Interview de Bernard De Vos Dumont : IL FAUT DONNER LA PAROLE AUX JEUNES

Quand je voyais passer un de ses « posts » sur Facebook, je les lisais toujours avec plaisir. Bernard De Vos Dumont, le Délégué Général aux Droits de L’Enfant, ne connait pas la langue de bois, et sa langue n’est jamais dans sa poche.
Sont-ce ses grands ados qui ont contaminé son langage ?
Ce garant des enfants, qui côtoie tous les jours des ministres en costume-cravate, ce presque pensionné, qui a dû empiler des milliers d’heures de réunions, n’a rien perdu de l’enthousiasme juvénile et souriant du chef scout qu’il a peut-être été.
Cet homme de terrain, qui a été éducateur dans un hôpital psychiatrique pour enfants, puis responsable de la logistique à Médecins Sans Frontières, a gardé le sens de l’humain, de l’organisation, du concret et du contact.
Plus, visiblement, sa capacité d’indignation – ce talisman universel contre l’indifférence. Et ce ne sont pas les raisons de s’indigner qui manquent aujourd’hui.

Tenez, les « Go Pass » de dix voyages, distribués gratuitement aux pauvres citoyens confinés, vous vous souvenez ?
Eh ! bien, figurez-vous qu’aux premiers beaux jours, ces imbéciles de citoyens les ont utilisés pour aller sniffer le varech et se mouiller les orteils à Ostende. Comme c’est curieux. La double injonction typique. …Partez ! …Restez !
Avec son cortège de cornichonneries.
Evidemment, embouteillages dans les gares. Le gouvernement en a fait un caca nerveux. Scandale sanitaire ! Pas plus d’un voyageur par fenêtre, inconscients ! Troupeau de moutons débiles ! Même l’excellent Kroll, qu’on a connu mieux inspiré, y a été de son petit crobar méprisant.
Et des centaines de gamins, à qui on avait promis la plage, sont restés en rade sur le quai ou dans leurs homes.
Moi, quand je vois ça dans mon coin, je râle, je grogne, je ricane. Au mieux, je ponds un post grinçant plein d’ironie cinglante. Tremble, De Croo ! Je t’ai dénoncé sur Facebook !
Mais Bernard, lui, va louer un autocar pour emmener cinquante mômes à la mer. Et monter, dans la foulée, un business plan institutionnel, qui permettra à cinq mille gamins de les suivre. Vous voyez le genre d’individu ?
D’ailleurs chère lectrice, cher lecteur, ne détourne pas les yeux d’un air indifférent. C’est une initiative très concrète, à laquelle tu pourras, si tu le veux et le peux, souscrire à la fin de cet article.
En attendant, voici l’interview de Bernard De Vos Dumont.

Bernard : Tu es sûr que cela ne va pas m’apporter les mêmes emmerdes que l’interview que j’ai accordée à « Kairos » ?
Je me suis carrément fait dézinguer !

Claude : On n’a pas vraiment le même profil. Et puis, il faut parler à tout le monde. Rappelle-nous en quelques mots ton rôle de « délégué aux droits de l’enfant » ?

Bernard : Le nom va changer, je crois que cela sera plus clair : « le défenseur des enfants ». C’est un service qui, au niveau institutionnel, garantit la Convention des Droits de l’Enfant, et vérifie si la Belgique respecte bien ses engagements internationaux. Nous avons quatre missions, je te les détaille rapidement :

  • Une mission de récolte et de traitement des plaintes individuelles (plus ou moins 1500 par an). Nous n’avons toutefois pas d’identité juridique. Nous ne donnons pas d’amendes, mais des conseils, et plus rarement, des injonctions.
  • Une mission de promotion de la Convention des droits de l’Enfant.
  • Une mission d’inspection des services et de respect des décrets.
  • Et la quatrième, qui fait un peu la synthèse des trois premières, qui est de « conseiller » les politiques en matière de droits des enfants.

Nous publions notamment un rapport annuel « grand public » dont le dernier numéro peut être téléchargé ci-dessous.
Nous sommes un service non-ministériel, dépendant du gouvernement, mais libre et indépendant. Nous sommes une quinzaine à y travailler.

Claude : Dans mon entourage, je connais trois personnes qui sont mortes du COVID, mais j’en connais quatre qui se sont suicidées. Un comédien, un musicien et deux ados. A-t-on des chiffres précis sur la détresse psychologique de la jeunesse ?

