MICHEL ONFRAY, TOUJOURS PLUS À DROITE

J’éprouve pour Michel Onfray un curieux mélange de sympathie, de fascination et de répulsion. Comme si j’avais observé, derrière la vitre d’un aquarium, un gracieux animal exotique, ondoyant, coloré et venimeux. Ah ! ? C’est donc à cela que cela ressemble, un “traître” ? Car il est devenu pour moi évident que Michel Onfray, dont j’ai autrefois pu partager quelques combats et certaines analyses, roule aujourd’hui plein pot pour Marine Le Pen.

Étrange tête-à-queue pour ce philosophe “libertaire” qui, en 2002, avait créé l’Université Populaire de Caen en réaction à la présence de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle, qui en 2007, avait encore appelé à voter pour Olivier Besancenot, et qui, jusqu’en 2010, tenait même une chronique dans le très “gauchiste” Siné-Hebdo ! Décidément, les AVC, les virus et les deuils ont parfois de bien curieuses conséquences (1).

Intellectuel brillant, pédagogue inspiré et polémiste redoutable, Onfray a toujours parlé et pensé aussi vite qu’il écrivait. Cent-dix-neuf livres depuis 1988 !
Comme si cet ancien étudiant boursier, qui devait bosser pour payer ses études de philosophie, voulait en permanence rappeler l’étendue de son savoir encyclopédique, et revalider trois fois par an sa position sociale d’intellectuel médiatique.
C’est qu’avec un père ouvrier agricole et une mère femme de ménage, Michel Onfray est l’un des seuls, dans le petit monde de l’intelligentsia française, à pouvoir revendiquer des origines “réellement” populaires.
Un des seuls aussi à se réclamer explicitement du socialisme “non marxiste” de Proudhon et d’autres penseurs libertaires.
Deux choses qui me le rendaient plutôt sympathique (même si, pour ma part, je me considère toujours comme “marxiste”).
Mais comme le résume aujourd’hui sa notice Wikipédia : “Alors qu’il se définit comme libertaire et proudhonien, il suit une évolution intellectuelle qui le pousse vers l’extrême-droite”. Il n’y a pas moins de six références bibliographiques, ensuite, pour justifier le contenu de cette phrase.
Ce parcours, il est vrai, a de quoi étonner. Et, bien qu’il s’en défende, le constater n’est pas lui faire un imaginaire procès. Il suffit de lire ou d’écouter n’importe quelle intervention de Michel Onfray pour s’en convaincre.

On savait déjà, depuis la campagne présidentielle de 2012, qu’Onfray était explicitement anti-mélenchoniste (2). Il n’est pas le seul, me direz-vous. Certes.
Mais il y met une virulence et une constance que seule Nathalie Saint-Circq pourrait peut-être lui disputer sur France 2 (3).
Car depuis cette date, chaque fois qu’Onfray ouvre la bouche, dans tous les médias réactionnaires où il a désormais son rond de serviette, c’est pour associer Mélenchon à la guillotine et aux pires dictatures de la planète, ou pour colporter à son sujet tous les ragots de l’extrême-droite – dont celui sur sa prétendue “fortune” (4).
De plus, depuis la création de la NUPES, c’est non seulement toute la France Insoumise qui est associée à cette même détestation, mais l’ensemble de la gauche parlementaire, sous l’étiquette infamante de “gauche des barbelés et des miradors” (5). Brrrr.
Tremble, Peuple de France ! Les socialistes, les écologistes et les insoumis préparent les futurs goulags de la République, quand ils ne sont pas déjà en train de dresser leurs guillotines entre les platanes des places publiques ! (Attention, lecteur distrait : cette phrase est ironique).

Ce délire, qui repeint les parlementaires de la NUPES en tchékistes guillotineurs (ou, variante tout aussi débile, en punks à chien débraillés), ferait presque rire, s’il ne s’accompagnait pas, très symétriquement, d’une banalisation permanente du Rassemblement National, et d’une valorisation constante de Marine Le Pen, qui est visiblement devenue l’égérie du “souverainiste” Onfray.
Ecoutez-le par exemple discourir dans l’émission “Punchline” sur Europe 1 et CNews (mis en ligne sur Youtube le 10 février 2023). Onfray, qui est interrogé par Laurence Ferrari sur la “bataille des retraites” au Parlement, lui répond ceci :
– “Le problème, c’est que la NUPES se projette déjà dans la prochaine élection présidentielle, Mélenchon ira, et Le Pen ira aussi. L’une joue une espèce de respectabilité...”
Ferrari : – “Marine Le Pen ?
Onfray :– “Oui… On est bien poli, on est bien peigné, on est propre, on est bien habillé, pendant que l’autre veut transformer le Parlement en ZAD… Une façon de dire, la démocratie, on en a rien à faire, le Parlement, on n’en a rien à faire, ce que veut le peuple, on n’en a rien à faire … Je regrette, mais les gens qui ont voté pour Marine Le Pen, c’est le peuple aussi, ce n’est pas le peuple de Mélenchon (…).
Ferrari : “… Et c’est à Marine le Pen que tout cela va profiter ?“.
Onfray : – “Pour l’heure, cela ressemble à ça. Elle montre une espèce de respectabilité, elle montre qu’elle a équipe, elle montre qu’elle a des gens qui travaillent, elle montre que ces gens-là se comportent correctement…
On ne peut pas hurler, vociférer, on ne peut pas dire “Moi j’ai payé mes études en étant dealer”, on ne peut pas arriver avec des baskets effondrées et des T-shirts comme ça en disant “le peuple, c’est ça!”. Ces gens ne connaissent pas le peuple. Le peuple ne se reconnaît pas dans cette grossièreté, dans cette vulgarité, dans ce tutoiement 1793, le peuple n’est pas grossier et vulgaire comme ces gens-là. Le peuple c’est autre chose que ça“.

