LES RUSES DE LA LITTÉRATURE CONTRE LES CENSEURS par Gilbert Laffaille

Mes récents démêlés avec Facebook et le débat actuel sur l’intelligence artificielle me font penser qu’en tous temps, en tous lieux, de la Rome antique aux mazarinades, de l’Union soviétique au Chili des colonels, les écrivains, poètes, fabulistes… ont usé de subterfuges pour faire passer des idées opposées au pouvoir.
Je crois l’heure venue de nous exprimer de façon oblique. Occasion de nous réapproprier les vieilles figures de style de la langue française et de saluer la mémoire d’Anne Quesemand qui, outre ses talents d’accordéoniste, de dramaturge, de directrice du regretté Théâtre de La Vieille Grille, était aussi… agrégée de lettres classiques! (1).
Ce bel ouvrage, « Elles sont tropes ! », illustré par Laurent Berman, autre personnage aux multiples talents, autre pilier de La Vieille Grille, explique les : métonymies, synecdoques, ellipses, périphrases, zeugmes, aphérèses, antonomases, paronomases, métaphores, anadiploses, apocopes, crases, euphémismes, syncopes, hypallages, catachrèses, kakemphatons, synchyses, épanalepses, anacoluthes et autres figures qui vous permettront de ruser avec les mots interdits, berner les censeurs, dire le contraire de ce que vous semblez dire, faire la nique aux pisse-froid, bref moucher les algorithmes et déstabiliser les correcteurs automatiques.

Qu’est-ce donc qu’une synchyse ? me demande le porte-parole du gouvernement. C’est un bouleversement de la syntaxe habituelle. Exemple: « D’amour mourir me font, belle marquise, vos beaux yeux… » ou: “Dans un an plus un seul il n’y aura de SDF dans la rue“.
Qu’est-ce qu’un hyppalage ? me demande le ministre de l’agriculture, pensant qu’il s’agit d’une affaire chevaline.
C’est attribuer à un mot ce qui appartient à un autre. Exemple ? « Le bruit ferrugineux du grelot” (Proust).
Qu’est-ce donc alors qu’une éparnothrose ? me demande la ministre des gidouilles et de l’économie numérique. C’est une autocorrection permettant de revenir sur ce que l’on a dit.
Je vous donne un exemple: je suis de gauche, oui, de gauche, profondément de gauche, que dis-je, toute ma famille est de gauche mais il y a des gens bien partout, il ne faut pas être manichéen, ça ne sert à rien de dresser une partie du pays contre l’autre, nous avons besoin de réformes et d’unité et je n’irai pas par quatre chemins, je suis pour la mesure et pour la paix sociale, au point d’équilibre, au centre, que dis-je, du côté du cœur et de la solidarité et personne ne m’entraînera sur ce terrain-là, je connais vos procédés, que dis-je, je suis avant tout français, démocrate et patriote, et si être patriote c’est être de droite, eh bien alors oui, monsieur, je suis de droite! Nom d’un zeugme!

Gilbert Laffaille (sur sa page Facebook)

(1) https://www.editionsalternatives.com/site.php?type=P&id=386

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