Bernard : Non, si ce n’est que tous les services d’aide sont saturés. La première ligne de santé mentale, gratuite et publique, a tout de suite été submergée, et la seconde, celle où il faut douiller, aussi. Ca déborde de tous les côtés.
Tu sais ce qui me met en rage ? Dès la première conférence de Wilmès, qui a été plus regardée qu’une finale du Mondial avec les Diables Rouges, on s’est dit : ça ne va pas. Il n’y avait pas eu un mot compréhensible adressé aux enfants et aux ados. Or il y a des pays où cela a été différent. En Norvège, par exemple, dès le premier jour, la Première Ministre a fait une conférence de presse spécialement destinée aux enfants.
Après, chez nous, les enfants ont été mieux protégés de la crise sanitaire que les ados et les jeunes adultes, je dirais entre 13 et 25 ans. Eux, c’est vraiment le cœur de cible de la détresse. Pour un ado, deux mois, c’est deux ans. Ils sont en plein bouillonnement hormonal, tout change en eux, ils ont besoin de bouger, de sortir, de voir les copains, et ce qu’ils sont en train de perdre, c’est colossal. Or là, il y a un malheur collectif qui les touche, et rien n’est verbalisé, rien n’est dit, pas un mot. On renvoie leur souffrance au dialogue – payant – avec un psy, mais si les mots sont importants, c’est le chef du gouvernement, le capitaine du navire, qui devrait s’adresser directement à eux. Le comble, c’est qu’ils ont déjà pris des engagements budgétaires qui vont dans le bon sens, mais ils ne communiquent pas là-dessus.

Macron en col roulé sur Tik-Tok

Je connais des adolescents qui se consolent… avec les discours de Macron ! Macron fait une politique de merde, mais c’est un bon communiquant, il a mis un pull à col roulé, et il s’adresse aux jeunes sur leurs propres réseaux sociaux, Tik-Tok, Instagram, avec des mots qu’ils peuvent comprendre. Au gouvernement fédéral, on a une équipe de jeunes qui ne sait pas communiquer avec les jeunes, c’est une catastrophe.
Ceci dit, ce n’est pas qu’un problème de communication ou d’information, mais aussi de participation.
Je fréquente des tas de groupes, parfois passionnants, qui « parlent » des jeunes, mais les jeunes ne sont pas là. Ce sont des hommes « blancs » de 40, 50, 60 ans, dont je fais partie. Peu de femmes, pas de « diversité », et pas de jeunes.
Or à dix-huit ou vingt ans, parfois beaucoup plus jeune, tu as des capacités d’analyse, de proposition. Regarde les jeunes qui occupent la Monnaie. Ils ont acquis une expertise dans leur domaine, et ils la communiquent avec talent. Regarde les jeunes qui se sont mobilisés pour le climat. Les leaders du mouvement avaient quinze ou seize ans.
On pourrait faire la même chose avec les questions sanitaires, mais on ne leur donne pas la parole, on ne mobilise pas leurs talents, tout est fait pour les laisser pourrir dans leur solitude dans leur chambre avec leurs vidéo-conférences et leur E-phone, et quand ils veulent aller respirer sur les bancs dans les parcs, on leur colle des amendes ou on leur envoie la cavalerie.
 
Claude : Il y a l’état psychologique, mais il y a aussi les conditions matérielles. Avec la fermeture de l’Horeca, les étudiants ont aussi perdu tous les petits jobs qui leur permettaient de vivre. Nous seulement ils sont seuls et privés de sortie, mais ils ont aussi perdu leurs revenus.

Bernard : Bien sûr. Tu verras sur ma page Facebook, j’ai essayé d’imaginer ce que le gouvernement pourrait leur dire en s’adressant directement à eux, et cela s’y trouve, il faut des compensations financières pour la perte de tous ces jobs.
Mais il faut aussi de l’aide, de l’encadrement et des moyens pour les rassurer et les aider à gérer leurs études, parce que c’est terrible. Il faut dire aux jeunes qu’on ne va plus les abandonner, comme on a abandonné ceux de l’année passée. Je connais une ado qui a dix-huit ans, hier, elle avait un cours où ils sont en principe 160, ils étaient 14, on ne peut pas imaginer la catastrophe que c’est dans les premiers bacs.
Et à défaut de faire ça collectivement, on renvoie chaque enfant avec sa détresse à un spécialiste de l’écoute et de la parole, mais ça, c’est très « classes moyennes », parce que le psy, il faut pouvoir le payer !