Un joli poisson vénéneux

Difficile de ne pas entendre, après ce délirant comparatif :
– “…Le peuple, c’est Marine Le Pen”! Bien coiffée et bien habillée.
Description d’autant plus hallucinante, bourgeoise et tordue qu’en relayant au Parlement le rejet massif de la réforme des retraites, les député·es de la NUPES n’ont sans doute jamais été aussi proches de ce fameux “peuple “, qui manifeste actuellement par millions dans les rues de France contre cette même réforme inique !
Mais Onfray, qui se pose en commentateur “éclairé” de la chose publique, ne se soucie plus même d’un quelconque vernis de véracité : il fait de la pure propagande lepeniste.
En oubliant par exemple de préciser que ces gens “si polis, si bien peignés et si propres sur eux”, proposent toujours, dans leur programme, de priver de droits ou d’expulser de France des centaines de milliers “d’étrangers”, ou insultent un député noir à la tribune, ou viennent de voter contre l’augmentation du SMIC et contre l’imposition des grosses fortunes (deux mesures pourtant éminemment “populaires”).

Mais c’est surtout dans sa revue “Front Populaire que le “projet politique” de Michel Onfray se trouve aujourd’hui crûment exprimé.
Front Populaire” se présente en librairie comme “La revue des souverainistes de droite, de gauche, d’ailleurs et de nulle part“. Comme on l’a vu, “ailleurs et nulle part” doit se traduire ici par “… et d’extrême-droite ! “, tant il reprend, dans ses thématiques et dans ses titres, tous les éléments de langage de la droite la plus extrême.
Ainsi, dans son dernier numéro, peut-on voir en couverture une tête coupée (…encore la fameuse guillotine !) avec comme titre “La Gauche (Im)morale de Robespierre aux Islamo-Gauchistes”.
Tout “l’art”, si je puis dire, de Michel Onfray, consiste alors à se draper dans un imaginaire “de gauche”… pour démolir “la gauche”, pour la réduire à un triste et sinistre cortège de “barbelés et de miradors“. Et pour entraîner ensuite le lecteur égaré, comme le joueur de pipeau de la fable, dans un univers parallèle, où c’est désormais … Marine le Pen qui incarnerait à la fois “Le Peuple”, “La France”, la “Souveraineté” (et même, pourquoi pas, “La Gauche”, puisque Onfray continue étrangement à s’en réclamer !).
Pour ce faire, il faut bien tout son talent d’illusionniste, qui enfile les sophismes et les absurdités comme autant de bulles de savon sur un fil de fer barbelé. Ainsi, sous le titre “Leur Morale et la Nôtre, pour une gauche sans barbelés ni miradors” (5), peut-on lire ce curieux développement. Suivez bien la petite boule brune du bonimenteur. Vous la croyez ici ? Raté ! Elle était déjà là-bas.

Dans un monde où les écologistes nomment “steak végan” une “mixture sans viande“, où notre époque produit “des femmes sans utérus (mais avec des testicules) et des hommes sans testicules (mais avec un utérus)” (6), où “des enfants donnent des leçons de politiques aux chefs d’État” (au lieu d’écouter sagement Michel Onfray), “pourquoi pas, dès lors, une extrême-droite sans extrême et sans droite ? (…) Une extrême-droite pacifique et non violente ?
Vous avez suivi le “raisonnement” ? Il n’y a plus de viande dans les steaks, et plus d’utérus sous ton sous-tif, DONC il n’y a plus d’extrême-droite dans l’extrême-droite. CQFD. Dis, Michel, tu n’as pas honte ?
Si vous n’avez pas bien suivi la baballe, voici la suite :
L’usage insultant du mot “fasciste” ou de l’expression “extrême-droite” vient de Joseph Staline, qui qualifie ainsi quiconque ne souscrit pas à son totalitarisme sanguinaire. D’une certaine manière, être le fasciste de ces fascistes qui recourent à des éléments de langage stalinien, c’est mériter des applaudissements” (ibidem, p. 46).
Alors, vous n’applaudissez pas ?
Outre que cette phrase est historiquement inepte (ce n’est évidemment pas Staline qui a “inventé” le fascisme, ni la dangerosité du nationalisme d’extrême-droite), son objectif reste le même : encenser et banaliser les fachos (…que nous sommes même au passage invités à “applaudir” !).
Par un retournement très orwellien, auquel Onfray a en outre l’outrecuidance de se référer, alors qu’Orwell a combattu les fascistes les armes à la main, voilà donc l’extrême-droite repeinte en pacifiques bisounours “… sans coups d’état, sans casques, sans treillis, sans rangers, sans armes, sans putsch, sans blindés, sans militaires, sans prisons” (sic), et la gauche, symétriquement renvoyée “aux barbelés et aux miradors“, et même, allons-y Lisette, au “terrorisme” : “Un peu de terrorisme”, voilà ce qui, peu ou prou, anime la gauche qui regarde vers Hégel & Marx, NUPES comprise bien sûr” (ibidem, p. 52).
Bien sûr, bien sûr. Est-ce que quelqu’un pourrait apporter sa tisane à Michel, je crois qu’il est en train de nous faire un troisième AVC ?

