L’ESPRIT COCHON DE NOËL par Christophe Smets (sur facebook)

Le Cochon qui dit non (allez savoir pourquoi)

Il est jeudi matin sur la Terre, dans une petite boucherie située au bord de la frontière française, entre Ardennes et Gaume comme on dit ici. Le magasin est rempli de gens qui attendent. Quelques dindes malchanceuses attendent aussi, mais elles, dans l’étalage. Ca sent Noël à plein nez.
Le boucher ressemble à un boucher. Il n’a plus vraiment de cheveux, mais il a du bide et le regard de ceux dans les mains desquels on ne voudrait pas passer. Ses clients, il les connaît, et blague tout sourire et les joues rouges, avec l’un d’eux. L’odeur de la saucisse fumée remplit l’espace tout entier. Aucun nez ne pourrait s’en échapper. Mais pourquoi résister ?
Les vendeuses s’affairent. Il leur faudrait quatre mains chacune car le temps est compté pour servir tout le monde. Les préparatifs de la fête n’attendent pas.
Un homme est servi. Il sent bon la jeune soixantaine. Le boucher et ses vendeuses ont droit à un « merci et bonnes fêtes ». La joie s’exprime sur son visage comme un pâté gaumais. Il rayonne de la certitude que la fête est précieuse et sera belle encore cette année. Noël est ancré en lui comme le terroir. Arrivé à la porte, il s’arrête, se retourne et nous souhaite à toutes et tous de belles fêtes, le regard illuminé.

Je me laisse emplir de cette joie partagée qui me ramène à l’enfance, lorsque la boulangerie parentale était remplie, la veille de Noël, des odeurs de bûches parfumées à la crème au beurre ou à la crème fraîche. Je participais au processus de fabrication par une observation attentive de la cuisson des bandes de gâteau de Savoie qui sortaient du four avant d’être démoulées sur des claies en bois recouvertes d’un linge. Refroidies, elles étaient ensuite étalées sur la table de travail, coupées en deux sur la longueur, puis masquées délicatement. Crème au beurre moka, chocolat, praliné ou nature, crème fraîche nature ou chocolat étaient les goûts de l’époque. Les décorations étaient composées de feuilles de houx en chocolat, de champignons meringués, mais surtout d’un cuberdon sur lequel mon père dressait, à la poche à douille, des pétales de roses en crème. Un art pâtissier aujourd’hui oublié. Je m’en souviens pour lui dont la tête se rapproche chaque jour un peu plus de la confusion des nuages et qui oublie doucement la vie, seul devant sa télé.
Mon rôle devenant plus concret, après la pesée, en indiquant le prix des bûches sur de petites étiquettes en carton. Responsabilité que je prenais très au sérieux puisqu’on ne m’en laissait pas d’autre. Il m’arrivait d’avoir – rarement vu la sévérité de mon père – droit à un « petit bout de chocolat cassé » ou de trace sucrée de la bûche passée devant mes yeux et sous mes doigts. Je pouvais regarder mais pas toucher.
Les plateaux de bûches étaient ensuite emmenés de l’atelier vers le comptoir ou le frigo du magasin, ou les habitants du quartier venaient en nombre retirer leur exemplaire. Ca fleurait bon les sourires et l’esprit de Noël du tout début des années 80. La bûche était un vrai cadeau précieux et estimé dont chacun prenait la mesure. Mes yeux d’enfant y voyaient la joie et le sens de créer du beau à partager.

Sucré salé, même combat. J’ai retrouvé cet esprit le temps d’un jeudi matin sur la Terre, dans cette boucherie ardennaise.
Je voudrais ne pas rentrer à Liège et rester auprès d’elle, la rivière sinueuse et son doux silence qui l’accompagne, elle et ses paysages mystérieux. Mais le temps n’attend pas. Avant de reprendre la route, le rituel obligatoire : saluer les souvenirs et les érables du point de vue, et boire un chocolat chaud chez « Edouard ». La route s’annonce grise et pluvieuse. Sous la nuit qui se prépare, les sapins en rang d’oignon et les prairies qu’on devine vertes m’interrogent : tu reviens quand ?

Samedi matin. Il est temps d’aller chercher en Outremeuse les délicieux speculoos qu’on pourra respirer délicatement avant de les tremper dans le cacao froid.
La vendeuse me les donne.
Sept euros cinquante.
Mercimonsieuraurevoir
Sans un regard.
Ici l’esprit de Noël que j’ai aimé s’est égaré.
Pas de joyeuses fêtes à souhaiter. Pas le temps d’y penser sans doute.
La mécanique du pointage.
On dirait l’usine.
Pas de sourire. Pas d’échange. Pas de bonheur.
Suivant.
Joyeux Noël à toutes et tous.
Fêtez ça bien

Christophe Smets (sur facebook)

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