NON, TOUS LES ÉCOLOS N’ONT PAS CHANGÉ D’ADN ANTI-NUCLÉAIRE par Eric Englebert (titre de la rédaction).

Remarque préliminaire. Si tu n’es pas prêt à lire plus de 20 mots d’affilées, passe ton chemin et surtout, surtout, ne commente pas.
La fermeture du réacteur n° 2 de la centrale nucléaire de Tihange suscite une vague d’émotion dans la région hutoise. Cette vague d’émotion peut être assimilée à une période de deuil, mêlée hélas d’agressivité primaire.
En raison de ce climat endeuillé, je me suis gardé jusqu’à présent de m’exprimer sur ce sujet, bien que l’envie était bien présente. Je me suis juste permis de commenter un article de presse locale, en exprimant que l’arrêt dudit réacteur n’avait pas que des conséquences négatives. Ce à quoi j’ai eu plusieurs réponses horrifiées (et agressives) ne pouvant imaginer une microseconde qu’il eu pu exister une infime trace de conséquences positives suite à cet arrêt…

Il est assez édifiant que le traitement médiatique de ce sujet n’ait jamais mentionné, depuis très longtemps, les raisons qui poussent certains groupes de personnes (dont je fais partie) à s’opposer à ce mode de production d’énergie. Et il est très regrettable que le parti dans lequel je milite laisse ce terrain d’argumentation complètement vierge, depuis très longtemps, allant même jusqu’à exprimer que ce sujet serait passé de mode.
La faute, sans doute, à une stratégie qui prône la communication sans explication.
Actuellement, les partis (et les syndicats aussi, d’ailleurs, mais c’est une autre histoire) ont complètement abandonné leur rôle d’éducation permanente envers la population.
Pourquoi ce climat endeuillé ?
Ce climat est à mettre à l’actif des services de communication interne et externe du lobby nucléaire (Forum Nucléaire, mais aussi service comm’ d’Engie Electrabel).
Il est remarquable que ces organes de communication aient réussi en si peu de temps (20-30 ans) à rendre une part significative de la population littéralement attachée à une usine. Oui, une usine.
Je me souviens avoir visité une maison de Huy où, à mon grand étonnement, trônait une aquarelle représentant cette usine.
Quand on y pense bien, il doit y avoir peu d’usines qui aient le privilège de se retrouver sur des peintures. Peut-être la FN à Liège (prononcer « l’èfenne »), mais cette entreprise a une histoire de plus d’un siècle et a imprégné la vie de plusieurs générations de liégeoises et de liégeois, avec des fabrications bien plus intéressantes et émancipatrices que des armes de guerre.
Mon papa a appris à rouler à vélo sur un vélo acatène fabriqué à la FN.
Mon grand-père a travaillé à la FN jusqu’au 10 mai 1940, date à laquelle il a estimé qu’il lui était devenu impossible de concilier son travail et le revenu qui allait avec, et le nouveau client qui venait de prendre le contrôle de la région liégeoise.

Comme ces organes de communication n’ont plus de contradicteurs sur le fond du sujet, c’est un boulevard qui s’offre à eux pour répandre leur propagande. Sans oublier la presse locale, qui a bien pris le relais. Par exemple Sudpresse a malencontreusement mis en accès public un article sur l’arrivée de quelques dizaines d’activistes flamingants venus dénoncer l’arrêt de Tihange 2 (avaient-ils une autorisation de manifester ?), sous l’œil complaisant du bourgmestre faisant fonction, qui n’a rien trouvé de mieux que de poser avec le plus extrémiste de nos secrétaires d’état à l’asile et à la migration. On a les alliés qu’on peut…
Ce mode de communication a également permis aux plus populistes des politiciens (ainsi qu’à notre toutologue national) de faire passer l’idée que les opposants à ce mode de production étaient opposés aux travailleuses et aux travailleurs, entraînant la vague d’agressivité sur ce sujet ces derniers jours.

J’en viens au fond du sujet. La quasi totalité des réactions lues dans la presse et sur « les réseaux sociaux » sous-entend qu’il n’y a pas d’argument en faveur de la fermeture des réacteurs nucléaires.
Je vis dans la région de Huy depuis un certain temps maintenant et j’ai donc des connaissances, des potes et même des amis qui travaillent ou ont travaillé à Tihange. Nous arrivons à discuter de ce sujet autour d’un verre. Assez calmement pour pouvoir prendre un autre verre et continuer à discuter.
Ces personnes ont compris que je n’étais pas opposé à eux, mais à une technologie.
Je ne connais personne qui soit opposé au personnel qui travaille à la centrale. Si vous en connaissez, faites moi signe. Il y a des opposants à cette technologie. C’est un fait historique (ça remonte à un peu avant 1945), et ce n’est pas fini (à propos d’histoire, je vous conseille vivement la lecture de la BD qui illustre cette publication).
Le simple fait d’imaginer que ces opposants n’aient pas d’arguments (et donc de points négatifs liés à cette technologie) est juste ahurissant ! Qui pourrait être contre une technologie, juste pour embêter les autres ? Sincèrement. Le fait que le parti écologiste francophone n’occupe plus sa place sur le terrain de l’argumentation participe à ce climat.
Le raisonnement étant :
– les zécolos sont contre le nucléaire
– je n’entends rien comme argument contre le nucléaire,
Donc les zécolos y font ça rien que pour m’emmerder.

