Interview d’Anne-Catherine Lacroix RENTRÉE DES ARTISTES : LE GRAND BAZAR

Depuis deux ans, Anne-Catherine Lacroix, permanente à l’Atelier des Droits Sociaux, est peu à peu devenue “la” référence juridique pour escalader la Face Nord du “nouveau statut” des Travailleuses et Travailleurs des Arts. Celle à qui les intermittent·es du spectacle s’adressent quand leur dossier chômage est bloqué depuis six mois, ou quand ils essayent simplement de piger quelque chose à cette nouvelle usine à bosons et à boxon.

 
Alors que les bureaux de paiement (FGTB, CSC, CAPAC) se remettent à peine de deux ans de confinement, de télé travail et de “chômage-corona”, ce qui aura fait exploser leurs charges administratives tout en réduisant leur personnel, la “nouvelle loi” sur le “statut des artistes”, qui s’appliquera dès le 1er octobre, va devoir se mettre en place dans une certaine confusion.
L’ONEM, en particulier, doit complètement réactualiser son “vade mecum” reprenant son interprétation de la loi, et les nouvelles instructions doivent encore être envoyées aux bureaux de paiement. Ce qui n’est pas de la tarte, quand on sait que l’actuel manuel compte près de 160 pages !
Arno va nous manquer pour sourire un chouia de tout ce “French Bazaar”.

Claude : Première rentrée sous le signe de la “réforme” du statut des intermittents du spectacle, qui est passée au forceps cet été. Où en est-ton avec cette loi ? Est-elle déjà d’application, où y a-t-il encore des procédures parlementaires ou administratives en cours ?

Anne-Catherine : La réforme est en deux gros volets, le côté “chômage” et le côté “commission du travail des arts”. Le volet “chômage” a été publié au Moniteur vers le 22 ou 23 août, et il entre en vigueur au premier octobre, dans deux semaines. Ca, c’est sûr. La procédure réglementaire, si l’on peut dire, est terminée.
Le volet “commission”, il n’est pas encore en application. Il va encore y avoir un débat parlementaire, je suppose qu’il y aura après ça des négociations et des ajustements, et selon les textes actuels, cette “commission” devrait être activée au plus tard au premier janvier 2024.

Pour comprendre ce que ce pirate fait ici, il faudra lire la fin de l’interview !

Claude : Qu’est-ce que cela va concrètement changer pour ceux qui ont déjà le “statut” (c’est-à-dire le maintien en “première période” d’indemnisation du chômage) et pour les autres, – c’est-à-dire pour ceux qui doivent encore “entrer” dans le système ?

Anne-Catherine : Pour les premiers, le 1er octobre, ils bénéficieront automatiquement du “nouveau statut” de ce qu’on appelle maintenant les “travailleurs et travailleuses des Arts”. Et ils devront le renouveler dans trente-six mois, c’est-à-dire au 30 septembre 2025, avec les fameux 78 jours de travail (ou 39 s’ils rentrent dans des catégories “d’exception” : s’ils ont dix-huit ans d’ancienneté, ou s’ils ont bénéficié, durant cette période de trente-six mois, d’un congé de maternité ou d’adoption).
Le gros changement, c’est que le renouvellement ne se fera plus annuellement, mais après trente-six mois. Et la règle des “trois cachets” ne sera donc plus d’application. Il y a évidemment d’autres changements très importants, je pense ici par exemple à la rehausse de l’allocation ou aussi à la règle des jours non-indemnisables qui fait beaucoup parler d’elle, mais disons que dans l’immédiat, c’est surtout cela que je dirais. Car dans la réforme, certaines règles n’entreront en vigueur que dans plusieurs mois, et de mon côté, à l’heure actuelle, je fonctionne presque au jour le jour, dans l’attente de réponses et d’instructions.

Claude: Pourtant, pour le moment, les gens qui se réinscrivent dans leur bureau de paiement continuent à remettre ces fameux trois contrats, semble-t-il par “précaution”, et les bureaux de paiement eux-mêmes semblent ne pas savoir ce qu’il convient exactement de faire ? Tu as un avis là-dessus ?

Anne-Catherine : Les organismes de paiement disent, et je peux les comprendre, que tant qu’ils n’ont pas reçu les nouvelles instructions de l’ONEM, ce sont les anciennes qui restent en principe en application. Mais les nouveaux textes parlent clairement “d’un octroi automatique”. Mais bon, moi je ne suis pas l’ONEM, et il n’est pas dit que ces nouvelles instructions soient vraiment disponibles le 30 septembre… On navigue un peu à l’aveugle, malheureusement.

Claude : Mais légalement, comme tu viens de le dire, au 1er octobre, les nouvelles règles devraient être d’application ?

