MÉTRO 3 ET GOUFFRE FINANCIER par Gwenaël Breës

Mardi soir, il y avait un débat sur le métro 3 à Bruxelles. Grande première !
Depuis les 5 années (au moins) qu’a été mis sur les rails ce colossal projet d’infrastructure, l’un des plus grands de l’histoire de la Région bruxelloise, c’était la première fois que des ministres venaient en débattre avec le commun des mortels.
Deux membres du gouvernement étaient en effet autour de la table : la ministre de la mobilité Elke Van den Brandt et le ministre du budget Sven Gatz.

Ce n’est pourtant pas faute que ces démocrates, évidemment adeptes de la “participation citoyenne”, veuillent débattre de ce dossier qui occupe tant la classe politique bruxelloise.
Il suffisait de les appeler, et les voilà.
C’est ce qu’a fait le BRAL.Brussels, qui doit être remercié pour cela.
Car à défaut de processus de concertation, un projet aussi impactant pour la région mérite bien que deux ministres descendent dans l’arène, au moins une fois sur la législature, pour discuter deux heures avec une cinquantaine de personnes.
Alors, qu’a-t-on appris ? Petit compte-rendu subjectif…

D’abord, on n’a pas évité quelques lieux communs et un peu de langue de bois, mais c’est de bonne guerre.
Le métro 3 “est important parce que Bruxelles est importante”. C’est un projet essentiel, impératif, un “quoiqu’il en coûte” comme dirait l’autre, l’avenir ne se conçoit tout simplement pas sans lui. Car que deviendrait-on sans transformer en métro les connexions de trams existant sur cet axe ? Quelle autre priorité s’offre à nous, simples mortels, si ce n’est de faire gagner du temps aux gens qui vont de Forest à Evere et vice-versa ?
Pardon, vous dites ? Pas tous les gens, certes : ceux qui font des trajets courts perdront du temps avec le métro. Plaît-il ? Il n’y a jamais eu d’étude sérieuse sur la demande et sur le profil de ses futurs usagers ?
La pertinence de ce projet est régulièrement justifiée par la saturation des lignes actuelles de trams sur le même axe, alors que ces chiffres n’ont jamais été rendus publics ?
Oui, bon, ne nous attardons pas sur des détails. Allons de l’avant. Ce qui est important, c’est “les gens”. On travaille “pour eux”.

Devant un parterre dubitatif, voire critique, les nuances se font soudain plus importantes que dans les médias ou au parlement, et les esquives plus flagrantes. Il y a quasi des confessions.
Bien sûr, le métro 3 est un projet dont on ne connaîtra peut-être, de notre vivant, que les chantiers, les accidents de chantiers, les hausses de budget et les conséquences sur les politiques publiques. Mais c’est bien là notre grandeur d’âme, n’est-ce pas ? Nous ne cherchons pas à résoudre les problèmes de mobilité pour notre petit bénéfice égoïste de vivants.
Non : nous travaillons “pour les générations futures”, celles d’après les rapports du GIEC. On ne voudrait pas leur laisser un monde suffoquant et irrespirable, aux générations futures. Laissons leur donc un métro. Un métro automatisé qui parcourra pendant 100 ans les 10 km séparant Forest d’Evere. Ça mérite bien qu’on les endette un peu, les générations futures.
Parce que l’ardoise sera salée : le budget initial prévoyait un coût de 900 millions, on parle à présent de 4 milliards… et au final ce sera peut-être plus !

Au fond, personne ne sait vraiment. Vous dites ? Avec cet argent, on pourrait faire 300 km de tram en quelques années, ou 15.000 logements sociaux, ou d’autres choses encore ? Vous avez raison. Mais de toutes façons, on n’a pas cet argent. Alors à quoi bon ergoter ? On ne va tout de même pas lésiner pour les générations futures…
On va leur transmettre un modal shift tout prêt à l’usage, aux générations futures.
Vers l’an 2040, quand le métro 3 sera fonctionnel, elles n’auront plus qu’à abandonner leur voiture et faire Forest-Evere et Evere-Forest en métro.
D’ailleurs, l’étude d’opportunité du métro 3 dit qu’elles seront pas moins de 0,6% à renoncer à l’auto grâce à cette nouvelle ligne. Magique, non ?

Vous trouvez ça un peu trop tardif et trop faible comme perspective de diminution de la congestion automobile ? Pas grave : on va leur demander de l’abandonner avant, leur voiture. Maintenant, tiens, là tout de suite ! Et tant pis s’il faudra un peu de patience avant que les alternatives de mobilité soient plus efficaces.
On peut pas tout faire d’un coup, quand même. Pour l’instant, le métro 3 mobilise toutes nos attentions et tous nos moyens. Même ceux qu’on n’a pas, alors vous pensez bien…
Car il reste quelques milliards à trouver pour la partie nord de la ligne. A tel point qu’on imagine recourir à un partenariat public-privé… En attendant, on fonce sur le tronçon sud, parce que sans lui, le tronçon nord ne sera pas exploitable.

Le Palais du Midi ? Oui, on est vraiment so sorry de devoir le démolir, vous savez, c’est tellement injuste pour les riverains de l’avenue de Stalingrad. La responsabilité de l’entrepreneur ou de la STIB dans ce désastre ? Ils ont mal géré, c’est vrai, mais on ne sait pas vraiment à qui en incombe la faute.
Ne nous chamaillons pas inutilement, regardons plutôt vers l’avenir et apprenons des erreurs du passé. De toutes façons, on ne fait pas d’omelette sans casser des œufs et on ne met pas la charrette avant les bœufs, enfin, tout ça quoi…
Hé, psssst… notez qu’on ne le fera peut-être jamais, le tronçon nord (même si on fonce sur le tronçon sud et qu’on démoli le Palais du Midi au passage). Je dis ça entre nous, puisqu’on est entre gens bien, ici, et qu’au fond vous restez des électeurs.
C’est vrai, quoi, à force, on ne sait plus vraiment, nous. C’est devenu un peu touchy comme sujet, le métro 3. Vous avez raison de vous demander si c’est réellement un bon projet. On n’a pas la science infuse, nous. On est juste ministres.
On est là pour gérer, trouver des solutions, faire des choix. D’ailleurs, le métro 3 c’est pas vraiment notre choix : il date de la majorité précédente. Alors, bon, je dis ça je dis rien, mais sachez que la décision est reportée à la prochaine législature. Après les élections, quoi. D’ici là, le futur gouvernement pourra “mieux étudier” tout ça…

Gwenaël Breës

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