Alors quels sont les aspects négatifs de cette technologie ?

Ils sont en fait très nombreux. Ce qui suit n’est pas exhaustif.
Le problème principal de cette technologie réside dans les déchets générés.
Il n’y a pas, aujourd’hui, de solution validée pour la fin de vie, très longue, de ces déchets. On va les stocker à Tihange jusqu’en 2080 / 2100 (j’ai lu le dossier sur la construction des silos de stockage à sec lorsque j’étais membre de la CCATM , ce dossier comporte pas mal de problèmes et de négligences évidentes, on peut en discuter une autre fois).
Il n’y a rien de prévu après, et même la durée de vie des silos est prévue “pour 50 ans, peut-être 80” (c’est dans le dossier, écrit comme ça).
C’est ceci qui me fait dire régulièrement que cette technologie est à la fois immature (puisque la gestion des déchets n’est pas maîtrisée) et obsolète.

Un autre aspect est sa liaison intrinsèque avec le nucléaire militaire (c’est historique aussi, lire le livre en illustration, ou d’autres ouvrages). Il suffit de voir ce qui se passe en Iran pour s’en rendre compte. Pourquoi ne veut-on pas que cette dictature sanguinaire maîtrise le nucléaire civil ? Parce que c’est un passage obligé vers le nucléaire militaire. Lié à ceci vient le fait que de tels sites doivent avoir une gestion militarisée.
On s’en est rendu compte assez tard. Une belle illustration a eu lieu quand Greenpeace a réussi à tirer un feu d’artifice à l’intérieur d’un site en France (si ils avaient eu un mortier lance grenade au lieu d’un feu d’artifice, ça aurait été moins marrant …).
Une autre illustration s’est déroulée en Belgique lorsque des islamistes ont espionné un dirigeant d’une centrale nucléaire. C’est un problème car qui dit gestion militaire dit opacité (nécessaire à la sécurité), donc gouvernance délicate. On peut éventuellement tolérer une certaine opacité dans une démocratie en laquelle on a confiance. Mais que se passe-t-il lorsque cette démocratie dérape ? (la durée de vie de nos démocraties étant largement inférieure à la durée de vie des déchets)

Après, il y a l’approvisionnement en uranium. Parmi les principaux exportateurs, il y a la Russie, le Kazakhstan, le Niger… Des pays peu fréquentables. Il n’y a pas la Belgique en tous cas. Donc parler d’autonomie énergétique ne repose sur rien de concret.
Viennent ensuite les conditions de travail des mineurs dans ces joyeux pays. C’est vrai pour plein d’autres minerais, mais la protection contre la radioactivité est quand même plus délicate.
On pourrait aussi parler des problèmes de sécurité (cinq cœurs de réacteurs fusionnés sur un total de 500, ça fait 1% tout de même).

En résumé, le nucléaire civil bénéficie à fond du climat technophile de notre culture occidentale. Mais quand on regarde ce qui a été glissé sous le tapis, ben l’enthousiasme doit être quelque peu modéré. Alors, bien-sûr, ça ne veut pas dire qu’il n’y a que des aspects négatifs (énergie bas carbone, donner du boulot à des milliers de personnes, …).
Aucun sujet n’est que négatif ou positif, sinon ce serait trop facile. D’autres personnes vous parleront de ceci bien mieux que moi…

Eric Englebert (1) (sur Facebook)

(1) NDLR: Éric est président du CPAS d’Amay

Plus d’infos sur la BD ici :
https://www.glenat.com/1000-feuilles/la-bombe-9782344020630

1 Commentaire
  • Guy Leboutte
    Publié à 14:24h, 11 février

    Une chose paraît claire aujourd’hui: c’est que les écolos de gouvernement, Ecolo et Groen sont guidés par le maintien du mode de vie, alors que c’est bien lui qui est insoutenable. L’élément de langage est: “le nucléaire provisoirement, pour donner un peu de temps à la transition écologique”.

    “Transition”, c’est quoi?

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