POUR EN FINIR AVEC LA MONARCHIE

Vive la République ! Vive la Sociale !

 

Lorsque André Ruwet, le premier « rédac’chef » du Magazine « Imagine » (1), m’a proposé en 1996 d’y tenir une chronique régulière, le premier texte que je lui ai proposé était : « Pour en Finir Avec la Monarchie » (2). De part et d’autre, c’était peut-être un test. Comment gère-t-on la liberté d’expression dans un canard ? « Imagine » était né à l’initiative du parti ECOLO, où le courant chrétien, historiquement attaché à l’institution royale, était fortement représenté. En abordant frontalement un tel sujet, je savais évidemment que j’allais faire des vagues. Ce qui n’a pas manqué (3). Mais d’un autre côté, je n’imaginais pas collaborer à un journal où j’aurais dû garder ma langue en poche. Ce n’était d’ailleurs pas pour cela qu’André m’avait sollicité. Le test fut donc passé… et réussi.
 
Et cette collaboration s’est poursuivie pendant plus de trente ans, avec une brève interruption en 1999, quand j’ai démissionné du magazine pour protester contre une expulsion collective de « sans-papiers » en charter. Une des premières décisions du premier gouvernement arc-en-ciel (libéraux/socialistes/écologistes). Le malheureux magazine n’y était évidemment pour rien, et toute sa rédaction, j’en suis sûr, en était aussi affligée que moi, mais la ministre des transports était … ECOLO.
Je venais aussi, il est vrai, de participer aux élections législatives, comme « candidat d’ouverture » sur les listes écologistes, et j’avais du mal à accepter que les 11.000 voix qui s’étaient portées sur mon nom, débouchent sur une décision si visiblement contraire au programme du parti que j’avais soutenu. Moi qui avais espéré, en participant aux « Etats Généraux de l’Ecologie Politique », favoriser l’émergence d’une majorité progressiste en Wallonie, je me retrouvais symboliquement impliqué par la décision inique d’un gouvernement de centre-droit. Bref.
 
Il y a deux raisons pour lesquelles je dois remercier ici le magazine « Imagine ». La première, c’est de m’avoir laissé une totale liberté de parole pendant plus de trente ans. Ces dernières années, ma chronique était même un des seuls endroits, dans la presse belge francophone belge, où le courant « éco-socialiste » trouvait parfois à s’exprimer. La seconde, c’est de m’en avoir assez inélégamment viré en mars 2020, une semaine avant le début du premier confinement. Car si le webmagazine « L’Asymptomatique » est né, c’est à ce curieux baptême qu’il le doit – avec l’aide, il est vrai, d’un minuscule virus bien connu de nos lecteurs.
 

Oups ! Je me suis trumpé.

 
L’idée républicaine a longtemps été portée, en Belgique, par la gauche communiste et le courant syndical « renardiste ». La « question royale », qui contestait le rôle joué par Léopold III pendant la seconde guerre mondiale, avait profondément divisé le pays entre une Flandre « léopoldiste » et une Wallonie beaucoup plus critique vis-à-vis de l’institution royale. Par un curieux basculement de l’histoire, l’idée républicaine est plutôt portée aujourd’hui par la droite nationaliste flamande, qui voit dans l’institution monarchique le dernier verrou à faire sauter pour permettre l’indépendance de la Flandre.
 
Pour des raisons inverses, le PTB, qui aurait dû être l’héritier direct du « Vive la République ! » de Julien Lahaut, ne met guère en avant une revendication qui, en déstabilisant un peu plus la Belgique, prendrait à rebrousse-poil ses propres convictions unitaristes. Si le sujet n’est donc pas vraiment d’actualité, restent quelques questions de principe. Que le texte ci-dessous expose.
 
La République, surtout dans sa version « présidentialiste », n’est évidemment pas, en soi, un gage de démocratie. Comme l’élection de Trump vient de le démontrer, mais aussi certaines mesures liberticides en France, la république peut appeler au pouvoir ses propres fossoyeurs. Dans ma république « à moi », sociale et parlementaire, la présidence n’a qu’une fonction symbolique. Elle incarne la nation, ou une coalition de nations, sans prétendre conduire la majorité.
A contrario, la monarchie porte toujours en elle le plus raciste des principes d’inégalité, et sa robe d’apparat est toujours nimbée des ténèbres du passé. Prisonnier.es d’un destin écrit pour eux à l’avance, les petits princes et princesses en sont d’ailleurs les premier·es victimes. Des esclaves de luxe, mais des esclaves. Si vous aimez vraiment la royauté, pensez à les en délivrer un jour ;-).
En attendant… Vive la République, et vive la Sociale !