Que retenir de tout ce brouet idéologique ?
Qu’Onfray est désormais devenu le sniper sans foi ni loi de tout ce qui porte l’étiquette France Insoumise ou NUPES (et donc de tout ce qui pourrait un jour conduire la gauche à la victoire).
Qu’Onfray se verrait sans doute bien, en gages de ses services, Ministre de Quelque Chose dans un gouvernement mariniste et “souverainiste”.
Voilà qui n’est ni rouge, ni brun, mais tricolore” concluait-il dans l’éditorial du numéro 2 de “Front populaire”. Tricolore, oui, oui : comme la petite flamme du Rassemblement National.

Claude Semal, le 15 février 2023.

(1) Michel Onfray, qui revendique un infar et deux AVC, a perdu son épouse en 2013. C’est pure méchanceté de ma part d’y voir un quelconque rapport avec l’actuel contenu de sa production intellectuelle (mais il faut bien trouver une cause biologique à cette hallucinante dérive).
(2) En 2012, quand il fallait choisir entre Sarkozy, Hollande et le candidat du Front de Gauche, il appelle explicitement à voter blanc dans une tribune du Nouvel Obs.
(3) C’est de ma part une boutade, mais la journaliste politique de France 2, par ailleurs épouse d’un journaliste du Figaro, n’a jamais réussi à cacher la profonde aversion de classe que lui inspire Mélenchon. Face à lui, sa petite moue parfumée de mépris est un bonheur toujours renouvelé.
(4) Entre mille exemple, chez Bourdin, sur BFMTV, le 16 sept 2020 : “Jean-Luc Mélenchon est dégagiste, il devrait appliquer cette théorie à lui-même” (Michel Onfray).
(5) Front Populaire n° 11, p. 45 et suivantes, “la gauche des barbelés fédérée par la NUPES“.
(6) La “trans” phobie, comme la détestation des protéines végétales, sont de plus en plus souvent deux marqueurs de l’extrême-droite.

1 Commentaire
  • Marc Jacquemain
    Publié à 11:47h, 18 février

    J’avoue que j’ai peu lu MIchel Onfray dans le texte, y compris quand il était de gauche. Tous simplement parce que ses bouquins me tombaient des mains. Dilemme de l’intellectuel : faut-il passer des dizaines d’heures à éplucher la logorrhée d’un auteur qu’on juge inintéressant mais qu’on veut pouvoir critiquer honnêtement ( en l’ayant lu) ou vaut-il mieux aller lire des gens nettement plus intéressants (le temps de lecture dans une vie de mortel étant limité) ? Mon sentiment est que, chez Onfray l’essentiel est une question d’égo : pour faire parler de soi aujourd’hui, mieux vaut être un type qui se dit à gauche et qui passe son temps à défendre tous les clichés d’extrême-droite. Il n’y a rien à sauver chez lui, à mon sens.
    Je ne dirais pas la même chose de la conversion d’un de ses suiveurs, qui fut le pape de la laïcité à la française : Henri Peña-Ruiz. J’ai passé du temps à lire ses principaux livres pour tenter de comprendre comment l’idée de laïcité pouvait se transformer en conviction raciste. Cela a donné un article dans “Politique” il y a une dizaine d’années. J’ai tenté de décrypter comment la métaphysique du jacobinisme à la française peut, de par sa propre logique, se transformer en haine des musulmans (ou des juifs). Mais dans “Dieu et Marianne”, Peña-Ruiz expose ce jacobinisme avec une réelle clarté philosophique, ce qui permet d’en voire les failles. Si quelqu’un connaît un livre de Michel Onfray où il expose, avant son tournant mariniste, sa vision politique de gauche avec rigueur (et pas en six cents pages creuses), cela pourrait m’intéresser,.

Poster un commentaire