TANTE REINE ET NONKEL JOS par Luc Honorez (sur Facebook)

J’avais dix ans. Comme souvent, je passais des vacances chez ma tante Reine et mon Nonkel-Jos. A Schoten, une banlieue verdoyante d’Anvers. Sous le soleil, je faisais de la balançoire dans leur jardin. Haut, plus haut, ô happy days…
Sous la neige, je me vautrais dans un large fauteuil proche d’un poêle à charbon installé dans la véranda. Mes pieds caressant le métal chaud, je lisais un “Bob et Bobette“. Ou “L’île mystérieuse. Ou une biographie de “Godefroid de Bouillon“. Il flottait dans l’air une tranquillité douce qui, je le croyais, durerait toujours.
L’après-midi, culottes courtes bien repassées, ligne dans les cheveux, j’accompagnais ma tante Reine à Anvers, sur la Keiserlei. Il y avait, là, une magasin de disques, où Reine voulait s’acheter le dernier 78 tours de son idole Luis Mariano: “Mexico”.

Puis, on allait au port manger un “oeuf mayonnaise” dans un petit café d’où l’on entendait les cloches de la cathédrale sonner. En chantonnant “Mexico, Mexicoooo, oooo“, on rentrait en prenant le tramway 61. On avait le coeur en paix, l’amour en bouquet de famille et on se réjouissait déjà en pensant au feuilleton comique “Schipper naast Mathilde” qu’on verrait, le soir sur le téléviseur en noir et blanc. Moi, j’espérais aussi qu’elle me permettrait de regarder “Have à gun will travel”, une série western. D’ailleurs nonkel-Jos aimait aussi ce spectacle. Il m’aiderait à y assister. Bang-bang.
Enfin, mon lit à l’étage. Les draps y étaient toujours froids. Mais le souvenir de mes duels dans le sable chaud de Tombstone me réchauffait très vite.

J’entendais Reine et nonkel-Jos discuter dans le salon du rez de chaussée. Il baissait la voix mais j’entendais le bruit des biscuits Delacre qu’ils croquaient. Mélangés ces deux sonorités chantaient une berceuse. Je fermais les yeux dans la béatitude. Dehors, les grenouilles d’un canal étaient les chantres de mes songes.
Au matin, je m’évaillais en entendant les actualités qu’un radio donnait dans la cuisine. Le présentateur parlait en un flamand plus rassurant que rêche. Un rayon de soleil passant par une tenture rouge était ma lampe du petit jour.
Et j’étais en joie parce qu’on était mercredi, jour de sortie de “Spirou” que les librairies de Flandre vendaient en français comme les quotidiens. Les emmerdeurs linguistiques étaient, en ce temps, encore des nains.
Mais tout ce temps-là est passé. Gone with the wind… Et moi, aujourd’hui, je suis tel un grain de maïs détaché de l’épi du temps. Et je ne crois plus au règne glorieux de la lumière qui illuminait le papier sur lequel on traçait des mots d’amitié, d’émotions, de petits chagrins parfois. Ce papier est incendié par l’égoïsme, le bêtise, le goût du pouvoir, l’inculture, le rejet des autres.

Tante Reine, nonkel-Jos, Schoten, Schipper et Mathilde, la balançoire, le poêle sont les os de ma mélancolie. Leur perte est une blessure qui ne cicatrise pas car ils étaient les signes gentils qui me cachaient les crapuleries qui marchaient déjà sur la planète à cette époque du tramway 61.
Et ces gens-là, monsieur, ces temps-là, madame, qui m’ont mis la nostalgie sur le petit vélo qu’est ma vie m’ont appris que la nostalgie peut aussi être un obus qui va dans les buts des méchants.
Un mot encore: vieillir O.K., mais devenir un adulte, non! Je ne suis utile aux autres qu’en sortant des outils du plumier fourré dans mon cartable

Luc Honoré (sur Facebook)

1 Commentaire
  • Elisabeth FRANKEN
    Publié à 19:10h, 09 mars

    Petit détail grammatical : il est impossible de rouler “en” vélo car EN=DANS. On peut donc rouler en voiture, en camion, en camionnette, en bus, en train, mais on roule “à” vélo, assis-e sur la selle. Ce qui n’enlève rien au charme du déplacement!
    Bien amicalement.
    Elisabeth

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