Manif au temps du COVID : MASQUES, COLSONS ET TABASSAGE (26/1 … et les réactions)

Mon copain Lorenzo Chiandotto, régisseur général bien connu des scènes belges, ex-délégué syndical au Théâtre National, fondateur de l’ATPS, ne décolère pas.
Dimanche à 19 heures, son compte Facebook claquait comme un calicot.
Sa fille avait été embarquée à la manif « contre la justice de classe et la justice raciste », au Mont des Arts à Bruxelles, et elle était toujours au cachot.
Arrêtée en compagnie d’une jeune fille de douze ans ! Elle aussi venait manifester « contre la mort d’Ibrahima, d’Adil, de Mehdi, de Lamine, de Mawda et des autres ».
Une liste qui n’en finit pas de s’allonger (Klod).

Edit 30 janvier : Dernière minute : des jeunes et des parents portent collectivement plainte contre les agissements de la police (voir notre article complet en “une”).

 

Voici le témoignage de sa fille Alessandra, 32 ans :

Bruxelles, 24 janvier 2021. Rendez-vous à 14h place de L’Albertine pour la manifestation « Stop à la justice de classe! Stop à la justice raciste! ». Nous sommes une centaine réunis sur la place. Nous aurions dû être mille mais la manifestation ayant été interdite deux jours avant pour être ensuite tolérée pour 45 minutes, cela a refroidi bon nombres de participants dont les familles des victimes qui devaient témoigner. Tout se passe sans incident, dans le calme et l’écoute. Au bout de 45 minutes on entend le commissaire demander le dispersement. Je pars en direction des galeries St Hubert avec mon ami pour aller manger une gaufre. Quelques instants plus tard nous remontons vers la gare. La foule est dispersée mais les policiers anti émeute sont sortis des combis et sont en formation pour intervenir.

Mon ami va prendre son bus. Je regarde un instant la scène surréaliste. Rien ne se passe, les gens sont en petits groupes dispersés à droite à gauche et franchement si le cirque des policiers n’avait pas eu lieu les gens seraient partis. La curiosité de les voir m’a fait m’arrêter et prendre des vidéos tant c’était grotesque. Un tel déploiement pour une centaine de personnes. Sans heurt. Je ne comprends pas. Je me décide à marcher vers mon arrêt de tram. Pour se faire, je dois passer devant la gare centrale. Encore plus d’effectifs sont présents au Carrefour de l’Europe et surtout, ils sortent les chiens. Ça aboie dans tous les sens. Les policiers se mettent en formation tout autour de la gare. J’hésite à entrer dedans pour rejoindre mon tram via l’autre sortie puis me dis que je vais aller par l’extérieur. A ce moment, la formation est en place. Plus personne ne rentre ou ne sort de la gare ou de la rue. Je demande gentiment si je peux passer, je me fais engueuler par le policier. Je comprends qu’on sera tous embarqués.

Des personnes qui attendaient le bus sont priées de rester aussi. Elles n’étaient pas présentes à la manifestation. Il n’y a plus qu’à patienter. On nous rabâche les oreilles avec les distanciations sociales quand dans ce cas présent la police nous a encerclé à plus d’une centaine d’individus dans un espace restreint. La souricière se resserre de plus en plus. Finalement trois policiers en civil passent entre nous. Ils s’arrêtent à côté de moi et demandent à deux jeunes maghrébins où ils vivent. L’un répond Evere, l’autre je n’ai pas entendu. Les policiers leur demandent de les suivre. Ce cirque se reproduit à plusieurs reprises. Au bout d’une heure et demie, peut-être plus, on est tous évacués. Vérification de carte d’identité, photo sans le masque, fouille, colsons et en chenille au sol en attendant d’être mis dans les bus. On est emmenés à la caserne d’Etterbeek. On se retrouve dans le cachot n°12 avec les autres femmes. 17 personnes maximum qu’il est écrit sur la porte. On est une quarantaine.

