Interview de Luc Boland, papa de “Lou The Voice”, avec de vrais morceaux de chansons : “NOTRE VIE EST UN INCROYABLE SCÉNARIO”

Scoop : Semal regarde “The Voice” ! Enfin, je regardais l’émission mardi passé. Pour voir Lou B être plébiscité par le public, dans son interprétation de « Butterflies and Hurricanes », le « hit » mondial de Muse. Grâce à son talent, mais aussi à la mobilisation d’une « fan base » qui, en dix ans, n’a pas cessé de croître et de se renforcer.
Lou B est aveugle de naissance, et son histoire a sans doute déjà croisé la vôtre. Il est porteur du Syndrome de Morsier, une maladie orpheline qui touche un enfant sur dix millions. Elle se traduit par une atrophie du nerf optique, de l’hypophyse, et de la membrane qui sépare les deux moitiés de notre cerveau. Le côté gauche, celui de la logique, et le côté droit, celui de nos émotions. Un handicap qui noie souvent l’enfant dans ses peurs et ses émotions, et rend tout apprentissage particulièrement difficile.
Né la nuit des étoiles filantes, le 12 août 1998, cet OVNI est pourtant tombé dans le jardin d’une famille aimante et dévouée. Pendant des années, Claire, sa maman et Luc, son papa, vont déployer des trésors d’amour, de tendresse, de patience de d’inventivité, pour tirer Lou de l’obscurité où il erre, du monde imaginaire où il se réfugie parfois.
Ils vont lentement mais sûrement le ramener parmi nous.
Et Lou va peu à peu trouver dans la musique cette interface universelle qui lui permet de communiquer avec les autres.
Lou est aujourd’hui chez lui devant un micro, un piano et un public. Il n’est plus un enfant perdu qui cherche ses mots dans le brouillard, mais the King of the piano : le roi, le clown, le maître des notes et des voix. Un artiste à part entière, qu’on applaudit pour son talent, et non plus pour son handicap.
Pourtant, dès qu’il quitte son tabouret, il a toujours besoin du bras de son papa, celui qui guide ses pas dans les coulisses, celui qui blague, qui le rassure, qui l’étreint.
Quand les résultats du vote ont été proclamés, Luc, dans un geste de joie, a levé le bras vainqueur de son fils, comme à la fin de match de boxe. Mais Lou, m’a-t-il dit, s’est plutôt inquiété des candidats qui avaient été éliminés.

Luc Boland est réalisateur de films. Formé à l’IAD, il a travaillé quatorze ans comme assistant réalisateur, avant de signer ses propres longs métrages (1).
A la fin des années nonante, nous avons animé ensemble le « Forum Culture » des Etats Généraux de l’Ecologie Politique. Puis on s’est un peu perdu de vue. J’ai eu envie de le retrouver en pleine folie The Voice, pour l’interviewer dans « l’Asympto ».
En 2006, j’avais reçu comme un coup de poing émotionnel sa « Lettre à Lou », un formidable documentaire qui raconte les six premières années d’existence de son fils.
J’ai revu le film pour les besoins de l’interview.
Moi qui suis devenu papa entretemps, j’ai pleuré tout du long comme une madeleine. Un véritable hymne à l’amour parental, à la patience et au courage, à la force de la résilience.
J’ai également visionné le chapitre consacré à Luc Boland dans « Big Memory », le documentaire monumental que Richard Olivier avait consacré au cinéma belge en 2011 : 170 interviews de treize minutes !
J’ai retrouvé la voix de Richard, qui nous a quitté il y a quelques jours, interrogeant Luc Boland, qui nous parlait de son enfance.
J’ai trouvé la chose si belle et si émouvante que je l’ai reproduite, quasi intégralement, en « avant-propos » de « ma » propre interview.