 

Claude Semal (8 janvier 2021)

 

Pour en finir avec la monarchie

Ne tournons pas autour du trône : la monarchie est à mes yeux une insulte permanente au progrès, à la raison et à la démocratie. Qu’il puisse donc y avoir, à l’aube du XXIème siècle, des gens estimables pour encore en défendre le principe demeure pour moi une des grandes énigmes de l’Univers – comme l’identité du Masque de Fer, le fonctionnement du robinet des douches dans les chaînes hôtelières françaises ou la vie sexuelle du Taenia Saginata (plus trivialement appelé ver solitaire par ses hôtes et ses intimes – qui sont hélas ! souvent les mêmes).
On peut rêver – j’y rêve chaque jour – d’une société où chacun, en conscience et en droit, se sentirait à la fois membre actif d’une Cité et libre citoyen de la planète – sans avoir besoin pour cela de drapeaux, de frontières et d’hommes respectables incarnant la nation.
Mais comme pour la majorité d’entre nous, et pour quelques siècles encore je le crains, ces archaïques symboles seront encore parfois utiles pour nous forger un semblant d’identité, ne sommes-nous pas au moins en droit de choisir ceux qui nous rassemblent ?
 

Gentil, démocrate et compétent ?

 
Comment, mais comment pourrait-on admettre que le porte-parole d’un État démocratique et moderne soit encore aujourd’hui désigné, non en vertu de ses supposées qualités, mais en fonction de son seul pedigree ?
De quoi parle-t-on ici ? D’un cheval de course, d’un boeuf charolais ou d’un chef d’État ?
L’argument le plus curieux que j’ai entendu à ce propos avait la naïveté et la force de l’évidence : la majorité des démocraties ne sont-elles pas des monarchies parlementaires ? Bon sang, c’est bien sûr !
Mais entre la Monarchie et la démocratie, quel est le lien de cause à effet ?
Tous les États modernes ont préalablement été des royaumes ou des empires et la majorité d’entre eux ont gardé des traces institutionnelles de ce passé.
Et alors ? Cela n’a empêché ni l’Italie et l’Espagne de devenir fascistes, ni la République Française d’être une démocratie.
On pourrait tout aussi bien trouver une corrélation entre la consommation de beurre par tête d’habitant et la carte des démocraties parlementaires. En déduirait-on pour autant qu’il faut manger du beurre pour vivre en démocratie ?
 
Un peu désarçonné par cette irruption des quotas laitiers au beau milieu de ma démonstration, mon contradicteur (car en abordant un tel thème en Belgique, vous imaginez bien que j’ai toujours un contradicteur !) change alors d’angle d’attaque.
Le Sujet de base entretient en effet avec Son Roi un curieux rapport où le respect se mêle à l’affection. “Rapport au père”, diraient les psys – qui savent que ce n’est pas sans raison que les chefs d’État sont souvent appelés “pères de la nation”.
C’est donc la royale personne, et non plus sa fonction, qu’on va dès lors affectueusement me brandir sous le nez : “Enfin quoi ! Notre roi n’est-il pas gentil, démocrate et compétent ?”. Ca se discute. Mais cette discussion-là, je ne veux même pas y entrer.
Car je me fous complètement, moi, de savoir si le roi est “gentil, démocrate et compétent”.
 
On en a connu dans l’Histoire des gentils et des méchants, des démocrates et des tyranniques, des ascètes et des coureurs de jupons, des bigots et des francs-maçons, des génies inspirés et des crétins du Danube. D’admirables rois résistants qui se faisaient coudre une étoile jaune sur la poitrine, et de moins admirables rois collabos qui préféraient pactiser avec les nazis. Et alors ? Le problème n’est pas qu’il y ait de “bons” et de “mauvais” rois. Le problème est qu’il y ait des rois – et que, “bons” ou “mauvais”, les peuples sont censés accepter celui qu’on leur donne !
 

