NOUS SOMMES LE 6 AOÛT

Nous sommes le 6 août 2022.

Le 6 août 1870
Voilà 152 ans, deux semaines après la déclaration de guerre de Napoléon III à la Prusse, une partie de l’armée française est battue à Forbach et perd la Lorraine. Le même jour, une autre partie de l’armée française est battue à Frœschwiller-Woerth et perd l’Alsace. Les Alsaciens et les Lorrains, qui n’avaient jamais demandé à être français, se retrouvent Allemands, sans l’avoir demandé.
Éternel sujet de conflit entre le Saint Empire germanique et le royaume de France, l’Alsace-Lorraine change régulièrement de mains, un peu à la manière d’un doudou que les enfants se disputent. Vers la fin du 17e siècle, après un patient travail d’annexion, l’Alsace était devenue française. Sans que les Alsaciens aient pu donner leur avis. Ça avait pris un peu plus de temps pour la Lorraine, mais les Lorrains avaient découvert qu’ils étaient Français déjà bien avant que Louis XVI ne perde la tête. En 1814-1815, ces territoires français perdent quelques morceaux au profit de la Prusse, mais rien de grave. Ce 6 août 1870, en revanche, en une journée et deux batailles, la totalité est récupérée par l’Allemagne. Pour un peu moins de 60 ans seulement, car à partir de novembre 1918, la région se retrouve reprise par la France. On n’a pas demandé l’avis des Alsaciens-Lorrains, mais le président Poincaré leur a promis un référendum sur l’autodétermination. Mais avant qu’on n’ait eu le temps de l’organiser, à peine vingt ans après, en juin 1940, Philippe Pétain donnait l’ordre aux Alsaciens de ne pas protester lorsque l’Alsace était annexée par le 3e Reich. Pas pour longtemps, puisqu’en 1945, l’Alsace-Lorraine était réannexée par la France. Cela dure depuis 75 ans, mais ils attendent toujours le référendum…
Pourquoi je vous raconte ça, moi ?
Alors que j’avais l’intention de vous parler de la reine Ranavolana III. Vous ne connaissez pas la reine Ranavolana III ? Pas grave. De toute façon, elle a perdu son royaume. Un 6 août précisément. Ce jour-là, le 6 août 1896, la France annexait Madagascar. La reine Ranavalona III serait bientôt exilée. Du coup, les 11 dialectes parlés par les 18 nations autochtones qui peuplent le territoire de l’île sont remplacés par le français qui devient la langue officielle. A-t-on demandé leur avis aux Malgaches?, me demanderez-vous. Vous rigolez ou quoi ?

Tout autre chose

Hiroshima après l’explosion nucléaire

6 août 1945
Le lieutenant-colonel Paul Warfield Tibbets Jr, était pilote de bombardier dans l’aviation américaine.
En bon fils et en garçon sensible, il avait baptisé son appareil «Enola Gay», du nom de sa maman. Ce 6 août 1945, la bombe qu’il transportait avait été baptisée d’un nom attendrissant lui aussi : «Little boy». Ce petit garçon contenait une charge explosive capable de projeter un bloc d’uranium 235 sur un autre bloc pour atteindre la masse critique permettant de démarrer la fission nucléaire. La Belgique était à l’honneur puisque l’uranium venait du Congo belge et était fourni par l’Union minière du Haut Katanga.
En tombant sur Hiroshima, ce fameux 6 août, «Little boy» a fait 45 000 morts sur le coup, et 75 000 supplémentaires les mois suivants.

Encore tout autre chose

A Hiroshima aujourd’hui, le dôme de Genbaku, qu’on aperçoit aussi sur le cliché précédent (photo J-P Dalbéra)

Le 6 août 1983
À New York le chanteur allemand Klaus Nomi, né Klaus Sperber (24 janvier 1944) mourait du sida. Difficile d’oublier ce personnage improbable, sorte d’extra-terrestre intermédiaire entre un personnage du Magicien d’Oz et un Pierrot lunaire after punk. Installé à New York, à l’âge de 28 ans, il se produit dans des cabarets où il propose un spectacle inclassable où se rencontrent l’opéra, la musique expérimentale, la new-wave. Il évolue dans le monde artistique underground et se fait remarquer par David Bowie qui l’aidera à de faire connaître.
On ne sait ce qui impressionne en premier, de sa façon de chanter l’opéra avec sa voix extraordinaire qui pouvait passer du baryton au contreténor, en passant par ce que d’aucuns ont appelé le ton “général prussien”, ou de son look baroque très élaboré et tout à la fois séduisant, repoussant et inquiétant.
Dans ses gants blancs, son smoking spatial en plastique brillant, ses bottes pointues et ses maillots moulant en élasthanne noir, avec ses cheveux bleu-noir à pointes et son rouge à lèvres assorti, son visage peint en blanc et ses yeux scintillants, on en vient à se demander s’il est réel ou s’il s’est échappé d’une console de jeu.
De tout ce qu’il a chanté, on retiendra surtout ses interprétations de morceaux « classiques », plus que ses morceaux orientés pop-rock. En particulier son travail sur des musiques de Purcell, dont il tirera d’ailleurs la plus belle de ses chansons : « Cold Song », dite aussi « Hommage à la Tombe 148 ».
Morceau de bravoure extrait de King Arthur, opéra écrit par Henry Purcell en 1611, ce passage pour voix seule est réputé particulièrement difficile à chanter. Klaus Nomi réinvente cette aria et lui insuffle son sens du baroque extravagant et glaçant, tout en respectant sa solennité dramatique.
Pour sa dernière performance télévisée allemande, la plus intense et la plus magistrale de «Cold Song» avec un orchestre complet, Klaus Nomi portait une somptueuse tenue d’opéra baroque avec un grand col à volants. Prestigieux morceau d’enterrement. On ne l’a plus revu ensuite. Le sida l’a emporté le 6 août 1983. Il est remonté sur sa planète à 39 ans.
Ses cendres ont été dispersées à New York.

André Clette

On écoute Klaus Nomi : « The Cold Song » (live)
C’est par ici : →

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