LE SCANDALE DE LA GRANDE PAUVRETÉ par Semal

Jeudi passé, à l’Auditorium Vauban à Namur, le Réseau Wallon de Luttes contre la Pauvreté (RWLP) organisait un grand « Débatorium » pour éclairer les enjeux des prochaines élections de juin. Devant 450 personnes, les représentant·es de six partis politiques implantés en Wallonie (PS, PTB, MR, Défi, Engagé·es, ÉCOLO) avaient été invité·es à la soirée – assis sur des caisses en carton au milieu des sacs de couchage et des calicots.
Car en lieu et place d’un « débat électoral » classique, où les candidat·es « déroulent » leur programme, ou en « débattent » entre eux, on leur proposait ici de « se mettre à l’écoute » d’une trentaine de témoignages – portés par celles et ceux qui souffrent quotidiennement des conséquences de la grande pauvreté.

Photo Michel Wittek

Avec leurs propres mots, en forme de slams, d’interpellations, de saynètes théâtrales et même de chansons, ils et elles nous ont raconté la honte de devoir aller quémander au CPAS 800 euros pour acheter une paire de lunettes ; la honte de devoir faire la file pour un colis alimentaire (et de devoir ensuite se nourrir pendant un mois avec 24 boîtes d’haricots verts !) ; ou les diverses galères du « sans-abrisme », du mal-vivre ou du mal-logement.

Photo Michel Wittek

Car la première caractéristique du Réseau Wallon est de mobiliser, d’organiser et de laisser s’exprimer ceux et celles qui sont les premiers concerné·es par la pauvreté – pour qu’ils et elles retrouvent la dignité et la solidarité d’un combat mené ensemble contre toutes les inégalités.
Agissant en partenariat avec diverses associations de terrain, le Réseau a ainsi accumulé une incroyable expertise dans toutes ces matières « sociales » – et s’étonne souvent de voir les Pouvoirs Publics lui préférer régulièrement des « Cabinets Conseil » grassement rétribués, plutôt que d’oser frapper gratuitement à sa porte !

Photo Michel Wittek

Christine Mahy, la secrétaire générale et la porte-parole de l’association, qui semble avoir acheté sa colère, sa détermination et son humour dans la même boutique que l’Abbé Pierre, a conduit cette soirée avec doigté, maestro et autorité, en bousculant régulièrement les représentants des partis politiques quand ils suivaient un peu trop « leur rail » ou tentaient de sortir du sujet.
Exercice parfois un peu frustrant, car certains sujets méritaient évidemment d’être approfondis – et certaines ambiguïtés, d’être levées.
Comme lorsque les libéraux du PR et de Défi préconisent régulièrement « les baisses d’impôts et de cotisations sociales » pour soi-disant « relancer l’emploi » – sans jamais expliquer comment l’État, qui disposera ainsi de moins de ressources, pourrait financer les politiques sociales dont ils ne semblent pourtant pas nier l’utilité et l’urgence (dans le cadre d’une telle soirée, du moins).
Car tous ces problèmes ont souvent des causes très directement « politiques » (entendez : les lois qu’ils et elles ont votées), comme l’épouvantable statut de « cohabitant », qui a été mis en place et élargi par diverses majorités, dans les CPAS d’abord (en 1974), puis pour les indemnités de chômage (en 1980), et enfin pour les indemnités de maladie et d’invalidité (en 1991).

Photo Michel Wittek

Or ce statut de « cohabitant » diminue drastiquement vos allocations de base dès que vous « partagez » votre logement avec quelqu’un. Il a ainsi permis aux divers gouvernements qui se sont succédés depuis 1974 (et auxquels toutes les forces politiques présentes à la soirée ont participé, hormis le PTB) de « faire des économies » en piochant dans la poche des plus pauvres et des plus démunis – aggravant ainsi un peu plus leur précarité.
Dans son bulletin de liaison, le RWLP a « listé » divers effets pervers de ce « statut », qui est en soi une usine à fabriquer de la solitude et de la misère. Non seulement il vous appauvrit (alors que toustes ont pourtant payé les mêmes cotisations), mais…
– … il isole plutôt que de pousser à la solidarité ;
– … il provoque le mal logement et contribue à la pénurie de logements ;

photo Michel Wittek

– … il entrave la colocation et les relations amoureuses et amicales ;
– … il brise des relations familiales et met à mal l’intergénérationnel ;
– … il affecte la santé mentale.
Bref, l’inverse de ce qu’il faudrait faire. Précisons enfin que ces injustices affectent particulièrement les femmes, puisqu’elles représentent en Belgique entre 70 et 80 % des cohabitants – ce qui est même dénoncé par le Conseil économique et social des Nations-Unies depuis 2000 !

Du côté des partis politiques, on a souvent enfilé les propos consensuels et lénifiants et les approbations de principe (genre : « il faut savoir écouter les citoyens »).
Quel candidat en campagne irait se déclarer, devant un tel public de témoins-militants, partisan du « mal logement » ou à ce que les gens « dorment à la rue » ? Évidemment personne, même si certaines mesures fédérales (comme la politique d’asile) ont conduit très directement à ces résultats (par exemple, quand la ministre fédérale CD&V de l’Asile et de la Migration a préconisé de ne plus recevoir les hommes seuls demandeurs d’asile dans les centres d’accueil).
Or comme l’a rappelé un médecin de rue au cours de la soirée, en parlant de l’évolution de sa propre pensée sur le sujet, comment pouvoir « soigner » les gens, ou les aider à sortir d’une addiction, s’ils n’ont pas d’abord un toit au-dessus de la tête ? Loger les gens, c’est donc parfois le premier des médicaments. Car la rue aussi rend malade et tue.

Comme l’a signalé Christine en fin de soirée, plusieurs de ces sujets appelleront certainement « un droit de suite » auprès des politiques.
Toc toc toc, qui est là ? C’est le RWLP ! « – Merde, encore eux ! ».
Premier objectif donc à mettre prioritairement au programme des prochaines coalitions gouvernementales : un toit pour tous et toutes et la sécurité alimentaire. Car comment peut-on, dans un pays aussi riche que le nôtre, encore crever de faim et de solitude ou dormir à la rue ?

Claude Semal, le 30 avril 2024

NB : En ouverture de la soirée, le RWLP m’avait demandé de chanter « Dormir au chaud », une chanson de l’album « En fanfare », qui a ensuite été reprise par BJ Scott et Paul Personne. J’étais accompagné par Palcal Chardome à la guitare et par la chorale Charivari, pour qui Pascal avait écrit un très bel arrangement de voix.

Reportage photos : Michel Wittek (sauf autres indications).

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