qui, à la réflexion, ne veulent strictement rien dire.
Comme cette déclaration d’intention mise en exergue : “Nous avons réformé notre parti. Nous sommes prêts à réformer le pays” (mais pour en faire quoi ?) ou encore “Ni chaos ni stagnation : en avant!” (… car qui voudrait “aller en arrière” ?).
Et l’habituel petit couplet contre “les extrêmes” (comprendre : le PTB et le Vlaams Belang).
Bref, des slogans de publicitaires. Les vertus magiques de la “pensée positive”.
Chez Conner Rousseau, il ne semble jamais y avoir de revendications concrètes : il n’a que des “solutions” aux “problèmes des gens”. Et qui irait refuser une “solution” ?

Écoutez-le soigneusement ne rien vous dire :
Savez-vous quel est l’un des plus grands obstacles pour avancer à nouveau ? Savez-vous pourquoi nous nous arrêtons ?
Non. Dis-le nous, Conner.
Les problèmes ne sont pas nouveaux. Et en fait, nous savons quoi faire“.
Nous sommes suspendus à tes lèvres, Conner.
Oui, Conner, que faut-il faire (bien que nous le sachions déjà).
Pourquoi les politiciens ne parviennent-ils pas à apporter de vraies solutions ?”
Oui, pourquoi ? (Mais de quelles “solutions” parles-tu, Conner ?)
Et la réponse est…
Trop de politiciens, trop de bagarres, trop de petits jeux politiciens“.

Conner Rousseau en 2019

Alors là, c’est la meilleure. Trop de politique !
Pas mal, hein, pour un type pas du tout “politicien”, mais président de parti à 27 ans, et qui s’apprête, sans le dire, à gouverner la Flandre avec la droite et avec la NVa ?
Pour parodier Audiard,… “un communicant, ça ose tout : c’est même à ça qu’on le reconnait”.
Encore une clouchke pour conclure?
La politique est en fait très simple. Si on veut progresser, il faut passer des accords avec les autres et il faut bien travailler ensemble”.
Voilà. C’est très simple. Pourquoi n’y avons-nous pas songé plus tôt ?

Au milieu de ce festival de moulins à vent et d’enfoncement de portes ouvertes, il y a néanmoins deux ou trois idées qui surnagent.
La première, à ma grande surprise – car elle a souvent pris ailleurs et chez nous un caractère péjoratif –, c’est la notion “d’État-Providence”. C’est même la colonne vertébrale de tout son discours (Plopsaland über allës !).
Dans sa bouche, “État-Providence” devient ainsi un étrange mélange entre le Père Noël, le Père Fouettard et le travail forcé – le nouveau ” Catéchisme du Peuple” de Defuisseaux.
Le côté “Père Noël”, ce sont des salaires plus élevés, de meilleurs soins de santé, une meilleure formation, une plus grande sécurité, des repas gratuits dans les écoles… et le tout en payant moins d’impôts (sauf les très riches).
À tous les âges de la vie, l’État “s’occupera de vous”, de votre sécurité, de votre santé, de votre formation, de votre emploi, de vos loisirs, de vos revenus.
Mais “en échange”, il FAUT travailler. Et ne PAS frauder.
Parce que les gens qui travaillent se protègent eux-mêmes et protègent leurs semblables contre la pauvreté. Travailler et contribuer est un acte de civisme dans un État-providence, c’est un devoir civique “. En deux ans, “l’Etat Providence” devra ainsi donner à chaque chômeur une formation qui DOIT déboucher sur un “vrai emploi” – même si c’est un “travail de base” (“bien payé“, on a dit !) dans un club de foot ou un service communal.
Un discours du même tonneau a parallèlement été servi aux malades de longue durée qui, singulièrement depuis le COVID, ont littéralement explosé en Belgique, dépassant à présent nettement le nombre des chômeur·euses (de 41.000 en juin 2018 à… près de 500.000 aujourd’hui !).
Mais au lieu de s’interroger sur les causes de cette marée de burn-out et d’invalidité (pénibilité du travail, augmentation des cadences ou données sociologiques – comme le recul de l’âge de la retraite) il est curieux de n’envisager comme seule médecine… que le retour forcé au turbin !
Vous avez la peste ? Retournez vous faire infecter !
Et sinon quoi ? Sinon, le Père Fouettard.
La suppression des allocations, partielle ou définitive. Pourquoi pas la prison ?

