PUTAIN, ARNO, ON T’AIME par Lisbeth Temmerman

Bruxelles est sans doute la seule ville au monde où une rock star comme Arno pouvait tranquillement boire sa bière au “Coq” ou au “Plattesteen” sans que personne jamais ne l’emmerde. Anecdote : à Paris, par contre, on lui réclamait des autographes même quand il allait pisser, alors qu’il n’avait que sa bite entre les doigts comme stylo.
Je ne sais pas comment c’est possible, mais je ne connais pas un Bruxellois, et sans doute pas un Ostendais, qui ne l’ait pas croisé au moins une fois dans sa vie. Pas sur seulement sur scène, mais dans la rue ou dans un café. Parmi eux et parmi elles, il y avait Lisbeth. Témoignage. (C.S.)

Arno,
M’est avis qu’on est très, très, très nombreux.euses à vouloir t’écrire ce soir. Et peut-être que si on se relayait, on pourrait faire durer, durer, durer l’histoire qu’on composerait tou.tes ensemble, et peut-être que cette histoire n’aurait pas de fin.
Ce serait tellement rassurant, ça : qu’il n’y ait pas de fin. Parce que l’annonce de ton décès, crois-moi, on n’arrive pas à y faire face. Ce n’est pas possible. C’est beaucoup, beaucoup trop dur, immensément douloureux.
Pourquoi ?
Ben, justement : je crois que si on mettait bout à bout toutes les réponses individuelles à cette question, l’histoire ne se terminerait jamais.
Parce qu’on est (encore une fois, et pour toujours, toujours !) très, très, très nombreux.euses à avoir des souvenirs en stock. Souvenirs de toi. Souvenirs avec toi. Souvenirs qui datent et souvenirs récents. Et qu’on n’a pas envie d’encaisser le fait qu’on n’ajoutera pas de nouveaux souvenirs à cette liste. Putain…

Il est 18h, un jour de semaine, il y a une dizaine d’années. Je te croise au rayon légumes du petit supermarché à la Bourse. Tu fais tes courses, lunettes de soleil sur ton nez. Peut-être parce que c’est le lendemain de la veille, peut-être pas. Je me trouve derrière toi à la caisse. Quand je sors, je te vois monter dans un taxi avec tes courses. Je souris parce que j’imagine que peut-être la veille était effectivement chargée et que les jambes te manquent pour retourner chez toi Rue Dansaert à pied. J’imagine, c’est tout. Et je trouve ça parfaitement normal de te croiser pendant que tu fais tes courses comme nous, autres habitants du centre-ville.

Il est je ne sais quelle heure, un soir, devant la télé, quelque part début des années 1990. Tu viens de participer à une émission dont j’ai oublié le nom. Vêtu d’un tablier, tu y as fait des croquettes aux crevettes, et avec ton flair légendaire, tu as parlé de comment ta grand-mère les faisait. Je ne connais alors que les chansons de TC Matic qui passent par les baffles dans le salon de temps à autres. Tu me fais rire. Je crois comprendre que tu es assez connu.

Il est 21h. On est à quelques tables l’un de l’autre sur la terrasse de De Markten. Tu es avec quelques potes que je reconnais aussi : Jan et Sigrid. Tu es à moitié affalé dans ta chaise longue, bottes de cowboy aux pieds et cheveux coiffés au sel de mer et au vent.
Quelques heures plus tard, on se recroisera à l’Archiduc, tu es accoudé au bar et tu parles avec tout le monde qui vient y commander sa boisson. Tu me dis « Je t’ai déjà vu quelque part toi ». Je te réponds : « Moi aussi ».

Un gars qui était de partout, qui n’a pas hésité à faire comprendre à Donald Trump qu’il pouvait bien aller se faire cuire le cul parce que notre hellhole bruxellois à nous, il est juste parfait. Celui qui était plus souvent invité à la télé française qu’on n’aurait cru possible – après tout, faut être belge pour comprendre Arno. Lui, il avait parfaitement compris la Belgique.
C’est ça qu’on a perdu aujourd’hui : l’incarnation absolue du rock ‘n roll à la belge. Sans chichis, sans entourloupes, brute de décoffrage et sincère comme c’est pas permis. Pas de star system, juste de l’humain, débordant de talent. Le luxe de croiser un monument vivant de belgitude à toute heure, sans distance de sécurité.
Misère, mec, t’as pas idée comme on chiale. J’ai pas tenu sec en lisant l’article annonçant ta mort dans De Morgen. Et ça n’a pas fini de couler. Ca vient tout seul, comme cet amour si évident qu’on te porte en masse. Et ça non plus, ça n’est pas prêt de s’arrêter.

Tu vas nous manquer tellement, bordel. Je t’aurais tant souhaité une sortie au son explosif comme celui de tes cymbales sur scène au Cirque ou à l’AB. On n’en était pas loin cela dit, et encore une fois grâce à toi : jusqu’à la toute fin, tu étais là en musique. Mais je donnerais tant pour te recroiser au supermarché ou au comptoir d’un bar.
A ta santé, Arno. On t’aime.
Putain.
Tes orphelins.

Lisbeth Temmerman

1 Commentaire

Poster un commentaire