Dans le bus j’étais assise à côté d’une fille de 16 ans. Devant moi une autre en a douze. Les parents ne sont pas au courant. Les mineures s’inquiètent. Arrivées au cachot, ils refusent de nous enlever les colsons. On les enlève au briquet entre nous. Ayant accès à leur téléphone, les mineures contactent leurs parents tant qu’elles ont un peu de batterie. Une fille est en cellule avec moi. Elle sortait de la gare et rentrait chez elle après avoir été dans une autre ville faire un test Covid. Elle avait le papier de l’hôpital et son ticket de train en poche. Ils ont refusé de l’écouter. Depuis la montée dans le bus je l’entendais demander qu’on vérifie son papier. C’est finalement bien plus tard dans la cellule que son cas a été entendu. Elle a été libérée avant les autres mais après certainement trois heures de privation de liberté. Après un certain temps, on commence à venir chercher les mineures. Je ne sais pas si elles ont été emmenées dans une autre cellule ou si elles ont été libérées.

On n’est plus qu’une dizaine dans la cellule quand on voit les policiers emmener un jeune hors de la cellule voisine.
Plusieurs filles voient les policiers le tenir au cou. J’assiste à la suite de la scène. Le garçon semble inconscient et est traîné par la tête dans la cellule d’en face. Arrivé en face il se relève. Quatre ou cinq policiers sont en dehors de la cellule. Le même nombre à l’intérieur avec lui. Un coup de poing violent est donné au jeune. On se met à hurler, les flics ferment la porte. On ne verra pas la suite. Après quelques minutes on vient me chercher. Nouvelles photos, nouvelle fouille plus poussée. Signature du papier comme quoi j’ai été privée de ma liberté à 16h, effets personnels mis sous scellé. Je suis placée dans une autre cellule avec uniquement des personnes majeures à l’exception d’une fille. On est finalement libérées vers 21h20.

(témoignage d’Alessandra).

EDIT 26 janvier 2021: un autre témoignage.

EDIT 26 janvier 2021 : Et encore un autre de MuziekPublique vis-à-vis d’un collègue :

EDIT 26 janvier : et encore…

EDIT 27 janvier 2021 : Et encore… Un danseur de la Cie Irène K  :

EDIT 26 janvier 2021:

Que ces événements arrivent trois quatre jours après qu’une vidéo ait tourné sur les réseaux sociaux, en rappelant le racisme systémique d’une partie de la police, avec deux policières en mode bamboula / ratonnage, et puisse se prolonger aujourd’hui avec la bénédiction d’un bourgmestre / chef de la police PS, dans une majorité incluant les écolos, me coupe littéralement la chique. A quoi bon voter pour qui que ce soit si nos droits démocratiques les plus élémentaires ne sont plus défendus par “les nôtres” lorsqu’ils sont au pouvoir ? (Claude Semal)

EDIT 26 janvier 2021 : Sur son blog, Lorenzo a réagi… à la réaction du Bourgmestre de Bruxelles dans “Le Soir”:

