LA GIFLE QUI CACHE LA FORÊT

Ah qu’il était doux le bon vieux temps où des accusations de viol boutaient Damien Abad hors du gouvernement français, et où on s’indignait, à juste titre, que l’échange de services politiques contre des”faveurs sexuelles” ne suffise pas à exclure Gérald Darmanin de son poste de ministre de l’Intérieur!
Les “affaires” dans le camp d’en face servaient à la fois de croche-pied politique et d’occasion de rappeler ses propres engagements: pour nous, à gauche, les violences contre les femmes n’ont pas leur place. Les combattre est une priorité.
Evidemment, quand le problème surgit chez les siens, la situation devient plus compliquée. Et c’est là qu’on peut mesurer la sincérité des engagements.

Le style et le contenu

Ici, à l’Asymptomatique, nous avons exprimé à de nombreuses reprises notre sympathie, ou même notre proximité, avec la France Insoumise. Je ne partage pas toujours l’enthousiasme de mon camarade Claude, mais en gros, si je vivais en France, c’est bien là que je me retrouverais le mieux. Du côté de François Ruffin ou de Clémentine Autain, notamment.
Mais Jean-Luc Mélenchon, moi, ce n’est jamais passé. Je reconnais ses qualités d’orateur, de débatteur, de mobilisateur hors pair. Son style, par contre, et surtout le mépris qu’il manie presque autant que l’analyse politique, m’insupporte. C’est vrai que ses interlocuteurs le traitent souvent mal, avec une agressivité ou une mauvaise foi qui sont épargnées à d’autres politiques, mais ce n’est pas une raison: chez nous aussi, Raoul Hedebouw a souvent droit à un traitement spécial, auquel échappent des politiques plus chevronnés ou même plus clivants (suivez mon regard vers la droite), il ne s’en sert pas pour dézinguer les journalistes qui l’interrogent ou l’ensemble des médias.
Mais à présent, il ne s’agit plus d’un style qu’on peut apprécier ou pas. Il s’agit de contenu. Il s’agit d’une prise de position. Il s’agit de priorités. Il s’agit au mieux de l’incompréhension, au pire de déni de ce que sont réellement les violences faites aux femmes.

“Gifles politiques”

Dès les premières informations sur les accusations contre Adrien Quatennens, Mélenchon s’était fendu d’un tweet de soutien, soulignant “la dignité et le courage” de son poulain et s’en prenant au “voyeurisme médiatique” (sans lequel l’affaire ne serait jamais arrivée au jour). Aujourd’hui il remet ça: son brillant député serait la victime de “gifles politiques“, voire d’un lynchage.
Pour Mélenchon, son chouchou “ce n’est pas un violent parce qu’il a été violent une fois, il y a de cela plus d’un an” et “n’a jamais recommencé cette violence“. Or selon les déclarations de Quatennens lui-même (sur Twitter): “Depuis cette annonce de séparation, nous avons eu des disputes. Dans l’une d’entre elles, (…) je lui ai saisi le poignet. Dans notre dernière dispute, probablement celle qui a justifié son choix de déposer une main courante, je lui ai pris son téléphone portable. Voulant le récupérer, elle m’a sauté au dos. Je me suis dégagé, et me relâchant, elle s’est cogné le coude“.
La gifle semble avoir occulté tout le reste, et notamment ce “je lui ai pris son téléphone portable“, qui est un geste type de contrôle dans les violences conjugales.
Alors non, le brillant député LFI n’est pas une pauvre victime injustement persécutée. La question n’est pas du tout de savoir s’il est ou non “un homme violent”, les auteurs de violences conjugales ne sont pas une espèce particulière d’hommes. La volonté de contrôle est en soi un comportement violent. Il ne s’agit pas non plus de respecter une certaine “gradation”, c’est ne rien connaître des violences conjugales que de croire que le seul signe sont des coups répétés, jusqu’à ce que mort s’ensuive.
J’ajoute que l’utilisation qui en est faite par des adversaires politiques n’est pas plus digne: chaque organisation politique ferait mieux de regarder dans son assiette, mais le courage et le véritable engagement, ce n’est pas de désigner les connards d’en face mais d’être capable de voir la violence également chez ses amis. Et même chez soi.

