Une interview de la présidente de la LDH : “MESURES SANITAIRES” CONTRE “DROITS HUMAINS”?

Depuis l’arrivée du Covid-19, on peut avoir l’impression que les droits humains ont disparu des préoccupations, c’est à peine s’ils ne sont pas devenus des gros mots. Si l’on peut comprendre des réactions d’urgence, sinon d’affolement, au début de l’épidémie, dix mois plus tard cette indifférence ne cesse d’interroger. Toute critique est renvoyée au mieux à une “rébellion de principe”, au pire au “complotisme”.

Au nom des “mesures sanitaires”, la population semble accepter très largement des restrictions de libertés fondamentales. On évoque beaucoup en ce moment les malheurs des touristes, privés de déplacements à l’étranger, mais les interdictions touchent aussi le droit de se réunir et de manifester, comme ce dimanche encore à Bruxelles, où un rassemblement (non autorisé mais “toléré”) a été une fois de plus rudement réprimé (voir aussi dans La réalité dépasse l’affliction : “Manif au temps du Covid  masques, colsons et tabassage”).

Le comble a sans doute été atteint à la mi-janvier lorsque les mesures de restrictions ont été prolongées jusqu’au 1er mars sans le moindre débat ni même communication publique, sinon une parution dans le Moniteur (lecture quotidienne de tou·tes les Belges, c’est bien connu). Il y eut alors quelques protestations, vite retombées après que la Ministre de l’Intérieur, Annelies Verlinden, ait présenté de molles excuses.

Quelques voix se sont pourtant élevées, comme celle d’Anne-Emmanuelle Bourgaux, constitutionnaliste à l’UMons, dénonçant un “burn-out constitutionnel “.

Le 20 janvier, la Libre publiait une Carte blanche dénonçant les atteintes aux droits fondamentaux, co-signée par des syndicalistes, des magistrat·es, des avocat·es, des académiques et des responsables de la Ligue des Droits Humains (LDH).

Nous avons voulu aller plus loin avec Olivia Venet, présidente de la LDH.



Irène : Dans la Carte blanche publiée dans la Libre, les signataires plaident pour la nécessité de “combattre la Covid-19 sans saper les fondements démocratiques”. En quoi les fondements démocratiques sont-ils actuellement sapés?

Olivia Venet : Notre première inquiétude porte sur l’absence des parlementaires. Les décisions se prennent par arrêtés ministériels et royaux, avec de moins en moins de débats et de transparence.

La séparation des pouvoirs, c’est la base de l’Etat de droit. Or actuellement l’exécutif décide seul.

C’est un déséquilibre qui existe depuis longtemps, mais il s’aggrave dangereusement. Nous voulons dire aux parlementaires : prenez les choses en mains, on vous attend!

Irène : Que pensez-vous de l’acquittement d’un homme qui comparaissait pour non port du masque, le juge estimant l’obligation du port du masque dans l’espace public contraire à la Constitution?

Olivia Venet : Le juge a estimé qu’il n’y avait pas de base légale suffisante. Cela rejoint nos préoccupations : des décisions prises par simple arrêté ministériel, ce n’est pas suffisant.

Mais plus largement, depuis le début nous regrettons que les restrictions soient imposées sous peine d’amende, plutôt que d’être expliquées, en se basant sur la confiance, le respect.

Irène : Si on veut se faire l’avocate du diable, on peut faire remarquer que pour les vacances de Noël, les départs à l’étranger n’étaient pas interdits mais “fortement déconseillés”, ce qui n’a pas empêché 150.000 Belges de partir.

Olivia Venet : Il faudrait voir ce que représentent ces voyageurs par rapport à ceux qui voyagent habituellement. Il y a toujours des gens qui ne respectent pas les règles. Il y en aura aussi qui contourneront les interdictions ou les obligations au retour.

A force d’imposer plutôt que d’expliquer, on infantilise les gens et on renforce le complotisme.

Irène : Dans la Carte blanche, vous écrivez aussi que les mesures doivent être ciblées, proportionnées et temporaires. Actuellement, elles ne le sont pas?

