LE “THÉÂTRE LE CAFÉ”, POUR MÉMOIRE ET EN REVUE

Je viens de passer une heure trente dans une machine à remonter le temps.
J’ai revu presque entièrement la “Revue du Café” numéro Quatre, dite la “bruxelloise” (1995). J’y interprétais, déguisé en improbable Tintin, un sketch en bruxellois dont j’avais même oublié jusqu’à l’existence, “la pelade”, avant d’y créer, seul à la guitare, ma chanson “La Façade” (qui reste il est vrai très “bruxelloise”).

Le 158 rue de la Victoire à Saint-Gilles

Mais je me suis surtout replongé, avec une certaine nostalgie, dans l’incroyable ambiance de ces “Revues du Café”, qui regroupaient presque mensuellement vingt-cinq artistes du spectacle, sur la petite scène du “Théâtre le Café” (6m x 4m), devant une soixantaine de spectateurs complices. Et quelle affiche, les amis !
Nous avions toustes entre 30 et 40 ans, et beaucoup allaient ensuite faire des “carrières”, collectives ou en “solo”, en France ou en Belgique, parfois assez spectaculaires.
Jugez plutôt. Il y avait ce soir-là, sur notre petite scène saint-gilloise, Christian Hecq, Karina Bonan, Françoise Walot, Sing-Sing (Patrice Baraldi, Livio Danna, Pierre Léonard, et Pierre Bodson), Charlie Degotte, Marie-Pierre Meinzel, Marie-Paule Brauers, Christine Hankar, Diane Broman, Sabra Ben Arfa, Jessica Tamsma, Pierre Dherte, Ivan Fox, Jan Hammenecker, André Simon, Nina & les Klet Mariet (4 danseuses)… et moi-même. Plus un chanteur et un pianiste dont j’ai malheureusement oublié le nom (… déjà que j’avais oublié ce que moi-même j’y faisais !).
Pendant que chacune et chacun “faisait son numéro”, les autres attendaient religieusement dans la petite pièce à l’étage, souvent assis à même le sol, en suivant le déroulement de la soirée sur un petit écran vidéo.
Oh ! Cela n’a sans doute pas révolutionné le théâtre, et encore moins la chanson. Mais ce petit lieu à l’esprit libertaire, a été je crois pendant quelques années le creuset d’une vraie créativité collective.

La salle était dans une arrière-maison, une ancienne écurie

Je l’avais ouvert avec Charlie Degotte et Benoit Joveneau, en abattant de nos mains le mur central d’une vieille écurie, un ancien relais des Postes, fréquents autour de la Porte de Hal, pour y inaugurer une petite salle de spectacle à l’arrière du Restaurant Cartigny (dont le patron, “fils de”, était… un “libéral marxiste” – sic !) (1).
Charlie et moi avons bénévolement animé ce lieu pendant cinq ans, sans jamais toucher un balle pour cela. Nous l’avons très souvent prêté pour des répets ou des créations, mais nous ne l’avons jamais “loué”. Une certaine idée peut-être de la création et de la propriété collective des moyens de production (qu’est-ce d’autre, finalement, un théâtre ?).
Quand j’en ai eu marre, car il fallait aussi bouffer, j’ai filé notre salle et nos maigres subsides à une autre équipe (rassemblée autour de Françoise Walot et Lisou de Henau) sans chercher à m’accrocher moi-même à ce lieu et à ce subside (comme l’aurait sans doute fait n’importe quel futur “directeur de théâtre” normalement constitué).
(Charlie, avec une “élégance” comparable, refusa plus tard les 25.000 euros qu’on avait “généreusement” octroyés à son ASBL, au lieu des 100.000 qu’il demandait pour pouvoir réellement continuer à créer et travailler).

Pour la scène, nous avions récupéré le décor de “Yzz, Yzz”, le spectacle “Tout Shakespeare” de Degotte

Pour Charlie Degotte, qui les pratiquement toutes “ourdies”, ces “revues” étaient le prolongement naturel des “Lundis / Maandagen”, qu’il avait animés de 1985 à 1990.
Ces show-cases burlesques et multi-styles faisaient office de vitrine artistique mensuelle et ludique de la boîte de prod Addison De Wit, qui faisait alors internationalement “tourner” plusieurs gros spectacles contemporains (dont ceux de Wim Vandekeybus).
D’une certaine façon, elles furent aussi les héritières du spectacle “Music-Hall” (1989), où nous avions travaillé sur la “forme” du music-hall historique (chansons, danse, magie, animaux et numéros burlesques).
La “revue du Café” s’est par ailleurs progressivement “professionnalisée”.
Xavier Schaffers devint “l’administrateur” du projet (puis de la Cie de Charlie) car il fallut aller chercher des subsides pour financer le bazar et contractualiser les gens. Quelques années plus tard, dans le cadre de “Bruxelles 2000”, la “revue” fut invitée dans les plus prestigieux théâtres bruxellois (comme le Théâtre National) et se vendit même quelques fois en France.
Mais j’étais à l’époque engagé sur d’autres productions françaises (dont la création d’une comédie musicale à Nantes avec Michel Arbatz) qui limitèrent ma participation à des travaux d’écriture (notamment les textes du “ministre”, qu’interprétait alors chaque fois Serge Larivière mieux que je ne l’aurais fait moi-même).
Ces “grosses” productions, qui générèrent pour l’occasion de “vrais” contrats, “justifiaient” aussi à postériori, aux yeux des “syndicalistes” que Charlie et moi étions aussi, les “works in progress” de nos premières “revues”, où le “partage” de la “caisse” entre trente personnes nous permettait à peine de payer nos consommations au bar.

J’y ai joué la 300 ème de “Odes à ma Douche”

Bref. Si vous voulez vous replonger vous aussi dans cette période, ou la découvrir, le site de l’ASBL de Charlie, “Aucun Mérite ASBL”, est une mine d’or où tout cela est chronologiquement soigneusement conservé. Le son est souvent pourri, l’image à l’avenant, mais si, à votre tour, vous voulez vous aussi monter dans la machine à remonter le temps…

Claude Semal le 23 avril 2023

 

(1) Yvan, le cuisinier-proprio, était le fils de René, une des grandes figures du libéralisme à Bruxelles, qui a donné son nom à l’Institut Technique René Cartigny à Ixelles. Pour la petite histoire, j’ai fait mes “primaires” juste en face, à l’école communale N°13.

Avec Ivan Fox, la marionnette-poulet de “Oedipe à la Ferme” a été crée dans une “revue”, avant de devenir un “vrai” spectacle qui a été joué plus de cent fois à Bruxelles, en Wallonie et en France – sold out à Avignon pendant un mois.

(Photo : A l’ouverture du Théâtre Le Café, devant la porte de la salle, avec Michel Carcan, qui fit partie de l’aventure pratiquement depuis le début. Le logo du Théâtre, que l’on aperçoit derrière nous, est dû au talent de Jean-Claude Salémi).

NB : pour les Semalologues, il y a également une captation complète de “Music-Hall” (1988) et de “68 Circus” (2018). Et un “Roi L” où Charlie m’avait déjà mis à poil (… en 1985 !) pour incarner le Roi Lear, et où, pour figurer “la tempête”, j’avais passé six minutes sous une douche d’eau glacée de cinq mètres, qui avait été pompée dans le sous-sol de la Caserne Dailly. Trembler à poil dans des bottines de ski, en “parlant” avec la voix enregistrée de René Hainaux, c’était une expérience théâtrale “originale”…
Et pour les Degottologues, sur son site, il y a … tous ses spectacles (sauf “Odes à ma douche”).

https://www.aucunmerite.be/index

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