FRANCE : LE CAUCHEMAR IDÉOLOGIQUE (par Hugues Lepaige)

 

Le Cri, Edvard Munch, 1983

C’est une première dans l’histoire de la Ve République. Pour deux raisons : d’abord parce que l’on n’avait jamais vu un ministre de l’intérieur participer à une manifestation de policiers qui s’en prenaient aux institutions, qui plus est devant l’Assemblée nationale. Le 19 mai, Gérald Darmanin était en effet, aux côtés des policiers qui scandaient « Le problème de la police, c’est la justice ! », et cela au moment même où dans l’hémicycle, le Garde des Sceaux défendait son projet de loi sur « la confiance » dans la justice. Darmanin qui était présent avec l’aval explicite du Premier ministre et l’appui au moins implicite du Président de la République soutenait des syndicats de policiers qui s’en prenaient au « laxisme » du gouvernement. De ministre de l’Intérieur, l’homme qui dans la macronie est chargé de concurrencer Marine Le Pen sur son propre terrain s’instituait, une fois de plus, « ministre des policiers ».

L’autre « innovation » de cette manifestation, c’est qu’elle a étrenné un « front national commun » qui en matière de politique sécuritaire va désormais du Rassemblement national au PCF en n’oubliant pas les derniers socialistes. Fabien Roussel, candidat communiste aux présidentielles a désormais pris en charge la thématique sécuritaire au nom de son caractère « populaire ». Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, présent avec Anne Hidalgo, ne pouvait demeurer en reste. Le socialiste n’a pas hésité à demander que « la police ait un droit de regard au moment de l’aménagement des peines » provoquant une violente polémique au sein même de son parti. Jusque-là personne, même pas à l’extrême droite, n’avait formulé aussi catégoriquement cette confusion des pouvoirs. Olivier Faure a plaidé « l’expression malheureuse », mais a tout aussitôt ajouté : « jamais je ne laisserai le monopole de la sécurité à Marine Le Pen ». Pour les verts, Yannick Jadot n’a pas hésité à « conforter » son image de présidentiable en se joignant également à la manifestation, suscitant, lui aussi, quelques remous au sein de sa famille politique. En moins de temps qu’il ne faut pour le dire, toute une classe politique est passée de la compassion pour les policiers assassinés à une complaisance idéologique indéfendable en démocratie.

Désormais, la droite comme la gauche dite « de gouvernement » ont trouvé la surenchère sécuritaire comme seule réponse à l’extrême droite, lui offrant inexorablement la voie du pouvoir suprême (entre autres). Seule La France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon ont sauvé l’honneur en dénonçant ces dérives dramatiques qui conduisent tout droit au retour au pouvoir de la France de Vichy.

C’est le même délabrement idéologique qui règne aujourd’hui dans les élites politiques traditionnelles. Le macronisme n’est qu’un néolibéralisme d’opportunisme qui épouse toutes les courbes de l’opinion pour tenter de consolider ses minces ressources électorales. La droite classique a explosé entre « marcheurs » et alliés potentiels (ou déjà bien réels) du Rassemblement national. Et l’on a vu ce qu’il est advenu d’une gauche déjà condamnée à la défaite, sinon à la disparition par ses errements idéologiques comme par ses irrémédiables divisions. Le travail est à l’œuvre depuis des décennies, mais cette fois il est achevé ou presque : l’extrême droite, avec le concours des partis de gouvernement, a installé son hégémonie culturelle et idéologique.

Observateur attentif de la vie politique française depuis un demi-siècle, jamais je n’aurais cru assister au déroulement d’un tel scénario : la France risque bel et bien d’entrer dans les ténèbres sans que les responsables des partis démocratiques ne semblent le mesurer. Seul un sursaut radical pourrait encore permettre de l’éviter. Mais quelles forces politiques ont-elles encore la capacité et la volonté de livrer bataille ?

publié sur le blog d’Hugues Lepaige  : https://leblognotesdehugueslepaige.be/

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