La vie de Luc pourrait être le scénario d’un film de Jaco Van Dormael : traumatisme de l’enfance, poids tragique et ironique du destin, synchronicité poétique, handicap comme paradoxal révélateur de la joie de vivre.
«Heureux les fêlés, car ils laissent passer la lumière ».
Depuis le succès de sa « Lettre à Lou » –1200 messages en 24 heures – Luc Boland a totalement mis entre parenthèses son propre travail d’artiste et de réalisateur.
Sur les conseils d’un avocat, il a créé une « Fondation Lou » qui, espère-t-il, pourra un jour garantir l’autonomie de vie de son fils.
Car Claire et Luc sont habités par l’angoisse de tout parent en pareille circonstance : « Que deviendra notre enfant quand nous ne pourrons plus nous occuper de lui » ?
En Belgique, les places en institution manquent cruellement pour les handicapés adultes : elles sont frappées d’un moratoires depuis… 1997 !
Manquent aussi dramatiquement les structures d’accueil provisoire qui permettent aux parents de « souffler » ponctuellement quelques heures ou quelques jours par an.
Car les handicapés « lourds » nécessitent souvent une présence permanente à leur côté, 24 heures sur 24.
A côté de la Fondation Lou, Luc a également créé un festival, « The Extraordinary Film Festival », « quand le handicap fait son cinéma », et une ASBL-conseil pour aider les parents à surmonter le choc d’une naissance « différente » : la Plate-forme « Annonce Handicap ».
Voilà, écoutez l’histoire de Luc, qui est peu à peu devenue l’histoire de Lou, l’histoire de Lou, de Luc et de Claire.
En introduction, ces quelques mots que Luc a publiés sur Facebook à la veille des « duels » de « The Voice », et qui m’avait donné envie de réaliser cette interview.

Quoi qu’il advienne après les duels de The Voice, nous sommes déjà infiniment fiers de :
notre « gamin », notre fils, notre p’tit gars, notre Chouchounet, notre Loulou, notre Loulounet, notre Roudoudoudounet d’amour, notre Lou, mon pote, mon poto, mon crétin, mon connard, mon enfoiré, ma petite… (et pire encore lorsque nous gouaillons en nous donnant des airs de loubards pour se marrer un coup et tordre le cou à l’interdiction des gros mots),
mon Pulchien, mon Putravache, mon Porquignol, mon Porquel Qua Mertch, mon Crachitiste (autant de gros mots imaginés par Lou durant l’enfance où il inventa le monde imaginaire du peuple des Kirkaïes et la langue du même nom),
notre musicien, l’Artiste, Lou B., notre extraterrestre, notre ovni, notre oreille de Moscou, notre imitateur, notre humoriste, notre subtil, notre tendre, notre câlin, notre infiniment gentil, notre hyper sensible, notre battant, notre peureux, notre courageux, à la confiance absolue, aveugle,
Lou, ou tout simplement la très belle personne que tu es.
Tu y vas la fleur au fusil, pour le plaisir, pour apprendre, pour partager ton amour infini pour la musique. La gagne n’est pas de ton monde.
Et tu prends ton pied. Quoi qu’il advienne donc, l’aventure continuera.
Ce que tu as gagné là, est déjà immense.

Claire, Luc, tes soeurs et la tribu autour de toi.

 

Photo Luc Boland

Luc Boland se confie à Richard Olivier dans « Big Memory » (2011).

Pourquoi fait-on un métier artistique ? C’est souvent une question d’égo. Dans l’associatif, dans le handicap, l’égo, on en est loin, très loin. C’est la grande bascule. Mon égo, je le mets aujourd’hui dans la réussite de mon entreprise familiale.
Ma vie est incroyable, c’est la plus belle des fictions, si je mettais ça dans un scénario, personne ne me croirait.
La première clé de ma vie, c’est ma mère qui est maniaco-dépressive perpétuelle et qui est internée quand j’avais quatre ou cinq ans.
Dernier d’une famille de huit, il y a de quoi péter les plombs, je suis transbahuté d’une famille d’accueil à une autre, et dans un non-dit judéo-chrétien absolu, impossible de savoir ce qui se passe. Du haut de mes 4/5 ans, j’essaye de lire la vérité dans le regard des adultes. Dès cet instant, l’image ne m’a plus quitté. Elle a habité toute ma vie. Voir, observer, comprendre, c’est la première clé.
La deuxième clé, c’est mon meilleur copain d’enfance, qui était mon voisin depuis tout petit, toutes les primaires ensemble, le jour de mes dix ans, j’invite les copains, et avec une famille de huit, cela faisait du monde, tous les copains sont là, j’ai un copain qui me prête une épée en plastique, comme dans les Visiteurs, je dis « en garde ! » à dix mètres de lui, et la tige rigidifiante, comme une sarbacane, va se planter dans son œil. Je te dis pas. Fini l’anniversaire, il a perdu une année scolaire, trois opération, il a perdu un peu de vue, heureusement pas plus de ça. C’est quelque chose que tu n’oublies pas quand tu as dix ans.

