PERDRE SA MAMAN AU TEMPS DU COVID

Le comédien et chanteur Patrick Waleffe a doublement perdu sa maman ces derniers mois. Un avant-goût de l’enfer pour ceux et celles qui vivaient dans les homes. Entre tristesse et colère, voici son témoignage.

 

 

Maman était très entourée. Dès qu’il fut devenu inévitable de la placer en maison de repos, il y a 2 ans environ, nous nous sommes organisé pour qu’elle ait chaque jour de la visite. Et chaque jour nous l’aidions à prendre son repas du soir en compagnie des autres pensionnaires, ce qui leur offrait, à eux aussi, un petit rayon de soleil journalier.

Puis est arrivé le 1er mars. Et du jour au lendemain, plus aucune visite ne fut admise. Et plus aucun repas en commun. Bien plus tard, s’organisèrent des rendez-vous hebdomadaires de quelques minutes par vidéo conférence auxquels maman, pas plus que les autres pensionnaires souffrant pour la plupart de démence sénile, ne comprenait évidemment grand-chose et certainement pas que l’image qu’elle entrevoyait sur une tablette pouvait être un moyen de communication en temps réel. Comment nos politiciens ont-ils pu imaginer que ce contact technologique pouvait remplacer la main d’un de ces enfant tenant sa main ou lui caressant la joue ?

Dans la maison de repos de maman, la covid est arrivée bien après que les visites aient été interdites, le personnel et non les familles se chargeant donc à son corps défendant de l’y introduire, mais cela n’a heureusement provoqué que peu de décès. Les mesures prises pour en protéger les pensionnaires se sont quant à elles, avérées nettement plus efficaces et ne manquèrent pas d’entraîner une véritable hécatombe.

Lorsque les visites furent à nouveau autorisées – en chambre, sur rendez-vous, du lundi au jeudi en journée, de courte durée, port du masque obligatoire, contact physique interdit, porte ouverte afin que le personnel puisse vérifier que les consignes étaient respectées, sorties dans le parc interdites, etc. – maman n’était déjà plus que l’ombre d’elle-même. Elle ne nous reconnaissait plus, ne souriait plus, ne parlait plus, ne s’alimentait plus. Les derniers mots que j’entendis d’elle furent « j’ai mal » avant que je voie couler sur son visage une larme qu’il m’était interdit d’essuyer.

Puis, les droits de visite furent à nouveau drastiquement réduits. Maman qui refusait désormais totalement de s’alimenter fut allongée dans son lit et, il y a quelques jours, mes sœurs et moi reçûmes l’autorisation d’aller lui faire nos adieux – un à un, dix minutes maximum, masque et blouse médicale obligatoires, etc. L’infirmière ayant cette fois fermé la porte, nous avons pu au mépris des consignes, lui prendre la main et lui caresser le front, la joue, lui dire quelques mots qu’elle n’entendait plus. Dans les yeux de ma mère, il n’y avait plus de lumière.

36 heures plus tard, nous recevions l’appel nous invitant à venir nous recueillir devant sa dépouille. Après huit mois d’une indescriptible souffrance psychologique, maman enfin ne souffrait plus. Nous arrivâmes ensemble à la maison de repos mes sœurs et moi, mais il nous fut interdit d’aller ensemble dans la chambre dans laquelle son corps reposait. On nous y conduisit, un à un, masque, blouse et gants obligatoires.

La seule conclusion que je puisse tirer de tout cela, c’est que l’humanité a perdu la « guerre » contre le SARS-CoV-2, non seulement sanitairement – comme le dit si joliment Jean-Loup Bonnamy « Vouloir arrêter une épidémie avec le confinement, c’est comme vouloir arrêter la mer avec ses bras » – mais plus encore humainement. Ce que l’humanité aura perdu dans cette crise, c’est justement sa part d’humanité.

Comment s’en étonner dès lors que nous avons la prétention de croire que seule notre technologie toute puissante est à même de nous indiquer la marche à suivre ? Totalement dénuées de tout fondement scientifique, certaines mesures ne semblent avoir été prises que pour pouvoir montrer du doigt ceux qui ne les respectent pas.

Et ça fonctionne plutôt bien puisqu’une immense majorité de la population semble avoir totalement oublié que ce n’est pas le coronavirus qui n’a cessé de diminuer le nombre de lits dans les hôpitaux alors que le vieillissement constant de la population aurait logiquement exigé l’inverse.

Patrick Waleffe

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