France : RETRAITES, À LA VIE, À LA MORT !

Succès massif des manifestations et des grèves organisées ce vendredi 19 dans toute la France, par l’ensemble des syndicats, contre le recul de l’âge de la pension. Près de deux millions de manifestant·es dans tout l’hexagone !
Cette manifestation de masse aura une réplique dès ce samedi 21 janvier après-midi, à 14 heures Place de la Bastille à Paris, avec la Marche organisée par diverses organisations de jeunesses, avec le soutien de LFI, contre cette même réforme des retraites du gouvernement Borne/Macron.Bien que 80% des Français, selon tous les sondages, soient eux aussi fermement opposés à cette réforme, il y a deux canards auxquels il faut je crois continuer à tordre le cou.

Le premier, c’est l’argument “comptable” du “déficit des caisses de retraites”.
Témoignant à l’Assemblée Nationale, Pierre-Louis Bras, président du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), structure pourtant rattachée à Matignon, a affirmé lui-même devant la Commission Finances que “les dépenses de retraites sont relativement maîtrisées ; dans la plupart des hypothèses, elles diminuent à terme“.
Et quand bien même il y aurait donc, pendant dix ou quinze ans, un déficit momentané des cotisations, son financement reste avant tout un problème politique.
Les économistes d’OXFAM-France viennent par exemple de calculer que “taxer la fortune des milliardaires français à hauteur d’à peine 2% permettrait de financer le déficit attendu des retraites”.

Le second, c’est l’argument de “bon sens” qui affirmerait que le recul de l’âge de la retraite serait une conséquence “naturelle” de l’augmentation de l’espérance de vie.
C’est confondre là je crois l’effet et la cause : on vit plus longtemps parce qu’on travaille moins qu’autrefois. Car c’est l’allongement et la répétition des travaux pénibles qui usent les corps avant l’heure.
La preuve en est qu’aujourd’hui encore, un ouvrier a six ans d’espérance de vie en moins qu’une profession intellectuelle, et que cet écart peut aller jusqu’à douze ans entre les professions les plus “pénibles” et celles les plus “confortables”.
Vingt-cinq pour cent des plus pauvres meurent ainsi avant 62 ans (!) et près d’un tiers avant 64 ans (!!). C’est à dire qu’ils cotiseront toute leur vie pour une pension qu’ils ne toucheront jamais.
Or si la réforme de Borne passe, c’est 15000 personnes supplémentaires qui se retrouveront ainsi chaque année au cimetière avant même de pouvoir prendre leur retraite.
Mieux vaut en rire avec Michel Audiard : “La retraite, il faut la prendre vivant, ce n’est pas dans les moyens de tout le monde“.

Reculer l’âge de la retraite est d’autant plus absurde qu’à l’autre bout de la vie, la jeunesse piétine pour entrer sur le marché du travail (avec un taux de chômage qui tourne dans cette tranche d’âge autour de 30%). Et que chaque place occupée par “un vieux” ne le sera évidemment pas par “un jeune”.
D’autre part, sans même compter ceux et celles qui sont déjà morts, à 62 ans, près de la moitié des gens ne sont plus sur le marché du travail. Ils sont malades, chômeurs ou allocataires sociaux. Car il ne suffit pas d’être “vivants”. Encore faut-il pouvoir travailler en bonne santé. Vous avez déjà essayé, vous, de trouver un CDI à 58 ans ? Dans la plupart des métiers, on vous rit au nez.
On n’ouvre même pas votre lettre de candidature (sauf évidemment pour des activités bénévoles).
Allonger la durée travail de deux ans aura donc pour effet principal de transférer les allocations de retraites aux caisses de chômage, de maladie ou d’assistance publique. Drôle de façon de “faire des économies”… l’humiliation, la fatigue et la souffrance en plus !

Pour l’écrasante majorité de la population, la question des retraites n’est pas ou plus un problème “comptable”. C’est une question de vie ou de mort. De vie tout court.
J’ai eu la chance, quand j’étais gamin, de voir mes grands-parents tous les mercredis et samedis après-midi. De pouvoir partir avec eux en vacances pendant les congés scolaires. J’ai ainsi reçu de ma grand-mère un inépuisable capital d’amour (et c’est aussi près d’elle que j’ai appris les premiers rudiments de la cuisine). Mon grand-père, lui, m’a fait bénéficier de son immense patience, de sa curiosité universelle et de son goût pour la pédagogie (grâce à lui, je sais toujours dessiner une carte de Belgique à main levée, avec les trois bosses du dragon 😉 ).
Comme beaucoup de pensionnés, il était aussi bénévole dans une association (aux “Naturalistes Belges”) – comme ma mère, Paulette Van Gansen, le fut plus tard au CEPULB (l’université “troisième âge” de l’ULB). Tout cela, notre génération l’aurait éperdu s’ils avaient continué à travailler.

Cela, Macron ne le comprendra jamais, parce que ce n’est pas son sujet.
Son sujet, ce n’est pas la vie. Son sujet, ce n’est pas l’enfance ou la famille. Son sujet, ce n’est pas la vieillesse ou l’humanité.
Son sujet, c’est de faire passer les milliards de la retraite “par répartition” sur le marché libéral des fonds de pensions.
Son sujet, c’est d’allonger toujours plus la durée du travail des salariés, dans la semaine, dans le mois et dans la vie, pour engraisser un peu plus ceux qui le sont déjà.
Son sujet, c’est de continuer à servir les banques et le capital financier qui l’ont porté au pouvoir, quand bien même un seul Français (Bernard Arnaud) est aujourd’hui aussi riche que vingt millions d’autres.
Jusqu’où ira cette folie, au prix même de nos vies ? Oui, la vie ou la mort.
Le visage le plus hideux du capitalisme, maquillé en discussion de salon ou en bavardages de plateau, autour de quelques décimales budgétaires.
Car voilà le choix auquel pourrait se résumer l’actuelle bataille des retraites en France : taxer 45 milliardaires à 2%, ou faire passer 15.000 salariés supplémentaires directement de l’établi ou du bureau au cimetière.
Macron a visiblement fait son choix. La rue (et l’opinion) viennent manifestement d’en faire un autre.

Claude Semal le 21 janvier 2023

3 Commentaires
  • Julie Bougard
    Publié à 09:32h, 23 janvier

    Si si Claude, on lit ce super journal!!! Merci !

  • Christine SMEYSTERS
    Publié à 14:24h, 22 janvier

    Très bien résumé, Claude. Merci de faire ce journal.

    • Semal
      Publié à 09:04h, 23 janvier

      Merci Christine. Quand personne ne réagit à un article, je me demande parfois si quelqu’un·e le lit ;-).

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