France, Wallonie, Europe, Qatar : BAKCHICHS ET BACKLASH SONT SUR UN BATEAU

Triple télescopage dans l’actualité cette semaine. Les deux têtes des parlements wallons et européens viennent d’être décapitées par des histoires de gros sous malsains, au moment où un ancien président de la République Française est jugé en appel pour corruption. Et le Qatar, pays organisateur du Mondial de Foot, a donc bien acheté l’opinion à coups de valises Vuitton remplies de petites coupures. Le fameux “estompement de la norme” semble être devenu la norme elle-même.

Ces trois “affaires” me semblent pourtant de nature très différente.

En Wallonie, c’est “Les Pieds Nickelés sur la Croisette, avec “Le Huissier Chauve et Hilare” en guest-star photogénique.
Une certaine tendance, bien rodée dans les intercommunales et les cabinets, à confondre argent public, argent de poche et billet de Win For Life, et qui semble coller chez nous à l’exercice du pouvoir comme un chien d’aveugle à sa maîtresse.
Mais, pour ce que j’en ai lu dans la presse, de quoi parle-ton ici ?
De chambres d’hôtel à 600 euros, de voyages en avion en “classe affaire”, de notes de restaurant millésimées, ou de l’opportunité de voyager (ou non) dans un pays exotique.
Toutes choses totalement insupportables à entendre quand on ne sait pas comment remplir son frigo ou payer sa facture d’électricité, mais qui me semblent s’inscrire dans “le cercle de la déraison” de l’exercice habituel du pouvoir (il n’y a que De Gaulle qui payait lui-même sa facture d’électricité – c’est du moins ce que raconte la légende).

La Meuse a des reflets d’argent qu’on voit danser le long des terrains de golf (pas très clairs).

Or que cela nous plaise ou non, ces voyages de “représentation” font partie du “job” d’un Président de région, et un Ministre en mission voyage rarement avec le Guide du Routard en poche en logeant dans des B&B.
Les abus dénoncés me semblent camper ici en bordure de la légalité, et devraient être assez faciles à recadrer.
Il suffirait d’énoncer administrativement les pratiques admises, de démocratiser les structures de décision, de fixer les maxima des montants remboursés, et de se donner ensuite les moyens de contrôler tout ça.
Une réforme aussi utile qu’indispensable quand on invite, par ailleurs, la “plèbe vulgaire” à prendre des douches à quatre, à pisser dans le noir pour économiser la lumière, et à ne plus voyager qu’en vélo d’appartement branché sur la batterie de la chaudière éteinte.
Quand à la vraie-fausse démission collective du bureau du Parlement Wallon, qui solde provisoirement cet épisode médiatique, elle s’inscrit parfaitement dans la programmation de “Noël au Théâtre”, sous le titre “La Patate Chaude et le Derrière Qui Pue” (spectacle de guignol).
Car tous les partis représentés au bureau (MR, PS, ECOLO) semblent avoir, sinon profité épisodiquement de ces généreux frais de fonctionnement, du moins fermé les yeux sur leur usage abusif. Je te tiens, tu me tiens par les coucougnettes.

Avec ses casseroles, cet homme est une quincaillerie sur talonnettes.

Avec Nicolas Sarkozy, on change radicalement de filmographie et de catégories pénales.
Ce n’est plus “La Septième Compagnie au Qatar“, mais “Le Parrain “, et peut-être même “Apocalypse Now” (la guerre en Libye).
Sarko se retrouve en effet aujourd’hui devant la Cour d’Appel de Paris pour le procès dit “Bismuth“, le pseudo qu’il s’était choisi pour correspondre clandestinement avec son avocat Thierry Herzog sur une ligne téléphonique supposée “secrète” (mais écoutée consciencieusement par les flics).
La Justice française accuse l’ancien Président de la République d’avoir voulu corrompre un juge dans l’affaire “Woertz-Bettencourt” (du nom du trésorier de l’UMP Eric Woertz et de la milliardaire Liliane Bettencourt) (2). Un mélange sordide de financement illégal de parti politique, d’abus de faiblesse et de corruption de fonctionnaire.
Confondu par ces écoutes téléphoniques (que certains juristes estiment toutefois “illégales”), il a été pour ces faits déjà condamné à trois ans de prison, dont un an ferme (et ce jugement a été confirmé depuis par la Cour de Cassation).
C’est donc sa peau et sa liberté que joue Sarkozy aujourd’hui en Appel, et son ex-chef de cabinet et Ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, dort déjà à l’ombre.

En 2007, Kadhafi campe dans les jardins de l’Élysée. En 2011, la France bombarde la Libye. Étrange parcours.

Mais chez Sarkozy, un procès peut en cacher un autre, et les casseroles volent en escadrille. Cet homme est une quincaillerie sur talonnettes. Car l’affaire “Bismuth“, si vénale et condamnable soit-elle, c’est du Canada Dry par rapport au supposé financement illégal de la campagne électorale de Sarkozy en 2007 par la Lybie.
Qui a pu avoir oublié les spectaculaires tentes chamelières de Kadhafi et de ses amazones dans les jardins de l’Élysée en décembre 2007 ? Étrange image. Et comment expliquer ensuite le bombardement de ce même Kadhafi par l’armée française en 2011 ? Étrange diplomatie.
Médiapart“, qui a mené pendant sept ans l’enquête sur cette affaire, évoque un financement illégal de cette élection à hauteur de 50 millions d’euros (le coût de la campagne sarkoziste étant officiellement fixé à 20 millions !).
Le glaive de la Justice risque toutefois de rencontrer ici le bouclier du secret d’État.
Car comment la France pourrait-elle admettre l’existence de cette pourriture au cœur même de son pouvoir exécutif ?
Ce dossier est suffisamment lourd pour que Rony Brauman, ancien président de Médecin du Monde, ait évoqué une “guerre privée” (!) pour “expliquer” l’intervention militaire de la France en Libye en 2011. Sous de faux prétextes “humanitaires”, le but “réel” de cette opération aurait ainsi été de se débarrasser physiquement de témoins gênants (dont Kadhafi himself). C’est aussi une des hypothèses avancées par Edwy Plenel, le patron de Médiapart. Les morts témoignent en effet rarement devant la justice  (même s’ils votent régulièrement dans certains circonscriptions françaises ) (3) (4).