Un pouvoir symbolique ?

 
Ce n’est pas si simple“, rétorque mon interlocuteur, chez qui je découvre avec surprise un lecteur assidu de “Point de Vue/Images du Monde”. “Si le Prince Philippe en Belgique, si le Prince Charles en Angleterre, n’avaient pas le profil, la vocation ou les compétences pour exercer leur charge, ils pourraient toujours abdiquer au bénéfice de leur fils ou de leur soeur“. Ah ! bon ? On choisit quand même, alors ? Et qui en décide ? Et on choisit entre qui et qui ? Entre “princes de sang”, nés du même lit à baldaquin ? Il y aurait donc une race élue, seule apte à exercer le pouvoir ? De l’ADN à l’ABL (4), le génie par les gènes ? Mais c’est du racisme, ça, mes petits lapins. Et encore : du racisme pur et dur ! N’ai-je pas lu dans la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, dont la Belgique est si je ne m’abuse signataire, que les Hommes naissaient libres et égaux en droits ?
 
A ce stade du débat, mon interlocuteur opère généralement un prudent retrait tactique : en démocratie, le pouvoir royal serait purement symbolique – et franchement, avec tous ces chômeurs et la guerre civile au Rwanda – n’avons-nous pas d’autres chats à fouetter ?
Un pouvoir symbolique, vraiment ?
Quand Léopold II – puisqu’on parle du Rwanda ! – fait du Congo sa propriété personnelle, finance toute son infrastructure ferroviaire en en faisant “don” à l’État belge – mais conserve précieusement les richesses minières qui sont à la base de l’actuelle fortune royale – est-ce un “pouvoir symbolique” ?
Quand Léopold III, chef de l’État et chef des Armées, signe un armistice avec l’Allemagne nazie contre l’avis des Alliés et du gouvernement belge en exil – est-ce un “pouvoir symbolique” ?
Quand Baudouin Ier pratique une Interruption Volontaire de Royauté de 24 heures pour ne pas devoir signer la loi du peuple belge sur l’avortement – c’est une décision symbolique, d’accord – mais est-elle sans portée sur la vie politique du pays ?
Car enfin, essayons d’être logiques : ou bien le “symbolique” pouvoir royal est effectivement insignifiant (comme on parle d’un “franc symbolique”) et qu’attend-t-on alors pour supprimer cette moyenâgeuse, inutile et coûteuse insignifiance ?
Ou bien ce pouvoir fait malgré tout sens, fonction et autorité (comme on pose un “acte symbolique”) et l’on en revient à ma première question : comment et en vertu de quoi choisit-on celui qui l’exerce ?
En ce qui concerne les “autres chats à fouetter”, je conviens volontiers de ce que l’éradication de la monarchie ne me semble aujourd’hui en Belgique ni une urgence, ni une priorité. En débattre, par contre, oui. Et pas un peu.
 

Un crime impuni

 
Car lorsque la majorité écrasante de mes concitoyens, dont beaucoup se considèrent certainement comme “progressistes, démocrates et raisonnables”, défendent en toute bonne foi un point de vue qui contredit si ouvertement le progrès, la démocratie et la raison, c’est qu’il y a là “autre chose” à l’oeuvre.
Un de ces tabous majeurs qui, parce qu’ils nous font prendre une imposture pour une évidence, nous empêchent de penser en hommes libres et adultes et nous interdisent d’imaginer même un monde sans dieux, sans maîtres… et sans rois.
On s’en souvient peut-être, Léopold III, violemment mis en cause par une partie de l’opinion pour son attitude pendant la Seconde Guerre Mondiale, avait finalement abdiqué en faveur de son fils pour mettre fin à la “Question Royale”.
On s’en souvient moins souvent, Julien Lahaut et des députés communistes avaient alors, en plein Parlement belge, crié “Vive la République !” lors de la prestation de serment de Baudouin Ier.
Lahaut fut assassiné quelques jours plus tard, à Seraing, de quelques balles en plein coeur, sur le seuil de sa maison, par des inconnus venus sonner à sa porte. La Justice n’a jamais retrouvé ses assassins.
A chaque époque ses crimes non élucidés, ses incendiaires anonymes et ses introuvables tueurs du Brabant. C’est aussi cela, notre symbolique histoire commune.
 