Une “solution” somme toute très “libérale” (affamer les pauvres pour les faire travailler à des boulots de merde), comme d’ailleurs la plupart des autres propositions “économiques” de Vooruit (comme la “libre concurrence du marché” pour “faire baisser les prix“, ha ha ha !).
Autre point mis en avant : Conner Rousseau insiste sur la nécessité de contrer les effets de la misère dans la petite enfance, pour permettre aux enfants d’avoir plus tôt un bon apprentissage de la langue néerlandaise, et pour éviter les conséquences d’une mauvaise alimentation sur la santé. Deux nouveaux milliards seraient consacrés à ce seul secteur. Avec l’idée aussi d’offrir “un repas chaud, sain et gratuit” à tous les enfants dans toutes les écoles de Flandre.
Dans le temps, on appelait ça la soupe populaire.
Mais avoir des parents qui peuvent eux-mêmes te payer à bouffer, ce n’est pas mal non plus.
Quant à savoir ce que deviendront les enfants des chômeurs et des malades de longue durée privés d’allocations, c’est une autre histoire.
On ne peut pas penser à tout dans un discours de congrès.

La colonie Barkentijn à Nieuwport

Comme tous les “grands communicants”, Conner Rousseau est un adepte du “storytelling“.
Ces petites histoires censées illustrer vos propos et, en empathie avec les personnages du récit, vous convaincre de leur bien fondé.
Ainsi, Plopsaland (oui, oui, j’y reviens, c’est même toute l’intro de son discours).
A 19 ans, Conner était moniteur en chef au Barkentijn, une colonie de vacances à caractère social à la mer. Mais le gouvernement flamand avait fait “des économies”, y compris dans ces camps de vacances, et la première chose qu’ils ont supprimée, c’est la visite annuelle à Plopsaland, qui était “le clou du séjour” (sic).
Plutôt me passer sur le corps!” a héroïquement proclamé Conner.
Avec les autres moniteurs, ils se sont battus avec succès pour sauver “la journée Plopsaland”. Et ainsi, à la rentrée du 1er septembre, les enfants “pouvaient dire fièrement à ceux qui avaient été en Italie ou en Espagne qu’ils avaient été à la mer et à Plopsaland. Et j’ai adoré ça !“.
Et Conner de conclure : “Avec les autres moniteurs, nous avons sauvé notre voyage a Plopsaland. Et cela a marché ! Pour moi, c’est le cœur de ce que nous représentons : lutter ensemble pour nous donner plus de chances”.
Ca va ? Vous avez mouillé votre mouchoir en sanglotant d’émotion ?
“Plopsaland über alles” : à chacun sa madeleine de Proust.

A noter que le PTB venait de renouveler sa proposition de construire avec Vooruit des majorités “progressistes” en Flandre au niveau communal (2).
Mais ce n’est visiblement pas la ligne de Conner Rousseau.
Manifiesta (3) ou Plopsaland, pas vraiment le même sens de la fête ni celui des attractions foraines.
Irène Kaufer, qui avait vécu dans son enfance quelques années à Anvers, et qui était parfaite bilingue, nous entretenait parfois de ce qui se passait en Flandre.
Avant que la maladie ne la réduise au silence, elle avait consacré une de ses toutes dernières chroniques à parler de “Conner Rousseau contre le Monstre du Wokisme“.
Avec son humour habituel, elle y relevait quelques unes des contradictions du fringant et toujours jeune président de Vooruit.
Retrouver ici la causticité de sa plume me semble une bonne façon de conclure cette courte chronique consacrée à sa réélection.