“Sans la mort de Dominique, je n’aurais jamais fait de cinéma”

Troisième truc, j’ai 18 ans, un vendredi je parle avec Dominique, mon fameux copain, un fan de CB, il me dit « je vais faire du ski dans les Ardennes ». Le lendemain midi, ma mère entre dans ma chambre : « Dominique a été tué dans un accident de voiture ». Aveuglés par le soleil, ils se sont encastrés dans un camion.
Et c’est la mort de Dominique qui me fait rencontrer son autre meilleur ami, qui est photographe, je suis en rhéto, je ne sais pas quoi faire de ma vie, il me dit : « tu dois faire du cinéma », et c’est comme ça que je m’inscris à l’IAD. Sans cette rencontre, sans la mort de Dominique, je n’aurais jamais fais de cinéma.
Tu continues la petite aventure. En ’84, je suis assistant-réalisateur, je conçois « Une Sirène Dans la Nuit », j’écris en trois jours le scénar, parce que cette idée soudain me traverse, j’achète ma première machine à écrire pour écrire le scénar, et je raconte l’histoire de cette gamine qu’il faut sauver en regardant les neveux et mes nièces, parce que je n’ai pas encore d’enfant. Quand le projet est déterré en ’96, deux mois avant la naissance de Lou, je me dis : « Ce n’est plus la gamine qui m’intéresse, c’est celui qui doit la sauver. La gamine n’a pas d’obstacles, elle ne peut pas être la protagoniste » (2). Je réécris le scénar en duo avec Luc Jabon, pour voir comment basculer le récit vers l’autre personnage, on liste les problèmes qu’il aurait pu avoir, et on trouve : « il a un enfant autiste qu’il n’assume pas, et c’est pour cela que, brillant architecte, il devient standardiste de nuit, parce qu’il fuit le monde, il fuit les gens, seule le téléphone est son lien avec le monde extérieur, et c’est comme ça que, devant sauver cette gamine, il fera cette action de rédemption vis-à-vis de son propre enfant ». Entretemps, on conçoit Lou, le temps de trouver le financement du film avec France 2 et toutes les instances subsidiantes.

“En plein casting de mon premier film, je me retrouve à courir les hôpitaux avec mon ket”

Lou nait en août ’98, on part chez des amis en Vendée, on se rend compte que quelque chose ne va pas, on rentre dare-dare à Bruxelles, et sur l’autoroute, on nous téléphone, « feu vert pour le film, on tourne dans quatre mois ». Et pendant toute la préparation du film, le casting etc…, je me retrouve à courir les hôpitaux avec mon ket, le diagnostique tombe une semaine avant le début du tournage, le trente novembre, Syndrome de Morsier, votre fils n’a pas de nerf optique, et je me vois foncer tête baissée dans le travail, et faire dire à Anne Richard, la comédienne, à Roland Magdane : « c’est pas toi qui te trimballerais avec ton fils dans les bras dans les hôpitaux ».
On dirait : ce n’est pas possible, une histoire pareille.
Et pourtant, ce sont tous ces ingrédients qui font que Luc Boland est aujourd’hui là devant toi.