Anne-Catherine : Oui, oui. L’Arrêté, en tous cas, sera d’application.
D’ailleurs de plus en plus d’organismes de paiement commencent, on va dire “officieusement”, à dire dans des mails “il n’y a pas besoin des trois contrats”.
Mais d’autres disent aussi, c’est vrai, “rentrez toujours les trois contrats par précaution”.
Je comprends que les gens soient totalement dans le stress et l’incertitude, je le vois tous les jours, mais je ne peux pas répondre à la place des organismes de paiement. Je ne peux faire “qu’expliquer” ce qui est dit dans l’arrêté, avec effectivement, à des tas d’endroits, des zones d’ombre qui devront être explicitées.
Toutefois, “l’octroi automatique” du nouveau statut est clairement stipulé dans l’arrêté.

Après les pirates et les fleurs, ceci illustre le “n’importe quoi”. Mais bon, c’est un Van Gogh, quand même !

Claude : Et pour les autres ?

Anne-Catherine : Le premier octobre, ils pourront “accéder au statut” en une seule “étape”, s’ils ont 156 jours effectifs de travail sur les 24 mois qui précèdent la demande. Par contre, sur ces 156 jours effectifs, 104 devront être “artistiques” ou “techniques dans le secteur artistique”. Et cela, peu importe qu’ils soient déjà ou pas au chômage. Cela peut donc concerner aussi quelqu’un qui pour l’instant n’a pas droit au chômage mais bénéficie d’une aide du CPAS, ou une personne qui, pour l’instant, n’a droit à aucune aide, ou quelqu’un qui est au chômage depuis très longtemps et se retrouve actuellement indemnisé “au forfait” minimum, etc …

Claude : Quand tu parles de “156 jours effectifs”, ce sont 156 jours “vraiment” sous contrats, ou un “équivalent 156 jours”, en divisant la somme totale gagnée par une “certaine somme” quotidienne de référence ? Pour parler concrètement, si tu as un contrat de cinq jours de tournages sur un film à 500 euros bruts / jour, est-ce que “ça compte” pour cinq jours… ou pour 2.500 euros divisé par ce montant journalier “de référence” ?

Anne-Catherine : Pour l’instant, comme on est dans des mesures “transitoires” pendant plusieurs mois au moins, on demande 156 jours effectifs à savoir des jours réellement travaillés (pas des jours sous la mutuelle, pas le chômage temporaire, etc.).
Et pour les calculer, on garde les règles d’aujourd’hui. Par là, je veux dire qu’on n’applique pas la “généralisation” de la règle du cachet à tous les contrats.
Si tu es payé au cachet, dans un métier artistique, alors oui, c’est vrai, tu peux convertir le brut pour avoir des “équivalent jours” via la règle du cachet.
Si tu as par contre un contrat d’un mois payé “à la durée” comme on dit (avec un salaire horaire ou mensuel par exemple), c’est une autre règle. Bref, les jours ne se calculent pas de la même manière selon le mode de rémunération.
Quand on ne sera plus dans les mesures transitoires, alors, tous les jours se calculeront via la fameuse règle du cachet, peu importe comment tu es rémunéré, du moment que tu es salarié. Un joyeux bordel à expliquer aux gens, ces mesures transitoires, oui, haha !
Et par contre, pour les actuels “statuts”, quand on leur demandera 39 ou 78 jours pour le renouveler dans 36 mois, et bien, là, il faudra que ce soit des jours effectifs aussi MAIS on généralisera la règle du cachet, peu importe comment tu es rémunéré.
Donc, re oui, joyeux bordel à expliquer en vue. Voilà, j’espère que c’est quand même clair, haha !

Claude : Les bureaux de paiements ne semblent pas être totalement sortis du K.O. technique créé par le confinement du COVID, les congés de maladie afférents, les quarantaines, le télétravail, etc… Cela semble particulièrement le cas à la CSC-Bruxelles, dont les bureaux sont maintenant fermés au public depuis plus de deux ans.
J’ai vu que tu étais intervenue assez “frontalement” sur cette question sur les réseaux sociaux ? Comment les bureaux de paiement, qui sont légalement tenus de payer les chômeurs, et qui sont d’ailleurs rétribués pour le faire, peuvent-ils ainsi aussi manifestement se soustraire à leurs obligations ? Cela provoque souvent, au moindre problème administratif, des mois de retard dans le paiement des allocations, et c’est évidemment dramatique et insupportable pour leurs affiliés.

