ON VA POUVOIR CONTINUER À DÉBATTRE DANS LES CAMPS par Mathilde Marx

J’ai hésité à alimenter un débat qui voit chacun se crisper sur ses positions. Je ne compte insulter personne, ça n’aidera pas.
Je me permets juste de vous rappeler que l’arrivée au pouvoir de Salvini en Italie, ça a été des meurtres de migrants au grand jour par arme à feu en pleine ville.
Ça a été des tags sur les portes des anciens partisans : Ici habite un antifasciste. Une invitation au passage à tabac.
Ça a été des « banquets fascistes » pour faire revivre la grande époque en pleine rue, et des débats contradictoires dans des librairie cotées pour avoir un « autre point de vue » sur le ventennio fasciste.
Ça a été des démissions de militants sur toutes les petites incivilités, les entorses au droit, et j’en passe, parce qu’il y avait chaque jour pire et plus urgent.
Et ça laisse des traces. Sur la durée. Vous pouvez faire le pari qu’on aura une facho clean, pas comme en Italie.
Mais vous le basez sur quoi, ce pari? Parce que je ne sache pas que Pétain ait un jour déclaré qu’il regrettait, désolé, et qu’il allait gentiment rendre le pouvoir et se constituer prisonnier.
On se rattrape aux élections suivantes? Des élections dont Le Pen dit déjà qu’elle n’en tiendra pas compte?
Vous pouvez peut-être rêver du grand soir et de l’union sacrée que cela déclencherait par magie. Y croyez-vous vous-même ? Une union que l’on n’a su faire ni en 5 ans d’urgence absolue, ni avant ou pendant la campagne électorale.
Vous savez quoi? On va faire comme la gauche allemande qui s’écharpait si bien dans les années 20/30: on va pouvoir continuer de débattre en camps.
Ah, et bien du courage pour les faux papiers et les traces masquées à l’heure du tout numérique, les amis!
Pour ma part, je n’ai aucune illusion. Je suis juive et italienne: les fascismes, je ne sais que trop bien ce que ça donne.
Et, s’il vous plait, pas de rappel sur ce qu’est le bilan de Macron. Moi aussi, j’ai vu les flashs balls, la gestion autoritaire et sécuritaire, la privatisation, les prébendes, la casse du service public, le capitalisme sauvage, et le mépris de classe.
Avec Le Pen, on est vraiment ailleurs. Elle-même claironne que son père aura un rôle. Son père, ouvertement fasciste et raciste. Son père qui a torturé en Algérie.
Son père qui a envoyé ses sbires saccager les archives de René Vautier, celles où se trouvaient les preuves de ses exactions.
Macron est malhonnête ? Vous avez vu le bilan des « gestions » des villes du Sud par le FN/RN? Ils sont tout simplement partis avec toute la caisse.
On rappelle au passage que Le Pen fille est déjà condamnée pour détournement de fonds.
On rappelle également que prendre pour exemple Poutine, le type qui a saccagé la Syrie et est en train de remettre ça pour un autre crime de masse en Ukraine, n’est pas de bon augure pour le débat démocratique.
Admettons que l’union se fasse autour d’un Melenchon propulsé par un invraisemblable sursaut majoritaire. Vous pensez qu’elle le nommera premier ministre sous la pression populaire et que Notre Sauveur pourra à lui seul garantir droits et libertés?
Je vais terminer sinistre. Je suis femme, handie, juive et de gauche. Je ne vois que trop clairement ce que ce type de régime me promet.
Avant moi, il y en aura sans doute d’autres. Les premiers sur la liste, en accord avec l’air du temps, devraient être les réfugiés, les musulmans – et les opposants politiques facilement repérables et connus.
Ou les contre-pouvoirs. Une épuration de la presse, contrôle strict ou blocage d’internet; épuration sévère de tout ce qui peut faire la différence dans la justice, juges et magistrats, en premier lieu.
Mais sait-on jamais? Peut-être que l’eugénisme gagne même sur le racisme à ce jeu mortel. Peut-être qu’on survivra, et peut-être qu’on y laissera les libertés et la vie.
Vous me direz que ça ne vaut pas le coup de voter pour le type qui a joué avec le feu durant 5 ans.
Ça ne vaut pas le coup, il en profiterait, il serait néo-libéral. Parce qu’avec elle, c’est quoi?
Dans le « meilleur » des cas, des minimas sociaux garantis pour les bons français apolitiques? Mais elle les finance comment, les minimas, si elle réduit les impôts (et bel et bien ceux des possédants)?
J’aborre Macron. Mais je voterai pour lui. Parce qu’on perd assez souvent à la roulette russe, et que je ferai tout pour que la cartouche Le Pen ne soit pas mise dans le barillet.
Désolée si j’ai fini par répéter des évidences. Désolée si j’ai haussé le ton. J’ai peur. Pour nous tous.
De la deuxième guerre mondiale, j’ai eu deux récits différents dans mes deux familles. Mon grand-père paternel faisait sciemment des ellipses et ne racontait que la solidarité.
Mes grand-parents maternels mettaient l’accent sur les dénonciations, la tension constante, les familles et amis déchirés.
Je n’entrerai pas dans les détails du pourquoi ces récits si divers. En les écoutant mieux, j’entendais la même chose: une époque au-delà d’horrible, et une survie due à l’entr’aide avec de rares Justes.
On croit toujours que l’on sera un Juste; et, jeune, on peut en éprouver un frisson. Personne ne sait comment il réagira.
Personne ne peut promettre d’être juste contre la survie des siens, de ce qui lui tient à cœur.
Personne ne frissonne plus lorsque la réalité du fascisme jour à jour et heure à heure est là.
Personne ne devrait avoir à découvrir un matin si son récit sera optimiste ou pessimiste, si il fera face avec dignité, courage et abnégation.
Si il survivra. Ni dans quel état.
Considerate se questo è un uomo…

Mathilde Marx (sur Facebook)

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