Luc Boland répond à Claude Semal pour « l’Asymptomatique » (2021)

Claude : Alors, remis de vos émotions ? (ndlr : mardi, Lou a gagné sa place parmi les huit finalistes de « The Voice » Belgique).
Luc : On ne sait plus comment on s’appelle, mais tout va bien.
Claude : On va surtout parler ici de la rencontre entre Lou et la musique. Dans « Lettre à Lou », tu dis que la musique est à la fois devenue pour lui un refuge et un espace d’éveil. Raconte-nous ça.
Luc : Quand il était petit, il refusait de toucher quoique ce soit, il ne vivait qu’à travers les sons. Pour nous, il n’y avait pas de mode d’emploi. Il a fallu tout inventer. Parfois le monde réel lui faisait très peur, et il se réfugiait dans un monde imaginaire, avec des amis imaginaire, comme monsieur René, qui a un cheveu sur la langue, et le petit chien Courage. Il n’y a rien d’inné chez lui. Tout est apprentissage, et tout est compliqué. Pour lui faire fermer ses chaussures, il a fallu s’y reprendre deux ou trois cent fois. Mais il s’est intéressé très vite à la musique, et très tôt, il reproduisait des petits bouts de mélodies, il faisait des rythmes avec se pieds. Pour certaines choses, il a une mémoire phénoménale, une capacité d’apprentissage incroyable. Tout petit, on lui a offert un djembé, en cinq minutes, il avait fait le tour de l’instrument.
Pour ses six ans, on lui a offert un clavier, six mois plus tard, il avait composé à trois doigts la petite chanson qui termine le documentaire. A huit ans, il jouait à dix doigts, sans avoir jamais eu aucun professeur.
Moi, je suis un fan de musique, j’ai 800 CD’s, autant de vinyles, je suis très éclectique, et Lou a dévoré tout ça, à cinq ans, il adorait Muse, Pink Floyd, Christophe Mahé, sans distinction de style, sans jugement de valeur. Parfois, il me rejouait au clavier une mélodie qu’il avait entendue deux ans auparavant ! Il a un côté « 
Rain Man » musical.
Claude : Assez tôt, je crois, il y a la rencontre avec Maurane. Comment êtes-vous entré en contact avec le public ?
Luc : En 2008, on a été contacté par Cap 48. Lou avait dix ans, il a accompagné Maurane sur « le prélude de Bach » pour la télé, et après ça, il ont chanté une demi-heure ensemble au studio, loin des caméras. Maurane a été adorable avec lui.
En 2012, mon frangin m’envoie une musique, j’écris des paroles dessus, et cela devient « Je m’appelle Lou ». Lou l’enregistre dans mon Home Studio, et paf, sur les réseaux sociaux, il se passe un tuc, on fait un million de vues en dix jours.
Après ça, Lou nous dit : « j’ai envie de jouer devant des gens ».
Jo Dekmine nous prête le 140, j’invite Charles Loos et plein d’autres gens pour une soirée « La jam à Lou », et on est « sold out » en trois semaines. Une soirée homérique, à un moment, Lou fait un « blind test » avec le public, c’est à pisser de rire, les gens marchent à fond, et puis plusieurs duos. Tu connais Loos, j’imagine ?

Claude : Oui, on a fait deux albums ensemble (3).
Luc : Ses musiques, ce n’est pas couplet / refrain, ce sont des compositions harmoniquement et mélodiquement riches, Lou adore, il écoute Charles en boucle, il a même composé un morceau « à la façon de », en hommage à Charles, qui s’appelle « Spéculoos ».
Après ce concert-là, on a eu d’autres demandes, jusqu’à l’hommage à Brel, en mai 2018, où Lou a repris « Les Bourgeois » devant 15000 personnes au Palais Royal. Maurane était là aussi, on ne l’avait plus revue depuis 2008, ils ont bavardé ensemble, et le lendemain midi, on apprend sa mort à la radio. On ne savait pas comment l’annoncer à Lou, comment il allait réagir. On a regardé le JT ensemble, pour acter la chose. A la fin du repas, il nous a dit « Ca ne va pas, papa », … (Luc s’interrompt) … je suis encore ému en le racontant, c’est dingue, …« je vais aller composer un truc pour Maurane », il traverse la maison, il s’installe devant son piano, et là, en 3 minutes 40, il compose la mélodie des « Mots à Maurane », à la façon de Maurane.
Claire et moi, on chialait dans la cour, c’était dingue.
Il chantait des bouts de phrases, des mots, mais cela restait un peu maladroit, c’est moi en général son « parolier », on a retravaillé le texte, et c’est devenu une chanson qu’on a enregistrée, et qui a aussi tout de suite fait le buzz.
Suite à cela, j’ai lancé un « crowdfunding » pour enregistrer un album, et on en a vendu 1400.

