NOUS SOMMES LE 14 AOÛT

Nous sommes le 14 août 2022.

Si vous êtes né·e·s un 14 août, vous avez au moins cela en commun avec René Goscinny, né le 14 août 1926. Bon anniversaire, donc. Et sachez que votre Ange Gardien se nomme « Réiyel ». On ne sait jamais, ça peut servir.

Goscinny avait collaboré avec Sempé pour créer “Le Petit Nicolas”

Il y a tout juste 40 ans, à Gdansk, en Pologne, le 14 août 1980, les 17 000 ouvriers des chantiers navals « Lénine » se mettent en grève à la suite du licenciement d’une des leurs, membre d’un syndicat indépendant. Le mouvement s’étend rapidement aux services publics de la ville et aux autres ports de la Baltique. Le gouvernement communiste acceptera de négocier avec le leader du syndicat indépendant, un certain Lech Walesa, licencié quatre ans plus tôt pour cause d’agitation syndicale. Bien qu’ils aient obtenus assez rapidement ce qu’ils demandaient, à savoir une augmentation, la réintégration de la déléguée licenciée et de Lech Walesa, ainsi que la création d’un syndicat libre, indépendant du parti de gouvernement, Lech Walesa annonce la poursuite de la grève en solidarité avec les grévistes de la ville et des autres chantiers.
La tension monte. Le général Jaruzelski émet la crainte que les Soviétiques n’interviennent pour rétablir l’ordre. Mais les Soviétiques, déjà passablement empêtrés en Afghanistan, ont d’autres chats à fouetter.
Le gouvernement procède à des arrestations. Face à la répression, la grève s’étend dans tout le pays, complètement paralysé. Le 30 août, les représentants du gouvernement et ceux des grévistes se réunissent pour examiner les 21 revendications du comité inter-entreprises. À l’énoncé de chacune des revendications, le ministre répond par un laconique « J’accepte, je signe ».
Lech Walesa triomphe. Les grévistes incarcérés sont libérés. Les accords sont signés devant les caméras de télévision, ils prévoient en particulier la création d’un syndicat indépendant et libre, Solidarnosc. Lech Walesa brandit le gros stylo avec lequel il a apposé sa signature – un gadget « souvenir du Vatican », avec le portrait du pape polonais – laissant entendre que le pontife aurait guidé son bras.
Quelques dix années plus tard, le très catholique leader de Solidarnosc sera élu président de la République. Son histoire engendrera quelques beaux succès cinématographiques.

Tout autre chose

Il y a tout juste 980 ans, en un lieu nommé Bothgowanan (« la hutte du forgeron » en Gaélique), le roi d’Écosse Duncan 1er est assassiné par un parent du nom de Macbeth, celui-ci « reniflant les vapeurs indigestes du sang de son souverain », saisit aussitôt le sceptre sanglant et prend sa place sur le trône. Pour venger leur père, ses deux fils s’allient au roi d’Angleterre qui porte le joli nom d’Édouard le Confesseur. Au terme d’un violent affrontement, Macbeth, battu, s’enfuit avant d’être tué. Cette histoire des temps barbares aurait été bien oubliée si elle n’avait été, bien plus tard, mise en vers par Shakespeare.
De cette pièce extraordinaire, je ne peux m’empêcher de citer cette recette de sorcière : « Écailles de dragon et dents de loup, momie de sorcière, estomac et gosier du vorace requin des mers salées, racine de ciguë arrachée dans la nuit, foie de juif blasphémateur, fiel de bouc, branches d’if coupées pendant une éclipse de lune, nez de Turc et lèvres de Tartare, doigt de l’enfant d’une fille de joie mis au monde dans un fossé et étranglé en naissant ; rendez la bouillie épaisse et visqueuse ; ajoutez-y des entrailles de tigre pour compléter les ingrédients de notre chaudière… Refroidissons le tout dans du sang de singe et notre charme est parfait et solide. »
Bon, vous devrez sans doute faire plusieurs magasins pour trouver tous les ingrédients, mais la recette est infaillible pour convoquer les esprits.

Puisqu’on cause cinéma et théâtre, ayons une pensée pour l’acteur Pierre Brasseur, l’inoubliable Frédéric Lemaître des « enfants du paradis », qu’on a pu voir dans près d’une centaine de film, décédé voilà tout juste 50 ans, le 14 août 1972.

On ne va pas se quitter sans évoquer Bertolt Brecht, auteur dramatique, poète lyrique, cinéaste, théoricien de l’art et metteur en scène allemand mort le 14 août 1956. Né en 1898 à Augsbourg, il écrit sa première pièce, « Baal », en 1918. En quelques années il devient un auteur célèbre : « Noce chez les petits bourgeois » (1919), « La vie d’Edouard II », « Mahagonny », « Sainte Jeanne des abattoirs », « l’Opéra de Quat’sous » (1928),… impossible de tout citer. Ses pièces, d’une brûlante actualité, reflètent son esprit critique et volontiers caustique. Ses convictions marxistes et anti-nazies le conduiront à l’exil en 1933. Dès 1930, les nazis s’en prennent à lui. On interrompt les représentations de ses pièces. On perquisitionne son domicile. Ses œuvres sont brûlées lors de l’autodafé du 10 mai 1933.

Hélène Wiegel dans “Mère Courage”

Après un périple en Europe, Brecht s’installe aux États-Unis, il y écrit notamment « Mère courage et ses enfants », « le Cercle de craie caucasien », « La Résistible Ascension d’Arturo Ui »,….
En 1947, aux USA, c’est la chasse aux sorcières. Être anti-nazis, c’est bien, être marxiste, ce l’est beaucoup moins. Brecht est interrogé par la fameuse « Commission des activités anti-américaines » pour sympathies communistes. En 1948, il rentre dans son pays et s’installe à Berlin-Est où il fonde, avec son épouse Hélène Weigel, la troupe du Berliner-Ensemble.
Il y approfondit sa conception d’un théâtre « épique », défini par sa fonction sociale et politique.
Il s’agit comme il le dit lui-même d’« amener le spectateur à considérer les événements d’un œil investigateur et critique ».
Ça ne convient pas tout à fait aux autorités de la RDA qui critiquent son esthétique théâtrale qui ne cadre pas avec le dogme du réalisme socialiste. Ses pièces pèchent par l’absence de héros ouvriers positifs. On lui reproche d’être trop « formaliste », trop « cosmopolite » et trop « pacifiste ».
En 1953, les ouvriers est-allemands viennent manifester en masse à Berlin contre la médiocrité de leur niveau de vie, la forte augmentation des objectifs de travail, le mauvais fonctionnement des infrastructures, et plus globalement contre le régime.
Ce sera l’occasion pour Brecht d’écrire ce texte mémorable : « J’apprends que le gouvernement estime que le peuple a “trahi la confiance du régime” et “devra travailler dur pour regagner la confiance des autorités”. Dans ce cas, ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d’en élire un autre ».

André Clette

Anna Prucnal chante “Bilbao song” (Texte de Bertolt Brecht, musique de Kurt Weill)
C’est par ici : →

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