On s’est arrêté parce que les flics nous font peur. Ce n’est pas normal.

“Chacun a la responsabilité morale de désobéir aux lois injustes.” Dr Martin Luther King

J’ai déjà été scandalisé dans ma vie, plus souvent qu’à mon tour, et il y en a des raisons de s’indigner… Mais ce qui est entrain de se passer en Europe aujourd’hui est totalement révoltant.

Alors oui, au début on relativise, on fait confiance, on comprend, on écoute. On ne fait que ça depuis un an en fin de compte. Mais voir la police arrêter des concerts en rue alors que ça dégouline de monde dans les centres commerciaux et les aéroports depuis des mois, voir la condescendance dégoulinante de leur maîtres s’étaler dans un semblant d’empathie surjouée, pensant donner le change alors que la seule chose qui est constante chez eux, c’est leur incompétence et leur manque manifeste d’intelligence humaine, vivre dans une société où l’on peut mourir dans l’indifférence générale pour respecter des règles insensées, irréfléchies et illégitimes, ç’en est trop.
Hier, pour vivre et faire vivre 50 minutes, dans un élan d’espoir avec nos « collègues intermittents », avec l’HORECA, avec tout les laissés-pour-compte d’une crise qui s’étale dans le temps et l’incohérence, on a décidé, entre musiciens professionnels et avec l’appui du café du coin, de jouer quelques standards de jazz depuis un garage ouvert. Pour la rue et les gens qui y passent.

Au milieu du troisième morceau, les fiers cowboys sauveurs de la veuve et de l’orphelin se garent n’importe comment — comme si on était à 2 minutes — et viennent nous notifier de l’illégalité de notre comportement déviant. Il y avait du monde, dehors, il y avait un peu de joie, un petit moment de bonheur fugace était en train de se créer dans nos coeurs affamés, mais la maréchaussée, bras armé et maladroit d’un gouvernement de bureaucrates bercés à la chimère du paradigme capitaliste et à l’hypocrisie chrétienne, aurait reçu un appel. On le sait, on le savait, mais on ne veut pas y croire. Et la police ça fait peur. A Bruxelles, on a peur des flics, c’est comme ça. Avec le nombre de bavures, de débordements et d’abus de pouvoir, on a peur. Le fait que leur petite troupe en gilet pare-balle, flingue à la hanche, leurs yeux humains coincés entre le masque et leur front bas, parque à l’arrache comme s’ils intervenaient pour attraper un fuyard, en dit long sur l’état d’esprit qui existe aujourd’hui dans les forces de l’ordre.

Mon agent de quartier mis à part, et malgré ma gueule d’homme blanc plus ou moins propre sur moi, je n’ai jamais eu une interaction avenante avec la police. Alors on s’est arrêté, évidement, mais le sentiment qui s’est emparé de moi depuis cet instant assez minable, est nouveau.
Je n’ai jamais vécu un désemparement pareil. Toute ma confiance m’a quitté avec l’image des policiers tabassant des gens, les récits de gardes à vue abusives, ce gamin qui s’est fait foutre à poil et insulté parce qu’il s’abritait dans l’entrée d’un commissariat. On s’est arrêté parce que les flics nous font peur. Ce n’est pas normal.

Dans leur grande mansuétude, ils ne nous ont pas verbalisé. Alors qu’ils auraient dû, à les croire. Nous verbaliser pour concert illégal ? Pour non port du masque du trompettiste ? Pour avoir bu de l’alcool en rue ? Pour trouble à l’ordre public ? Pour chemise non conforme, pour réharmonisation douteuse d’un standard ? J’aurais préféré. Finalement l’amende nous aurait donné un biais, une façon de contester. Mais non, moi j’ai juste peur des flics.
Et c’est ça le drame. Il n’y a plus que la peur qui nous dirige. Les uns ont peur du virus, les autres ont peur des flics. Cela provoque en moi une détresse et une angoisse infinie.

Passons sur l’agent de police qui paraphrase la mère S. Wilmès en nous disant « Je comprends qui vous ayez besoin de vous exprimer et de faire la fête » — c’est surtout notre putain de métier, des heures de pratique et de sacrifice, un investissement physique, émotionnel et intellectuel constant. Passons sur le fait qu’un voisin ait ou n’ait pas dénoncé cette odieuse transgression à l’ordre public — c’est peut-être vrai et triste, c’est peut être une façon de se dédouaner de la part du John Wayne à la petite semaine qui est venu arrêté le concert et c’est tout aussi triste.

La vérité, c’est que notre démocratie est à l’agonie, que le libre arbitre n’existe plus, et que l’on va droit vers un monde orwellien sans vraiment s’en rendre compte. Comme dans la fable de la grenouille dans une casserole d’eau entrain de chauffer progressivement. Il sera trop tard pour encore s’en sortir. Il faut désobéir urgemment avant de finir bouilli.e
La grande force du monde occidental moderne, c’était la liberté d’expression, la solidarité à l’échelle d’un monde, les soins de santé pour tous, la culture libre, la démocratie, la liberté de la presse, l’indépendance d’esprit, le droit à être saoul dans un café, le droit d’aimer qui on veut, le droit de manger ce qu’on veut, le droit d’écrire ce qu’on veut, de s’habiller comme on veut.
Et depuis un an, ces droits n’ont jamais été autant en danger. Dans un monde où la culture est interdite, où les gens se dénoncent, ou la police fait peur et à perdu son bon sens, on ne peut plus vivre libre. Il n’y a rien de plus dangereux que l’obéissance aveugle. L’obéissance aveugle, c’est les pires heures de l’histoire moderne, c’est des massacres, c’est la fin, c’est nos pires cauchemars.

 
Joachim Caffonnette Musicien

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