Claude : Juste un poil plus que moi… (sourire)
Luc : Ah ! Oui, en 2017, on a aussi été contacté par « La France a d’incroyable talent », on a beaucoup hésité à le faire, mais Lou en avait envie, il se fout de perdre, c’est comme pour The Voice, Lou se fout vraiment de perdre. C’est : « je veux faire kiffer les gens, je veux leur faire plaisir, je veux prendre mon pied, et si je perds, ce n’est pas grave ».
Claude : Combien de concerts avez-vous fait en tout, et qu’est-ce que cela a changé dans le rapport entre Lou et les gens ?
Luc : Les Jeunesses Musicales sont venues nous chercher, et en deux ans, on a du faire quatre-vingt concerts dans les écoles. Là aussi, cela a cartonné.
J’expliquais l’handicap de Lou, qu’il n’utilisait que la moitié de son cerveau, et je les prévenais, « maintenant, vous allez voir ce qu’il va faire ». Après 50 minutes de concert, les kets ouvraient des yeux comme ça, et je leur disais, si vous voulez faire de l’art, allez-y, foncez, c’est votre « cerveau rationnel » qui vous en empêche !
En tout, on a dû faire 200 concerts depuis 2017, jusqu’au confinement, en fait. Et c’est pour ça qu’on a fait The Voice, parce que Lou ne tenait plus en place.
Pendant le premier confinement, on l’avait fait patienter avec des imitations d’artistes… Lou a une faculté d’imitation incroyable… Il imite Arno, mon vieux ! Tape « Lou, Arno, Les Yeux de Ma Mère », tu verras ! On s’est donc amusé à faire des pastiches parlant du coronavirus, 24 capsules en tout.

Claude : Le problème, avec The Voice, c’est que tout le monde aime chanter et gagner, mais personne n’aime perdre (rires). Etre éliminé, c’est en principe toujours un truc difficile à vivre. Tu ne penses donc pas que Lou soit sensible à cette pression-là ?
Luc : Lou n’a absolument pas d’égo. De la même manière, il ne connaît pas le trac. Monter sur la scène de the Voice, c’est la même chose pour lui que d’aller à la toilette. Sauf qu’il sait qu’il va prendre son pied, c’est tout. Perdre ou gagner, tu es dans l’analyse. Dans «la France a un incroyable talent», il a été éliminé en demi-finale. Il a dit «ce n’est grave», et on est parti. A The Voice, ce sera la même chose. Hier, il était surtout emmerdé pour les candidats qui ont été éliminés.
Cela faisait six saisons que Lou voulait faire The Voice, nous, on n’avait pas trop envie, pour les raisons que tu as évoquées, le côté compétition, on ne savait pas comment il allait réagir. Et puis, il y a eu « La France a un talent… », et on s’est rendu compte que la dimension « concours » ne l’atteignait absolument pas.
Je vais être honnête avec toi : ce n’est peut-être pas très sain, mais moi je rêve que Lou fasse un tube planétaire, un « Born to Be Alive », et qu’après ça, je puisse dormir tranquille, que son avenir soit à jamais assuré (rires). Qu’il puisse toujours, avec ou sans nous, vivre la vie qu‘il veut vivre. Car avec son manque complet d’autonomie, son avenir n’est pas encore assuré.
Tu sais, quand il était petit, pour beaucoup de « professionnels » de la santé et de l’éducation, c’était un enfant perdu. Certains ont même été d’une méchanceté incroyable vis-à-vis de lui. Terrible, j’en ai encore les boules aujourd’hui. A l’école pour aveugles, à Bruxelles, il était entouré de gens malveillants. Pas tous, mais certains. Le lendemain de son passage à Cap 48, quand il a chanté « Lou, je m’appelle Lou », le prof de gym lui a dit : « Je t’ai vu à la TV. Je n’aime pas ta chanson. Je n’aime pas tes paroles ». Tu imagines ça ? Un adulte qui est frustré, et qui va attaquer LA compétence d’un handicapé ?