Anne-Catherine : C’est vrai que depuis le COVID, il y a des mois de retard dans le traitement de certains dossiers. J’ai personnellement un dossier à la CAPAC qui a duré presque dix-huit mois. J’en ai un autre à la CSC qui a duré presque quatorze mois. Et il y a eu des soucis aussi à la FGTB, il ne faut pas croire que c’est rose d’un côté, et noir de l’autre.
J’ai réagi un peu frontalement, c’est vrai, à la situation de la CSC-Bruxelles.
Je peux entendre qu’il existe un certain nombre de raisons pour lesquelles un organisme de paiement fonctionne mal, dont probablement un sous-financement structurel du service. Mais quand cela se traduit par plusieurs mois d’absence de revenus pour leurs usagers, il est normal aussi que ceux-là puissent simplement exprimer leur colère, sans qu’on essaye de noyer le poisson . Pour moi, cette manifestation jeudi devant la CSC, c’était avant tout un moment pour que des affiliés et des affiliées s’expriment, point. Il fallait laisser cet espace et ce moment juste pour cela.
Pourquoi d’ailleurs cette situation à Bruxelles, et pas ailleurs en Wallonie ?
Je suis évidemment très inquiète de voir comment, dans ce contexte, va pouvoir s’opérer la réforme du 1er octobre. Car on n’a aucun moyen de contrôle sur le problème des relations ONEM / offices de paiement, et sur les dossiers qui restent bloqués entre les deux.
Je ne peux que constater comme tout le monde le grand bazar, et me montrer solidaire de toutes les personnes qui rament depuis des mois, qu’elles soient d’ailleurs ou non intermittentes du spectacle. Car les dossiers bloqués, c’est valable pour tout le monde.
Et puis, l’associatif n’a pas non plus à être la “petite main” gratuite de services qui dysfonctionnent aussi globalement. Nous avons d’autres choses à faire, d’autres missions à remplir.

Claude : Il faut rappeler que tu travailles à l’Ateliers des Droits Sociaux, qui est un service d’aide juridique, alors que tu es devenue à plein-temps une personne “ressource” pour tous les intermittents du spectacle.
Tu interviens notamment régulièrement sur les réseaux sociaux, tu traites des dizaines de dossiers concrets, mais au départ, si j’ai bien compris, ce n’est pas vraiment ton job. Je trouve ça dingue que ce soit toi qui communiques avec nous à ce sujet, et pas l’ONEM ou les organismes de paiement, alors qu’ils sont en principe payés pour cela !

Anne-Catherine : Je ne sais pas quoi répondre à cette question (rires). Je travaille dans un service d’aide juridique et on traite du droit social, donc aussi du chômage. Cela fait donc partie de mon métier et je suis donc payée pour ça, mais c’est vrai que c’est en train de bouffer tout le reste, et là, je ne peux plus rien faire d’autre. Si je maîtrise bien la règlementation, tant mieux. Si j’explique bien les choses, tant mieux. Mais depuis 2020, je ne m’occupe plus que ce cette matière, et ce que je faisais avant avec d’autres collègues, ce sont mes collègues qui doivent désormais le prendre en charge avec une personne en moins de leur côté.

Ah! Tu voulais des fleurs ! En voilà quelques unes…

Et quand 200 personnes nous appellent cette semaine pour savoir ce qui va se passer le 1er octobre, cela sature complètement toutes les lignes téléphoniques, et plus personne ne peut nous appeler pour un problème de CPAS ou d’allocations familiales, par exemple.
Après, faut pas croire que la charge n’est que chez moi, elle est aussi chez mes collègues dans le service car les dossiers chômage “généraux” ont aussi augmenté, les incapacités de travail, les licenciements, les démissions, les dossiers de chômage temporaire. Bref, pour toute personne qui travaille sur certaines matières comme le travail salarié ou le chômage par exemple, la charge de travail a augmenté
Voilà, c’est un grand nœud, un grand bazar, qu’on essaye de régler au jour le jour. J’espère que cela va se calmer, mais je ne suis pas très optimiste…
Tant que l’ONEM n’aura pas mis à jour ses instructions administratives, je crois que cela va rester très compliqué.
On sait bien qu’en matière de chômage, ces instructions sont nécessaires, puisqu’il y a souvent des zones d’ombre, des situations qui ne sont pas très claires, et donc matière à interprétation.
Pour le moment, l’instruction “statut d’artiste” de l’ONEM, elle fait quand même déjà près de 160 pages ! Je ne suis pas en train de “défendre l’ONEM”, mais quand on leur demande, en quinze jours entre guillemets, bref en peu de temps quand même, de reformuler toutes ces instructions en fonction du nouvel arrêté, c’est pas rien non plus, ça doit être hyper compliqué, en fait !
La seule chose urgente que je puisse faire de mon côté, c’est interpeller le cabinet, lui poser des questions, et attendre les réponses. On est en contact régulier.

Claude : Je te remercie infiniment. Et au nom de tous les intermittents, je crois aussi pouvoir te remercier en général pour ta disponibilité, ton sens de la pédagogie et ton souci de solidarité ;-). C’est quand même utile que nous ayons au moins une interlocutrice à ce sujet (rires)!

Anne-Catherine : Eh! bien, tant mieux ! Mais de mon côté, j’ai une chose à te demander : … ne mets pas une photo de moi comme illustration de l’article. Je vois ma tête en zoom tout le temps, j’en peux plus de la voir ! Mets des fleurs ou des pirates, n’importe quoi !

(rires).

Propos recueillis par Claude Semal le 16 septembre 2022.

NB: Voilà, Anne-Catherine, j’ai illustré ton interview avec des fleurs, un pirate et même n’importe quoi ;-).

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