PICASSO ET LES GSM

La publication de cette photo sur ma page Facebook a provoqué une de ces interminables polémiques dont seul Facebook a parfois le secret. J’ai pris ce cliché dans la grande salle du musée Picasso à Barcelone.
Il m’a été successivement reproché d’avoir été voir l’expo Picasso, “cet abuseur de femmes”, d’être raciste vis-à-vis des Chinois, d’avoir photographié ces gens à leur insu, et même d’avoir simplement publié ce cliché. N’en jetez plus !
J’y voyais pour ma part une image ironique, assez représentative de ce monde virtuel qui s’impose peu à peu à nous partout dans le monde.

Dans quel monde de censure et d’autocensure artistique et journalistique mes apprentis censeurs auraient-ils donc eux-mêmes envie de vivre ? Pas dans le mien, en tout cas.
La nationalité de ce couple importe peu. Cela aurait pu être vous ou moi (même si la Chine, championne de la reconnaissance faciale, et le Japon, champion des écrans personnels, ont une longueur d’avance sur cette société du numérique et du virtuel qui est en train d’envahir le monde).
Regarder la météo sur son smartphone, plutôt que de regarder le temps qu’il fait par la fenêtre, est  une des tendances lourdes de l’époque. Et c’est sans doute aussi un des visages contemporains de l’idiotie.
J’ai donc été assez surpris de voir que cette forme d’autisme numérique trouvait autant de défenseurs et d’avocates spécialisées parmi mes “amis Facebook”.

Ces malheureux visiteurs, m’a-t-on expliqué, cherchaient simplement des explication sur l’expo dans une application de leur portable.
Euh… en fait, non. D’une part, l’audio-guide de l’expo se présentait comme un téléphone, et non comme un écran (ce qui est assez logique pour regarder des tableaux).
Et d’autre part, selon mon fils qui m’accompagnait, et s’y connait un peu en tiktokeries et autres cornichonneries instagramiques, le monsieur était simplement en train de regarder des recettes de cuisine (ce qui est tout à fait respectable, j’adore moi-même cuisiner). En dix minutes, ils n’ont d’ailleurs pas jeté un seul regard aux tableaux.

Disons que le contraste entre ces peintures vivantes qu’on ignore, et un téléphone magique qui concentre toute l’attention, m’avait semblé drôle et assez représentatif de notre époque. Mais, à ma grande surprise, la moitié de mes lecteurs de passage s’est identifiée à ce couple de zombies plutôt qu’à ma propre ironie. Preuve, s’il en fallait une, que le mal est déjà plus profond que je ne le croyais.

Claude Semal

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