LE PAPA DE TCHANCHÈS ET D’UBU RWÉ NOUS A QUITTÉS

Photo Dominique Houcmant

Bouli m’appelle hier soir, l’heure tardive ne laissait présager rien de bon, et effectivement il venait m’annoncer le décès de son beau-père Jacques Ancion, Grand Maître es-marionnettes liégeoises, résident du Théâtre Al Botroûle où « n’a nouk qui tchoule ».
Las ! Aujourd’hui tout le monde pleure la disparition qui d’un compagnon, qui d’un père, d’un grand-père, d’un beau-père, qui d’un ami, qui de précieux souvenirs, qui d’un peu du patrimoine wallon liégeois, qui de la saveur d’un monde d’avant plus simple, plus bon-enfant, plus chaleureux et convivial…

Que de souvenirs se bousculent… D’abord, il y a plus de 40 ans, c’est la rencontre avec les marionnettes de Maître Jacques. Le Théâtre Al Botroûle était venu jouer « La nonne sanglante » à Saint-Luc, premier émerveillement. Plus tard, avec Bouli et Elise, ce sont les soirées et surtout les Noëls passés dans le petit théâtre de la rue Hocheporte où après le spectacle tous se retrouvaient en dessous de la salle dans le petit café enfumé où jusque bien tard ça ‘djåzait walon’, ça buvait et ça mangeait selon l’actualité du calendrier chrétien soit boudin, bouquettes ou galette des rois…
Je ne saurais oublier la procession de Saint-Gilles, le tir aux campes et autres manifestations d’un autre temps en sa compagnie, sorties qui immanquablement se terminaient autour d’un café, d’un boket de doreye et d’une ou deux bières spéciales… De même, je n’oublierai jamais le rare privilège d’avoir eu accès à tous les coins et recoins du petit théâtre peuplé de mille visages en bois et de mille petites choses racontant chacune une histoire… un fourbis merveilleux.
Pour tout ça Merci Jacques.
Mes pensées vont vers Tanya sa fidèle Amie, ses enfants Elise, Hélène, Laurent et Nicolas, leur compagne et compagnon et leurs enfants, tous les amis du Théâtre Al Botroûle mais aussi vers tous ces simples bouts de bois rustiquement sculptés qui à jamais, ont perdu la main et la voix qui leurs insufflaient âme et vie. Pês à vosses cindes, Jacques…

Dominique Houcmant (sur Facebook)

Le Théâtre Al Botroûle a perdu son fondateur

Photo Dominique Houcmant

Notre cher père, Jacques Ancion, est passé de l’autre côté du miroir aujourd’hui. Pour tous ceux et toutes celles qui l’aimaient, une tendresse partagée. 50 ans de marionnettisme invétéré. Voici, pour ceux qui ne le connaissaient pas, et pour tout le monde, une petite biographie que je viens de rédiger, aussi en souvenir de notre mère Françoise, qu’il a rejointe aujourd’hui.

Le Théâtre Al Botroûle a perdu son fondateur Jacques Ancion est décédé ce 24 octobre 2022. En revenant aux racines de la marionnette liégeoise, dès 1973, le montreur avait, avec son épouse Françoise Gottschalk, réconcilié les adultes et cet art aussi truculent qu’irrésistible. Leur Théâtre Al Botroûle, bien accroché au pied de la rue Hocheporte, à Liège, avait trouvé un rayonnement dans le monde entier, prouvant que l’universel se niche au cœur du particulier.

Il avait fait tous les métiers : sculpteur animalier, taxidermiste, plâtrier figuriste, brancardier. Mais c’est à la fin des années 60 qu’il trouvera sa vocation définitive et indéboulonnable : Jacques Ancion serait montreur de marionnettes à tringles. Rénovateur d’une tradition qui se diluait dans d’autres loisirs, il a rendu à la marionnette liégeoise son public d’adultes et son lieu où refaire le monde : le Théâtre Al Botroûle, installé dès 1973 dans le quartier Saint-Séverin. Pendant plusieurs décennies, c’était le repère des poètes, mais aussi l’épicentre d’un succès qui allait très vite dépasser les frontières belges.

Le décès de Jacques Ancion, ce 24 octobre 2022, touchera tous ceux qui, comme les marionnettes qu’il animait, ont le cœur en bois tendre. C’est qu’on n’oubliait pas la visite au Théâtre Al Botroûle : une cour aux lampions colorés, où l’on poussait la porte d’un estaminet bardés d’affiches et de chaleur. On montait au premier étage, où l’on se serrait dans une salle de 42 places à peine. La surprise était à l’intérieur : sur sa scène minuscule, le théâtre revisitait les grands classiques, les pièces de chevalerie ou « Li Naissance » et « La Passion », mais lorgnait aussi vers la recherche, loin de tout répertoire figé.

Al Botroûle a ainsi exploré l’Ubu d’Alfred Jarry sous toutes les coutures : « Ubu Roi » en français, mais aussi « L’Ubu Rwè » traduit en wallon par André Blavier, ou transformé en pape par Robert Florkin. Sur les planches, c’est tout un peuple de trouvailles et de truculence qui prenait corps, mais la seule passion de Jacques Ancion n’aurait pas suffi à lui insuffler la vie : son épouse Françoise Gottschalk était de tous les spectacles, mais aussi de tous les costumes. À leurs côtés, les décennies ont vu défiler et suer (les coulisses étaient étroites) une foule d’assistants et d’artistes, de Jacques Delcuvellerie à François Sikivie, de Julos Beaucarne à Thierry Crommen, jusqu’à l’assistanat de Tatiana Falaleew pour les dernières années.

Petit par la taille, local par sa tradition, le Théâtre Al Botroûle avait développé une expression à la puissance universelle. Ses spectacles ont fait le tour du monde ou presque. Jacques Ancion a emmené sa troupe aux quatre coins de l’Europe (Espagne, Italie, France, Grèce,…) mais aussi bien plus loin : pour une tournée au Japon, en 1986, le spectacle était doublé en direct par une interprète virtuose, qui accompagnait à la virgule près « La Tentation de Saint-Antoine ». Né au cœur de Liège – ou de son nombril –, le Théâtre Al Botroûle démontrait que l’universel se niche souvent dans le particulier. Sa devise était « Al Botroûle, n’a nouk qui tchoûle » (« personne ne pleure »).

Tchantchès Bonète doit pourtant se sentir bien seul à présent.

Laurent Ancion

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