DONC, C’EST CONFIRME, BRUXELLES N’EST PLUS UNE VILLE DEMOCRATIQUE.
Je ne décolère pas.
Voici l’article du SOIR d’aujourd’hui juste après mon commentaire.
Une manifestation TOLEREE qui avait quand même pour thème “Stop à la justice de classe, Stop a la justice raciste” se termine par l’arrestation de 245 personnes dont 91 MINEURS, on croit rêver.
Il n’y a pas eu le moindre débordement, rien.
Ce qui est le plus terrible encore, ce sont les mots de Philippe Close, élu socialiste…bourgmestre de la ville de Bruxelles.
Des gens ont refusé d’obtempérer en quittant la zone. » Interpellé sur le grand nombre de mineurs arrêtés, il s’est montré perplexe : «Je m’interroge sur ce que faisaient tous ces jeunes autour de la gare Centrale un dimanche à 16h».
Donc nos jeunes n’ont plus le droit de manifester pour défendre des valeurs démocratiques et un élu se demande ce que faisait des jeunes un dimanche à la gare ?
Comme on le lit dans cet article, c’est une rafle, absolument pas liée à la manifestation, on arrête ceux qui sont présent à la gare.
Plus fort encore : “DES PETITS GROUPES DE PERSONNE PRESENTS TENTAIENT DE SE RENDRE VERS LA GRAND-PLACE”
Donc parents, vos enfants ne peuvent plus aller à la Grand-Place, ne peuvent plus sortir le dimanche, ne peuvent plus exprimer leurs opinions, nos dirigeants en ont décidé ainsi.
Par contre, les policiers peuvent TOUT faire, TOUT.
La soumission à l’autorité excuse tout.
J’en appelle aux policiers parents et respectueux des droits des citoyens de sortir du mutisme. Ma fille, alors qu’elle était en cellule, à entendu des policiers se demander si ils n’avaient quand même pas débordé ….
Je demande également à ELIO DI RUPO, à PAUL MAGNETTE de s’interroger sur le sens du message socialiste, parce que si ils ne recadrent pas leur ministre, ils cautionnent donc des méthodes qui rappellent les moments sombres que nous espérions ne plus vivre. Je rappelle donc à messieurs Paul Magnette, Elio Di Rupo et Philippe Close la définition du socialisme.
La rose au poing, symbole du socialisme
Le mot socialisme recouvre un ensemble très divers de courants de pensée et de mouvements politiques, dont le point commun est de rechercher une organisation sociale et économique plus juste. Le but originel du socialisme est d’obtenir l’égalité sociale, ou du moins une réduction des inégalités et, notamment pour les courants d’inspiration marxiste, d’établir UNE SOCIETE SANS CLASSES SOCIALES.
c’était quoi encore le message de cette manifestation ?
Lorenzo.

EDIT 30 JANVIER : le témoignage d’Alexandre (le papa) et de Simon:

Mon fils Simon 16 ans a été arrêté par la police. C’était en marge de la manifestation de dimanche. Lorsqu’il m’a raconté ce qu’il a vu et subi j’ai pensé à la Biélorussie.

Son récit s’intitule « Fermez vos gueules fils de putes »

« C’était Dimanche. On voulait se faire entendre. Nous, c’est près de 150 jeunes qui manifestaient contre les violences policières. En face il y avait près de 500 hommes armés, matraqués, casqués, des canons à eau, des chiens, des chevaux, un hélicoptère. Le délire. Ils se sont mis à hurler et n’ont plus jamais arrêté. C’est allé vite, en quelques minutes le cercle s’est refermé sur nous. J’étais coincé contre un mur de boucliers. On m’a mis à terre et on m’a lié les poignets.
On nous a ensuite emmenés aux casernes. On m’y a enfermé dans une cellule avec 26 autres garçons, tous mineurs comme moi. Il y avait du bruit. Beaucoup de bruit. Des hurlements, des insultes, des coups qui tombent. On a plus de contacts avec le monde extérieur, on est aux mains d’une bande d’excités. Dans ma cellule certains viennent d’arracher l’urinoir. Ils le jettent contre les grilles. Ils provoquent la police. J’ai peur. Les flics vont forcément débarquer.
J’entends des cris dans la cellule d’à côté. C’est comme ça que je crierais si on me tabassait. Alors je me penche et je vois une silhouette en uniforme qui frappe. De toutes ses forces, sans entendre les supplications. Moi, je n’entends que ça. Les « Pitié ! », les « Arrêtez !». Tout s’arrête finalement, le jeune est emmené hors de la cellule, il ne sait plus marcher.
Cette fois, c’est notre tour. Ils sont une dizaine, ils entrent masqués, certains en tenue de combat, tous avec une matraque.
Ils appellent « P». mon ami. Pourquoi lui ? Car sa peau est noire ? Je le vois docile qui se lève. Un premier coup derrière la tête. Il subit sans rébellion. Il est tétanisé.Il est jeté face contre sol. Ils s’y mettent à 5 pour le battre à coups de pieds. Ils l’emmènent. L’angoisse nous prend à la gorge. Que vont-ils faire de lui ?
Ca semble absurde aujourd’hui mais à ce moment-là, dans un climat d’une telle violence je me demande si je vais le revoir vivant.
Je suis cloué au banc, de peur, de froid. Je me sens en danger. Ceux qui représentent la sécurité me terrorisent. Il n’y a plus rien pour me protéger.
Ils nous accusent, une torche dans une main qui nous aveugle, une matraque dans l’autre.
Ils hurlent :
« Fils de Putes !», « Bande de salopes ! », « Sales chiennes ! »
« Quelle est la pute qui a cassé l’urinoir ? »
« La pute ». J’ai dû mal entendre.
« Vous fermez bien votre gueule là hein maintenant? ».
La torche s’arrête juste à côté de moi.
« Baisse les yeux !».
Pas assez rapide. Il se la prend. La gifle. De plein fouet. Elle fait craquer sa nuque et sa mâchoire. Le sang bat dans mes tempes. La colère, l’injustice. L’envie d’hurler moi aussi. Et puis se rappeler de mon impuissance. Alors c’est le froid qui revient, tout à l’intérieur de mon corps. Baisser les yeux. Me faire oublier. La cellule se vide.
Il est 22H. Le cauchemar a duré 6 heures. J’appelle mon père. La police ne l’avait pas averti de mon arrestation. J’entre dans la voiture. J’éclate en sanglots. Jusqu’au lendemain, je ne dirai plus un mot. (SIMON)

