LA CULTURE DU VIOL par Ariane Dierickx Petit

J’ai 5 ou 6 ans. C’est l’été, on joue dans le jardin d’une voisine. La maman, une de ses filles et moi sommes assises dans l’herbe. Un homme d’une trentaine d’années arrive. À un moment, il met sa main dans mon short et commence à me toucher. Je n’en ai jamais parlé à personne et ce n’est que des années plus tard que j’ai pu mettre des mots sur ce qui m’était arrivé.
J’ai 8 ans. De manière régulière et jusqu’à ce que j’aie le courage d’en parler à mes parents, mon cousin et un de ses amis, tous deux âgés de 15 ans, m’entraînent dans les cabines de la piscine communale pour me faire subir des attouchements sexuels.
J’ai 10 ans. Lors d’une fête de village, profitant de la foule et du brouhaha, un homme d’une cinquantaine d’années m’attire dans un coin et m’impose la vue de son sexe en érection.
J’ai 17 ans. Je rends visite à un ex-petit ami devenu ami. Une fois dans sa chambre, il tente de m’embrasser et je le repousse. Alors il me viole. Je ne comprendrai que bien plus tard qu’il m’a aussi violée à de nombreuses reprises tout au long de notre relation, que ce n’était pas “normal”.
J’ai 19 ans. Je rentre chez moi en train après une journée de cours. Un homme vient s’asseoir en face de moi et commence à se masturber en me fixant. Plusieurs personnes présentes dans le wagon le remarquent. Personne ne dit rien.
J’ai 20 ans. Après une soirée en ville avec des copines, je rentre seule et demande mon chemin à un passant. Celui-ci m’attire dans un guet-apens : je me retrouve entourée d’une dizaine d’hommes et suis victime d’un viol collectif. Après l’agression, plusieurs d’entre eux décident de me raccompagner chez moi. Comme si tout était normal.
J’ai 23 ans. Je rentre de soirée et un homme me suit. Il me touche les fesses, les seins, m’agrippe le bras pour me tirer vers lui pendant trente bonnes minutes alors que je continue à marcher. Il ne part que lorsqu’un ami me rejoint.
J’ai 25 ans. Je me rends en soirée dans une boîte. Un homme me drague et m’offre un verre, mon premier de la soirée. Quelques minutes plus tard, je perds conscience et mes amis ne me trouvent plus jusqu’à la fin de la soirée. Je me « réveille » en dehors de la boîte, sans veste, sans sac et à moitié déshabillée.
J’ai 29 ans. Je prends le bus en heure de sortie d’école, il est rempli d’enfants. Je tourne la tête et je vois que l’homme assis à côté de moi se masturbe en me regardant. Je me lève et vais prévenir le conducteur, qui ne fait rien.
J’ai 15, 17, 23, 29, 35, 47, 52 ans et j’entends des proches me dire que la culture du viol n’existe pas.
Ce récit est écrit en « je ». Il raconte en réalité – avec leur accord – ce qu’ont eu à vivre des petites et jeunes filles et des femmes de ma famille très proche. Elles ont été fracassées par ces agressions. Des années plus tard, elles n’ont pas toujours pu complètement se débarrasser de ce double sentiment de honte et de culpabilité qui empêche de parler et de se réparer.
Parce qu’elles ont fini par oser parler et parce qu’elles sont entourées d’amour et de bienveillance, elles s’en sont sorties ou s’en sortiront. Elles porteront tout au long de leur vie cette terrible cicatrice mais elles s’en sortiront. Ce n’est malheureusement pas toujours le cas.
Ce récit rappelle que ces agressions ne sont pas exceptionnelles, qu’elles existent dans tous les milieux et dans toutes les familles, qu’elles sont systémiques et qu’elles sont la conséquence d’une société gravement malade.
Ces jeunes filles et ces femmes n’ont pas été agressées parce qu’elles étaient naïves, imprudentes ou légères. Elles ont été agressées parce qu’elles sont des femmes. Et parce que la société laisse faire.
Aujourd’hui, avec les femmes de ma famille, nous avons décidé de parler. Parce que si nous voulons que ce cercle infernal s’arrête un jour, il faut commencer par oser dire que ça nous arrive à toutes.

Ariane Dierickx Petit (sur sa page FB)

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