Claude Semal, le 9 juin 2023

(1) L’Agence Belga ne parlait dans sa dépêche que de la mésaventure arrivée à une sympathisante de Vooruit, qui avait filé 7000 euros à un escroc… en croyant parler à Conner Rousseau. Un bel exemple du “storytelling” dont je parle par ailleurs. Un congrès de parti, et le journaliste ne dit rien du programme ! Un bel exemple aussi de “deep-faking”, dont nous avait parlé Lucas Racasse (4), ce programme d’intelligence artificielle chinois utilisé par Canteloup sur TF1 pour “emprunter” le vrai visage des hommes politiques dont il imite la voix.
(2) https://www.rtbf.be/article/le-ptb-tend-la-main-a-vooruit-en-vue-des-elections-de-2024-11186982
(3) La grande fête annuelle du PTB, cette année au mois de septembre à Ostende.
(4) Interview de Lucas Racasse INTELLIGENCE ARTIFICIELLE : ANGE OU DÉMON ?

CONNER ROUSSEAU CONTRE “LE MONSTRE DU WOKISME” par Irène KAUFER

Quand il traverse Molenbeek, il “ne se sent pas en Belgique “. Par contre, le fringant président de Vooruit, ex SP‧a, ex-ex-ex parti socialiste flamand, se sent parfaitement dans son pays quand, avant de se coucher, il rigole un bon coup devant la série de la VRT FC Kampioenen, une véritable institution du nord du pays avec ses 21 saisons et 254 épisodes.
Aussi, quand la VRT décide de ne plus diffuser et d’enlever de son site de vieux épisodes puant le racisme, son sang (rouge) ne fait qu’un tour et il y voit la main (fourchue) du wokisme, “aussi intolérant que les extrêmes“, s’indigne-t-il dans le Nieuwsblad (19/08/2022).

Autre époque

Cet été, en rediffusant la saison 13 de la série, la VRT a décidé de “sauter” un épisode bourré de remarques racistes, au comique douteux, où l’on demandait à un personnage noir s’il savait tenir un couteau, s’il connaissait la confiture et où on doutait ouvertement s’il était digne de confiance…
A l’époque, plaidaient les responsables de la télé publique, ce genre de passages faisaient rire, mais plus maintenant (on peut penser que les rieurs de l’époque se marrent toujours, mais que ce qui a changé, c’est qu’on tient davantage compte de ces “autres” que ça ne fait pas rire du tout, ni aujourd’hui ni à l’époque). Depuis, la VRT a supprimé 19 épisodes, y compris de son site, ce qui montre que loin d’être un dérapage unique, il s’agit d’un mal bien plus profond. Si le sexisme ou l’homophobie de certaines plaisanteries sont aussi pointés du doigt, c’est surtout le racisme qui semble bien installé au fil des saisons.
Mais quoi, on ne peut plus rigoler… ? On ne peut plus rien dire… ? Voilà Conner Rousseau parti en guerre contre la “bien-pensance“, non sans “arrière-pensance” : son idée est de draguer les électeurs du Vlaams Belang, par son programme économique social complété par une sorte de “racisme tempéré“, tout en se démarquant des plus extrémistes comme Dries Van Langehove, qu’il n’hésite pas à traiter de “fasciste“.

Ligne rouge flottante

Conner Rousseau, rappelez-vous, c’est celui qui suggérait d’interdire à certaines personnes d’avoir des enfants (Moustique, 13/02/2021). C’est aussi celui qui a gonflé ses muscles pour exiger l’interdiction du festival Frontnacht à Ypres, où devaient se produire des groupes de musique néonazis, menaçant même de quitter la coalition communale si l’événement était autorisé.
Mais cette belle indignation doit être relativisée, puisqu’il a fallu une alerte des services de renseignements pour chatouiller les narines délicates du président de Vooruit, alors que des organisations antifascistes protestaient depuis le mois de mai contre la tenue de l’événement‧
On comprend que Rousseau n’aime pas le “woke“, qui signifie “éveillé“, lui qui a dormi devant le péril durant trois mois. A moins qu’il n’ait simplement attendu que sa ligne rouge, très flottante, soit franchie, lui qui, dans une autre déclaration, a affirmé qu’on a le droit d’être d’extrême-droite, mais pas raciste, antisémite ou homophobe (il a oublié le sexisme, on ne peut pas penser à tout). Autant dire qu’on a le droit d’être un lapin, mais pas avec de longues oreilles.

Irène Kaufer, 21 août 2022

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