3 Commentaires
  • Irene Kaufer
    Publié à 15:19h, 17 octobre

    Je ne crois pas avoir écrit que le masculin est “par essence” violent et dangereux, tandis que la féminité serait “douce”: il s’agit de constructions sociales. Lorsque je travaillais à l’asbl Garance, j’ai pu constater à quel point il était difficile pour les femmes d’imaginer d’user de violence, même pour se défendre, et même quand physiquement elles en étaient tout à fait capables. Question de socialisation. C’est un peu moins vrai chez les jeunes.
    Je n’ai pas de statistiques sur les gifles (ou plus largement les maltraitances) sur les enfants, il doit exister des études, mais je ne les connais pas. Les chiffres des violences conjugales ne sont pas très rigoureux non plus, puisqu’on sait que la grande majorité des victimes ne portent pas plainte. Ce qui est rigoureux, par contre, ce sont les meurtres dans le couple (ou l’ex-couple) : en France, en 2020, 102 femmes tuées par leur (ex)compagnon (et 122 en 2021). Il y a eu aussi 23 hommes tués par leur (ex)compagne, mais on sait, depuis des procès très médiatisés (Jacqueline Sauvage, Alexandra Lange…) qu’une bonne part de ces femmes ont réagi à des années de violences subies. On ne peut pas nier qu’il s’agit bien d’un problème de “masculin” (construit).
    Quant à l’instrumentalisation de l’affaire Quatennens à des fins politiques anti-Nupes, bien d’accord avec toi. Mais si Mélenchon n’avait pas réagi si stupidement à côté de la plaque, et à répétition, il aurait fourni à ses adversaires moins de bâtons pour de faire battre.

  • didier somzé
    Publié à 10:14h, 16 octobre

    J’apprécie beaucoup, Irène, dans ton analyse le fait d’appliquer ses valeurs … pas seulement chez les connards d’en face, mais aussi dans son camp, son organisation, son groupe, “chez soi”.
    Cela vaut pour cet enjeu du rapport entre hommes et femmes mais aussi pour d’autres enjeux comme la démocratie interne, le respect des moins “grandes gueules”, etc.
    Merci de ce vibrant rappel

  • Semal
    Publié à 10:44h, 15 octobre

    Hello Irène, mon “commentaire” n’en est pas vraiment un, car j’avais moi-même commencé à aborder le sujet. C’est donc un peu long.
    En gros, je suis assez d’accord avec toi, avec un bémol et une mise en contexte.
    La position d’Adrien Quattennens était devenue d’autant plus intenable que la lutte contre les violences “domestiques” est un des axes programmatiques de la France Insoumise, qui réclame par ailleurs un milliard d’euros pour budgétiser la lutte contre ces violences et contre les féminicides.
    Ceci dit, si la réalité sociologique et statistique des violences familiales est en effet accablante pour les hommes, en particulier évidemment en ce qui concerne les féminicides, il ne me semble pas juste d’en chercher la seule cause dans une “masculinité” qui serait par essence violente et dangereuse, face à une “féminité” qui serait par essence douce et compréhensive.
    S’il faut déconstruire les genres, déconstruisons-les aussi en ne reproduisant pas ces clichés.
    La séparation d’un “vrai” couple est toujours une déchirure, une violence au moins psychique, et si j’en crois ma très modeste expérience en la matière, les femmes ne sont pas les dernières à parfois traduire une colère, une exaspération ou une souffrance en gestes plutôt qu’en mots. Les enfants, qui en souffrent parfois, sont-ils moins giflés par les femmes que par les hommes ?
    C’est une vraie question (à laquelle Irène a peut-être une vraie réponse).
    Ceci étant dit, je n’ai jamais, ni giflé une compagne, ni piqué son téléphone.
    Et si je l’avais fait, je me sentirais peu fondé à rester le porte-parole ou le coordinateur d’un mouvement qui porte en principe le féminisme dans ses gènes et dans son programme.

    Par ailleurs, concernant le traitement politique et médiatique de la chose, il faut aussi préciser que “l’affaire” Quatennens fait partie d’une triple “séquence” où, en moins d’un mois, deux des trois partis piliers de la NUPES ont été politiquement décapités (LFI et les Verts).
    Au début de l’été, Eric Coquerel, député LFI, alors pressenti pour présider la Commission des Finances à la Chambre, avait déjà été accusé de “harcèlement sexuel”, huit ans après les “faits”, pour une drague supposée “lourde” dans un dancing après une réunion militante, où il aurait eu “le regard salace et gluant” (sic).
    En septembre, c’est Julien Bayou qui a démissionné de son poste de secrétaire national des Verts suite à la plainte d’une ancienne compagne pour “harcèlement moral”.
    Le traitement “interne” et “hors cadre” de la chose a provoqué un profond malaise chez les Verts, y compris chez les militantes féministes.
    Après quoi, pendant des semaines, en pleine rentrée politique et en pleine crise sociale, c’est sur ces deux seuls sujets que les dirigeant·es de La France Insoumise et des Verts ont été systématiquement interrogé·es (Clémentine Autain elle-même, interrogée pour la vingtième sur le même sujet en plein débat budgétaire, a fini par envoyer les journalistes à la gare). Tout cela crée un certain “climat”.
    Or comment lutter efficacement contre des comportements considérés comme inadéquats chez les hommes, si cela provoque à chaque fois de tels cataclysmes politiques et médiatiques ? N’est-ce pas là une autre façon de pousser les femmes à se taire ? Cette façon d’instrumentaliser des revendications féministes pour étouffer tout débat social et politique, cela me semble encore être du patriarcat.

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