(1) André Ruwet est décédé en mai 2018.
(2) J’ai également publié ce texte dans le livre « La Belgique de Merckx à Marx », paru aux Editions Luc Pire en 1997.
(3) Il y eut bien, à l’époque, cinq ou six lettres de lecteurs indignés, et un seul désabonnement. Mais aussi, beaucoup d’encouragements ;-).
(4) “Armée Belge/Belgische Leeg”, nos bilingues forces armées, dont le Roi est encore constitutionnellement le chef.

 

“Majesté” était une des chansons du spectacle “Odes à ma douche” (1986). Je l’ai reprise avec le groupe “Semal et les Convoyeurs” (en 1991) / Paroles et musique : Claude Semal

 

 

Majesté

 

En ces temps compassés où tant de fins polémistes
Se plaisent à sucer les zakouskis du pouvoir
Au risque de passer pour un scripto-terroriste
Ringarde resucée de Bukowski ou Beauvoir
Au risque d’être seul à croire en ce que je crois
Majesté
Moi je vous ris dessus qui vous prétendez mon roi.

 

Vous vous trompez je crains Sire d’époque et de look
En portant sur le front la féodale relique
Vous ferez-vous l’affront d’être un jour au Ginness Book
Le dernier souverain du siècle des républiques
Le dernier roitelet à monter sur le charroi
Majesté
Et je vous ris dessus qui vous prétendez mon roi

 

C’est pas pour dénigrer quoique bonjour les dégâts
Les vertus d’Athena sont-elles héréditaires ?
Un brin de pedigree pétrit-il un chef d’Etat ?
Deux doigts de DNA vous rendent-ils militaire ?
Choisir ceux qui nous baisent est un de nos plus beaux droits
Majesté
Et je vous ris dessus qui vous prétendez mon roi.

 

A chaque abdication à chaque calamité
A chaque inondation bravant les pluies arthritiques
Tu te fends d’un discours au péril de ta santé
Pour un Saxe-Cobourg tu m’est plutôt sympathique
Vaut mieux s’appeler Baudouin Premier que Léopold Trois
Majesté
Et je vous ris dessus qui vous prétendez mon roi.

 

Selon les sacrements prodigués par Dagobert
Qui s’enfilait la Loire en croyant monter le Rhône
Cent fois sur le fouloir vous remîtes à l’envers
La reine en ébranlant la fécondité du Trône
Ne comptez pas sur moi pour la remettre à l’endroit
Majesté
Et je vous ris dessus qui vous prétendez mon roi.

 

Le sort m’ayant fait naître en ce terroir amnésique
De noyeurs de poisson ménageant leur digestion
Je rappelle en passant qu’il y a trente ans en Belgique
Lahaut dû se soumettre à la royale question
Il est mort en été par un soleil de grand froid
Majesté
Et je vous ris dessus qui vous prétendez mon roi

 

Craignant l’autodafé des censeurs criant au crime
De lèse-majesté, je vous fais, Sire, l’auspice
Qu’en me clouant la gueule vous essaimeriez mes rimes
Au nom d’Uylenspiegel et de Saint Manneken-Pis
Mon cadavre encore chaud sur le bûcher du Beffroi
Majesté
Vous dansera dessus qui vous prétendez mon roi.

 

« Majesté » / paroles et musique Claude Semal
( « Odes à ma douche » 1986 et « Semal et les Convoyeurs » 1991)

 

1 Commentaire
  • André Depouille
    Publié à 16:06h, 08 janvier

    Je vis en France après avoir vécu jusqu’à 40 an en Belgique. Tant que j’étais en Belgique, j’ai toujours eu des conviction républicaines. Mais souvent le régime présidentiel, à la française, a failli me rendre monarchiste. Vive la république oui! Mais la France et les USA sont le modèle de ce qu’il ne faut pas faire: le pouvoir d’un seul homme. D’accord pour une république à l’allemande ou à l’italienne qui ont un président qui n’a pas trop de pouvoir. Il faudrait que les élections législatives redeviennent l’élection principale aux USA et en France.

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