Un autre titillait les peurs de Lou, des trucs monstrueux. Donc, à 18 ans, on l’a déscolarisé, on a fait l’école à la maison, avec des bénévoles.
Charles Loos faisait partie de la bande, dans notre « Kitchen School », avec un pédopsychiatre pour essayer de dénouer les nœuds, math, français, Lou faisait même de la philo. En deux ans, il a plus appris que pendant tout le reste de sa scolarité. Et il continue a apprendre tous les jours, c’est incroyable.
C’est un scandale, et ça me révolte de façon absolue, parce que nous avons eu l’énergie, le bagage culturel et les moyens de le faire, mais s’il était tombé dans une autre famille, comme les six ou sept kets qui étaient dans sa classe à l’école des aveugles, les Youssef, les Rachid, il serait aujourd’hui dans un centre, assommé par les médicaments, sans aucun moyen d’en sortir. Et ça me révolte, ça me révolte à un point que tu ne peux pas imaginer, parce que Lou aurait pu être à leur place.

Claude : Dans cet univers musical, est-ce que Lou croise parfois un de ses grandes peurs d’enfant, ou est-ce un univers qui est pour lui protégé ?
Luc : En gros, il se sent protégé, à une exception près. Sur Youtube, il est tombé récemment sur le prêche d’un soit disant imam islamiste qui affirmait qu’il fallait interdire la musique. Ca l’a traumatisé, et quand ça lui arrive, Lou, il en a pour des mois. Quand il était petit, il a été effrayé par le bêlement d’un mouton, il en a eu pour deux ans !
Tu sais ce que je lui ai dit hier à l’oreille, à The Voice, avant de monter en scène ? « On va dédier ta chanson à cet enfoiré de youtubeur ! ». Et il m’a répondu « Oui, papa, je vais chanter contre ce connard !»
(rires).
Claude : Au-delà du cas de Lou, comment les handicapés sont-ils traités en Belgique ?
Luc : Mal. C’est horrible. La Belgique a d’ailleurs été condamnée par l’Europe à ce sujet. Il manque chaque année 300 nouvelles places en institution pour les personnes lourdement handicapées. Il y a un moratoire depuis 1997. On voit des trucs de dingues, des parents de 70 ou 80 ans, avec un enfant handicapé et alité qui pèse 110 kilos, et à qui ils ne peuvent plus prodiguer de soins. C’est un scandale, un scandale.
La culture est maltraitée par les politiques, mais le handicap, c’est encore pire, c’est vraiment la dernière roue du carrosse des pouvoirs publics. C’est honteux, c’est honteux, à tous les étages, la scolarité, l’hébergement, tout, tout, tout, c’est une honte !
A notre petite échelle, l’objectif de la Fondation Lou est aujourd’hui de créer une maison de vie communautaire dans laquelle Lou puisse avoir toute sa place. C’est la plus belle des solutions qu’on puisse trouver pour son avenir.

Propos recueillis par Claude Semal le 10 mars 2021

(1) “Une Sirène Dans la Nuit” (1999), “La Torpille” (2001), “Lettre à Lou” (2006).
(2) Dans la construction traditionnelle d’un scénario, le “héros” doit rencontrer des épreuves et les dépasser.
(3) Semal/Loos en duo (1984), Semal/Loos en Public aux Riches-Claires (2000).

(Photos Lara Herbinia (pour la couverture), Luc Boland et Hools – Julian Hills )

Quelques liens  :

https://fondationlou.com/

https://loub.be/ (Le site de Lou B)

https://teff.be/ (The Extraordinary Film Festival)

https://www.plateformeannoncehandicap.be/

Quelques chansons, reprises  et compositions :

Les imitations  “corona” :

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