Claude : Avec l’association « Arc-en-Ciel », vous avez lancé une opération commune pour organiser des « journées à la mer » ou « dans les Ardennes » en car. Tu nous expliques ?

Bernard : J’ai poussé un « coup de gueule » quand ils ont bloqué les trains pour la côte. Or il faut savoir que 87% des gens vont à la mer en voiture ! S’il fallait réduire l’affluence à la côte, il fallait mettre des barrages routiers, et puis c’est tout.
Le train, il y a peut-être des bobos dedans, mais c’est surtout le moyen de transport des moins nantis et des collectivités. Là, un responsable d’institution est venu me trouver parce qu’il avait dû annuler un déplacement en train avec ses gamins, et on a trouvé une solution. Après, j’ai trouvé des moyens financiers pour pérenniser l’initiative.
On fait aussi appel aux contributions privées parce qu’il y a quand même des gens, comme moi, que la crise sanitaire a enrichis ! Je suis cadre, j’ai un bon salaire, plus de restos, de sorties ni de vacances, ça fait des économies, et je peux donc faire un geste de solidarité vis-à-vis de ceux que la crise a au contraire paupérisés.
Une journée à la mer ou dans les Ardennes, cela ne prend pas la même importance quand tu as un grand jardin arboré à Rhodes St Genèse, ou quand tu es condamné à être enfermé pendant des semaines à quarante dans le même bâtiment dortoir.

Claude : Toi qui conseilles le gouvernement, comment peut-on sortir de cette crise de la jeunesse « par le haut » ?

Bernard : Il faut s’adresser directement à eux. Je t’avoue que j’en ai un peu plein le cul, parce que cela fait un an que je répète exactement la même chose. Or plus on attend, plus c’est difficile.
Il faut commencer par nommer leur détresse, s’excuser, regretter de ne pas leur avoir parlé plus tôt, et proposer un train de mesures concrètes, avec les budgets qui vont avec. Mais au début, nécessairement, le dialogue sera difficile. Cela fait un an qu’on les nie ! Tu as vu le débat hier soir à la RTBF ?

Claude : …Je suis en train de le retranscrire.

Bernard : Je t’assure, cela ne m’arrive jamais, j’étais tellement énervé, j’ai mis la télé sur « pause » et je suis sorti pour respirer. Ce qui s’est passé, c’est très grave. La façon dont Vandenbroucke a répondu à cette jeune femme, en lui envoyant à la figure les 23.000 morts du COVID, c’était immonde. C’est d’une violence symbolique inouïe, pire que la cavalerie. C’était le pire que le Ministre de la Santé pouvait dire ou faire. Heureusement que Leïla et Jean étaient là derrière, pour remettre un peu les choses en perspective.
Pourtant, quand ils parlent des coiffeurs ou de l’Horeca, Vandenbroucke et De Croo sont souvent dans l’empathie, ils commencent leurs phrases par des « je vous comprends… », « oui, je sais, c’est dur, mais… ». Ici, rien. Pas un mot d’empathie à son égard.
Aujourd’hui, ils font tous dans leur culotte, parce qu’on a annoncé « la BOUM 2 », et ils ne savent pas comment gérer ça, mais si on veut parler à la jeunesse, il faut commencer par l’écouter. Pas la rendre responsable des erreurs de gestion que le gouvernement a parfois lui même commises.
On est à fond dans le sujet, là. Je ne sais pas si tu connais cette fille, mais franchement, je suis admiratif. J’ai l’habitude des plateaux télés, il faut pouvoir résister à la pression psychologique, et ce qu’elle a fait-là, l’autre soir, c’était vraiment costaud.

Propos recueillis par Claude Semal le 23 avril 2021.

« En route vers ailleurs ! », le projet du Délégué Général aux Droits de l’Enfant en partenariat avec l’ASBL « Arc-en-Ciel ». Pour offrir un bol d’oxygène aux enfants qui n’en ont pas les moyens.

MAĚJ – En route vers ailleurs !

Le Rapport 2020 du Délégué Général aux Droits de l’Enfant

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