Troisième volet : le Qatar et l’Europe. Avec l’arrestation de la grecque Eva Kaili, une des vice-présidentes du Parlement Européen, et la découverte par la justice belge de 600.000 euros en petites coupures dans deux appartements bruxellois, on est dans un cas flagrant de corruption “à l’ancienne”. Avant l’invention des comptes numérotés. Elle ne concerne sans doute “directement” qu’une poignée de personnes, même si elle éclabousse l’ensemble de l’institution.
Mais les conséquences politiques de ce “lobbying” pro Qatar sont hallucinantes.
Selon le témoignage documenté de l’eurodéputée insoumise Manon Aubry, sur son blog Médiapart, et que nous reproduisons par ailleurs en libre lecture dans l’Asympto (5), le groupe “S&D” (“socialistes et démocrates”) allié au Parti Populaire Européen, soit les deux principales formations du Parlement Européen, ont fait des pieds et des mains pour transformer un texte condamnant le Qatar… en un communiqué le félicitant pour ses “bonnes pratiques“!
Manon Aubry, qui copréside le Groupe de Gauche (“The Left”), démontre ainsi lumineusement comment la corruption de quelques personnes ciblées, alliée aux votes moutonniers des groupes parlementaires, pouvait gravement handicaper le fonctionnement démocratique de l’Assemblée, et influencer lourdement ses votes et ses décisions.
Or avant d’être un des opérateurs médiatiques du pétro-football, le Qatar est un des épicentres mondiaux des énergies fossiles.
On frémit donc lorsqu’on entend, en France comme en Belgique, les gouvernements déclarer que les questions énergétiques, comme les questions de la transition écologique, doivent être “prioritairement traitées au niveau européen“.
Car si le Qatar s’est montré si proactif et si “généreux” pour gérer son image footballistique, croit-on vraiment qu’il sera moins corrupteur lorsque ses intérêts pétroliers vitaux sont en jeu ? Et est-ce donc vraiment à une telle assemblée, fonctionnant sur de tels principes, que nous devons confier notre avenir et celui de la planète ?
Je n’ai en outre parlé ici que du Qatar.
Mais il y a des dizaines de lobbies, tout aussi puissants et aussi toxiques, qui gravitent actuellement autour du Parlement Européen pour influencer ses choix. Et si tous n’utilisent heureusement pas les mêmes méthodes de corruption, on peut douter que le Qatar soit le seul à les mettre en pratique.

Claude Semal le 16 décembre 2022

(1) https://www.liberation.fr/societe/police-justice/proces-bismuth-les-lumineuses-conversations-de-sarkozy
(2) https://www.mediapart.fr/journal/international/280213/sarkozykadhafi-gueant-perquisitionne (28 février 2013)
(3) Nouvel Obs, 30 mars 2018, interview de Rony Brauman par Sarah Diffalah
(4) https://www.nouvelobs.com/politique/20180328.OBS4297/sarkozy-kadhafi-et-les-valises-de-billets-dans-les-coulisses-de-l-affaire-libyenne.html
(5) LES DÉPUTÉS NE SONT PAS UN CLUB DE FOOT par Manon Aubry.

2 Commentaires
  • Jean Deroubaix
    Publié à 19:16h, 17 décembre

    Il y a un aspect que vous relevez pas, c’est le mode managerial choisi par les députés du Parlement Wallon lorsqu’ils ont engagé un greffier partisan d’une gestion “privée” du personnel de l’institution avec comme mandat implicite de baisser les coûts du personnel, remplacer les règles de fonctionnement d’un organisme public par des méthodes autocratiques. La gestion des immeubles, les choix de voitures de fonction ou privées forment un “ensemble de délégation de pouvoirs” qui permet à ce greffier de lui conférer (à ses yeux) le titre (?) de CEO, rendant épisodiquement un rapport succinct à son Bureau (conseil d’administration) qui se contentait de lui faire confiance tant que les primes du bureau et des autres députés demeuraient substantielles. Voir le bilan de Pascal qui donne un bilan des revenus parlementaires avec les primes défiscalisées entre autres.

    • Semal
      Publié à 10:05h, 20 décembre

      Vous avez raison, je n’ai pas du tout traité de l’aspect “néolibéral” de la gestion du Parlement, dont le personnel semble avoir particulièrement souffert, et qui mériterait sans doute un article en soi. Mais comme vous l’avez remarqué, l’article traitait avant tout de la corruption, ce qui n’est pas vraiment la même chose. Je ne sais par ailleurs pas à quel “Pascal” vous faites allusion, ni dans quelle publication ces chiffres sont cités. Merci pour votre commentaire et bonne journée.

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