Voici l’article du Soir:
Philippe Close justifie le grand nombre d’arrestations
Le bilan des arrestations menées en marge de la manifestation « Stop à la justice de classe, stop à la justice raciste » organisée dimanche à Bruxelles par plusieurs organisations de gauche a encore gonflé. La police rapporte au total 245 arrestations administratives (dont 91 mineurs). Pour rappel, alors que la manifestation n’avait pas été autorisée par le bourgmestre Philippe Close (PS) mais seulement annoncée comme « tolérée » entre 14h et 14h45, les forces de l’ordre expliquent avoir décidé de procéder à des arrestations après avoir constaté que de petits groupes de personnes présents tentaient de se rendre vers la Grand-Place.
Ce lundi, des témoins se sont rassemblés peu avant la tenue du conseil communal de Bruxelles devant l’hôtel de ville, avec le concours de l’élue PTB locale Riet Dhont. Plusieurs mineurs ont expliqué avoir été pris dans le filet policier puis arrêtés alors qu’ils ne faisaient que passer. Certains ont raconté avoir été victimes ou témoins de coups et d’injures. « Ces plus de 230 arrestations alors qu’il n’y avait que 150 manifestants environ, ça montre que quelque chose ne va pas, » s’interrogeait pour sa part Axel Farkas (Gauche Anticapitaliste), co-organisateur de la manifestation. Interpellé au conseil communal ce lundi, Philippe Close a cependant réfuté l’idée d’une répression disproportionnée. Pour lui, qui explique avoir suivi tous les événements depuis le poste de commandement de la police, celle-ci a eu raison d’intervenir : « Des gens ont refusé d’obtempérer en quittant la zone. » Interpellé sur le grand nombre de mineurs arrêtés, il s’est montré perplexe : « Je m’interroge sur ce que faisaient tous ces jeunes autour de la gare Centrale un dimanche à 16h. » A.SE

1 Commentaire
  • Lorenzo Chiandotto
    Publié à 16:45h, 25 janvier

    Bienvenue au pays du surréalisme. Décidément ce petit pays n’arrêtera plus de nous surprendre. Je pensais que nos élus étaient un tant soit peu démocrate, mais finalement, qu’attendre d’un gouvernement qui laisse une ministre de l’intérieur lancer un appel à la délation ?

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