21 juin 2023

FORTE, BELLE, “NEVER GIVE UP” * ! par Marie Wiener

Ces derniers mois, j’héberge surtout des hommes, demandeurs d’asile laissés à la rue, parce que la Belgique ne remplit pas l’obligation légale de les héberger.
Durant des années cependant, j’ai plutôt hébergé des “sans papier” qui cherchaient à passer en Angleterre. Nouveau flash back .

Bizou est arrivée chez moi avec deux amies.
Toute mince, comme ces jeunes Est-Africaines peuvent l’être. Grosses lunettes à verres épais.
Chez Médecins du Monde, au Hub humanitaire, on lui a fait raconter son parcours.
Incidemment: “Je suis passée par la Libye. Donc évidemment, j’ai été violée“. (1)
Et on lui remet une ordonnance pour une consultation ophtalmologique.
Nous faisons donc la file au CPAS pour obtenir, sur foi de ce premier document, le deuxième sésame requis: l’AMU, l’Aide Médicale Urgente.
Je connais déjà l’assistante sociale qui nous reçoit: c’est toujours elle…
Pas la plus coulante. Je pense qu’elle se veut “juste” (et qu’elle estime que le budget du CPAS n’est pas extensible). Sa plus grande qualité : …elle ne parle pas l’anglais!
Donc je donne toujours la même consigne à mes amis: “Tu ne comprends que l’anglais, tu ne dis rien – si nécessaire, c’est moi qui te pose les questions“.
Avec l’ordonnance et l’AMU, nous prenons ensuite rendez-vous à St Pierre. Et quelques jours plus tard, nous voici au service d’ophtalmo.
Diagnostic: déchirure de la rétine, avec risque de décollement. “C’est une urgence! Je m’occupe de vous dans 20 minutes“. Retour dans la salle d’attente. Une infirmière vient lui mettre des gouttes pour élargir la pupille.
Bizou: “Si c’est une urgence, peut-être ce serait un bon argument pour obtenir l’asile en UK? Et donc peut-être vaut-il mieux qu’on ne me soigne pas ici, là tout de suite?”
Je n’ai pas eu le temps d’exprimer mon effroi! Elle s’est retrouvée sans pouvoir dire ouf dans le fauteuil, avec la spécialiste qui lui suturait la rétine au laser.

(1) Et S., celle que je ramenais chez moi et qui avait vomi au bord du trottoir parce qu’elle était enceinte : violée elle aussi, en fait?

X X X X X

Retour au présent.
Depuis qu’il est chez moi, Billy a pu consulter un juriste de la Plateforme de BelRefugees, assisté d’un interprète dans sa langue.
Il a eu droit à une radiographie, et à l’accueil bienveillant du personnel d’un grand hôpital universitaire du centre de Bruxelles. Il a été entendu par un avocat qui lui a ouvert un dossier. Et tout ça “FOR FREE?!?”
Il m’explique que quand sa procédure sera achevée, quel que soit son résultat, qu’il obtienne l’asile ou pas: il paiera. Il tient à rembourser ce qu’il doit pour ces services.
J’essaie de lui expliquer qu’avec nos impôts (je ne tente pas de différencier pour lui le fisc proprement dit des cotisations), la Belgique organise quelque chose que nous appelons la sécurité sociale. Je m’avance en essayant de décrire ma propre situation: moi, je paie la médecine, mais pas à 100%. Parce que justement, je paie aussi des impôts (et des cotisations).
Il me croit, parce qu’avec ces “miracles” que j’ai opérés devant lui, pour lui, sûrement je sais de quoi je parle. Mais, en fait non, il ne me croit pas tout à fait.
Car COMMENT cela serait-il possible? Sûrement je cache des choses – ou je les embellis ;-).

Marie Wiener, juin 2023.

Photo du dessus: Diplômée dans son pays, Bizou est arrivée en Angleterre, forte, belle. Never give up ! (Ne jamais abandonner !)