SUIS-JE LA SEULE ? par Martine Cornil

Parfois, ça déborde… “Suis-je la seule ?
Suis-je la seule à éprouver, de plus en plus souvent, le sentiment de vivre, en vrai, un des premiers épisodes de « Years and Years », les premières pages de la « Famile Mandible », les cases de la BD « SOS Bonheur » ? D’avoir le sentiment de devenir un personnage de ces dystopies ? D’avoir le sentiment que ces fictions deviennent insidieusement notre réalité. De les trouver familières ?
Suis-je la seule ?
Suis-je la seule à refuser de tout mon être les théories du complot mais à éprouver chaque jour un peu plus de difficultés à comprendre le bien-fondé de la réalité qui nous est imposée ?
Suis- je la seule ?
Suis-je la seule à ne plus supporter la façon dont on nous parle ? Cette infantilisation permanente : « Vous voulez retourner chez le coiffeur ? Respectez les règles… »
Perso je m’en fous d’aller chez le coiffeur, comme je m’en fous d’aller au resto, comme je m’en fous d’aller au théâtre, à l’âge que j’ai, et grâce à la vie que j’ai eue, j’y suis allée jusqu’à plus soif. Mais je ne m’en fous pas que mes amis coiffeurs, restaurateurs, artistes crèvent de cette situation, ça non, je ne m’en fous pas. Comme je ne me fous pas que mes fils ne puissent pas sortir le nez de leurs écrans et aller à la rencontre de l’inattendu, de la surprise, de l’autre, des autres …
Et tant qu’à parler de mes enfants, suis-je la seule à ne plus savoir comment leur parler des défis à venir, de la catastrophe environnementale qui arrive, de l’importance qu’’il y aura à pouvoir être autonome, bricoleur, inventeur, permaculteur, résilient tout en leur conservant un peu de cette légèreté nécessaire pour envisager l’avenir et les encourager dans leurs études ?
Suis-je la seule à avoir peur, oui peur, d’être contrôlée parce que j’aurais oublié mon masque, parce que mes enfants feraient du bruit chez moi et que les voisins imagineraient qu’on fait une teuf d’enfer comme avant et qu’ils me dénonceraient ?
Suis-je la seule à comptabiliser toutes les libertés (pour notre bien…) qui nous sont enlevées ?
Suis-je la seule à détester que l’autre me soit présenté comme un danger potentiel ?
Suis-je la seule à avoir peur de tousser ou d’éternuer en public, derrière mon masque, jusqu’à m’étrangler et en pleurer ?
Suis-je la seule à trouver que nous avons perdu en humanité, en laissant nos ainés mourir seuls, en ne pouvant plus accompagner d’un geste, d’une caresse, d’un mot celles et ceux qui nous ont quittés, quel que soit leur âge, leur pathologie ?
Suis-je la seule à me dire que si prenions avec autant au sérieux le dérèglement climatique que le covid nous pourrions nous épargner quelques décennies meurtrières et anticiper dès maintenant un changement de paradigme ?
Suis-je la seule à me dire qu’en ne réagissant que face à un danger de mort immédiat, nous nous privons de solutions qui pourraient nous mettre en chemin vers un avenir plus désirable, meilleur pour tous ?
Suis-je la seule à trouver invraisemblable que nos gouvernements, pourtant alertés depuis longtemps par les scientifiques, n’aient pas anticipé cette crise, n’aient pas eu un dossier « analyse de risques et moyens d’y faire face » ?
Suis-je la seule à me dire que ma génération a collaboré, par son apathie ou son cynisme, à l’éclosion d’une société du spectacle où l’humiliation est devenue la norme ?
Suis-je la seule à pressentir que ce que nous vivons maintenant ressemble à une répétition générale et que si le pire n’est pas certain il nous faudra faire nombre pour qu’il n’advienne pas ?
Suis-je la seule à penser que nous n’avons pas pris la mesure de l’arme de destruction massive de la pensée que représentaient certains médias, certaines émissions favorisant la toute-puissance de la bêtise, de l’impensé, de la haine de l’intellectuel ?
Suis-je la seule à penser que face à l’hubris de ceux qui ont déjà trop d’argent nos considérations éthiques ne font pas le poids ? Que la classe moyenne est un accident de l’histoire et que bientôt moi, mes amis, mes enfants, redeviendrons des gueux au service d’une élite arrogante, toute puissante, après avoir servis de variable d’ajustement dans un bilan comptable.
Je sais bien, évidemment, que je ne suis pas la seule, je le sais.
Je sais aussi l’énergie que cela nous demande de ne pas plonger dans un délire paranoïaque ou la dépression, je le sais.
Ce que je ne sais pas c’est comment faire en sorte que tous nos petits ilots de résistance deviennent un archipel et qu’ensemble nous puissions, tous, nous en sortir par le haut, dignement.
Ça, je ne le sais pas.
Et j’ai terriblement peur qu’il ne soit trop tard.”

Martine Cornil (sur Facebook, le 7 janvier 2021)

1 Commentaire
  • anne collard
    Publié à 11:39h, 21 février

    Je serais la seule à penser et à avoir mal comme vous ? Pas possible !
    Je cherche où les politiques ont caché leurs solutions !
    Je cherche à retrouver un sénat, des droits, du respect…de la culture, de la vie.
    Je cherche avec vous et des autres (qui n’ont pas lu votre appel ) à sortir du trou.

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