Olivia Venet : Pour la proportionnalité, c’est évidemment difficile à dire. On est face à une crise inconnue et le rôle de l’Etat est bien sûr de protéger le droit à la vie. Le problème c’est que la règle devrait être la liberté, et les restrictions l’exception. Or actuellement, dans le doute, on interdit. On pouvait le comprendre au début de la pandémie, mais plus le temps passe plus la question se pose.

De plus les mesures sont discriminantes. Elles ne sont pas appliquées de la même façon dans toutes les zones de police ; des sanctions ont été imposées pour des infractions mineures, comme le fait de se trouver dehors quelques minutes après le couvre-feu… Et pour ce qui concerne les amendes, tout le monde n’a pas les mêmes capacités de payer.

Si au lieu de sanctionner on se donnait la peine d’expliquer, les gens pourraient mieux comprendre. Il faudrait aussi davantage impliquer les citoyens, par exemple par des assemblées avec des citoyens tirés au sort. Ce serait particulièrement important de faire participer les jeunes aux décisions, eux qui sont la cible de critiques alors qu’ils doivent faire tant de sacrifices, bien qu’ils courent le moins de risques sanitaires.

Irène : En ce qui concerne la vaccination, que pensez-vous d’une éventuelle obligation ? Ou encore de ce “passeport vaccinal” de plus en plus souvent évoqué?

Olivia Venet : C’est un sujet encore un débat à la LDH. Il existe bien une base légale pour imposer la vaccination (c’est le cas de la polio), certains vaccins sont aussi obligatoires pour l’admission des enfants à la crèche.

En gros nous sommes pour une vaccination non obligatoire, mais aussi large que possible. Il s’agit tout de même d’assurer une protection collective. Cependant, l’opacité des contrats avec les firmes pharmaceutiques, avec des clauses de confidentialité abusives, contribue à une défiance de la part de la population.

Quant à un « passeport vaccinal », cela existe déjà pour des voyages dans certains pays qui exigent une vaccination contre la fièvre jaune. Là où ça poserait problème, c’est s’il s’agissait de restrictions d’accès à des services publics, comme les transports en commun.

Irène : La Carte blanche insiste aussi sur le risque que les mesures actuelles ne disparaissent pas avec la pandémie.

Olivia Venet : Nous avons des inquiétudes autour du respect de la vie privée, comme avec le développement de bases de données médicales. Quand des mesures de cet ordre sont acceptées, on revient rarement en arrière.

De même, nous craignons que cette habitude prise par le gouvernement de décider seul, sans débat, comme il le fait depuis des mois, perdure au-delà de la pandémie.

On peut craindre aussi les effets sur la culture. Il faudra admettre que des secteurs comme la culture, l’éducation, la justice, la santé, n’ont pas à être rentables financièrement. Ils le sont autrement.

Un définancement de la culture ou du secteur associatif, ce serait une perte de garde-fous et de contre-pouvoirs, d’autant plus indispensables que nous vivons un moment d’autoritarisme.

 

Interview et retranscription par Irène Kaufer le 22 et le 25 janvier 2021.

 

4 Commentaires
  • Thierry Toussaint
    Publié à 13:48h, 31 janvier

    Bonjour ce serait intéressant d’entendre les partis “progressistes”. C’est quoi ce silence ? Ils tellement la trouille des élections 2024, du Vlaams Blok Belang et de la NVA ? Comme quoi, on n’a pas besoin de ces derniers pour vider la démocratie de sa substance 🙂

  • Françoise de weirt
    Publié à 11:51h, 30 janvier

    Bien d´accord, il est évident que lorsqu´on fait participer les personnes dans la mise en œuvre d´une démarche, celle-ci est beaucoup mieux acceptée. Question de respect finalement

  • Catherine Vegairginsky
    Publié à 11:28h, 30 janvier

    Mais c’est bien sûr!!

    • Françoise Michel
      Publié à 14:39h, 30 janvier

      Tout à fait d’accord. Il y a le manque d’investissement de la part des parlementaires et d’informations cohérentes à la population. Ces contrats invisibles avec les industries pharmaceutiques sont l’exemple parfait. Leur manque de clarté est un des éléments qui me fait hésiter à l’accepter la vaccination.

Poster un commentaire