T’ES TOUTE NUE SOUS TON PULL

La Compagnie Jolie Môme était installée au Théâtre de la Belle Étoile, à Saint-Denis, depuis dix-neuf ans. Une compagnie franchement ancrée à gauche, qui intervenait souvent en chansons dans l’espace public. Je ne les connais pas personnellement, mais j’ai souvent vu passer leurs vidéos sur Youtube.

La troupe est aujourd’hui virée de ses locaux, en plein milieu de saison, par le nouveau Maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin (PS), qui avait arraché la mairie aux communistes en 2020. Il s’agirait d’une opération « coup de propre sur la ville » en « préparation » des prochains Jeux Olympiques. Les soutiens de la Compagnie y voient avant tout une exécution politique. Ariane Mnouchkine, directrice du Théâtre du Soleil, leur apporte ici son soutien dans une lettre ouverte (C.S., d’après une info du Nouvel Obs).

Contact et solidarité : https://cie-joliemome.org/

Une lettre ouverte d’Ariane Mnouchkine suite à l’expulsion de la Cie Jolie Môme de Saint-Denis (France).

Monsieur le Maire,
J’apprends que la municipalité socialiste de Saint-Denis a décidé de ne pas renouveler le contrat qui l’a liée à la compagnie Jolie Môme depuis près de vingt ans. Même si je la regrette, je ne vais pas, ici, discuter cette décision car renouveler ou pas un contrat fait partie des droits et prérogatives de tout contractant. Par contre, ce qui me surprend, et m’afflige, de la part d’une municipalité de gauche, c’est la façon dont ce non-renouvellement est mis en œuvre et finit par prendre la forme d’une rupture très brutale.
En effet, l’expulsion fulgurante de la compagnie Jolie Môme du lieu auquel elle a redonné vie au cours de ces années est incompréhensible pour ne pas dire inadmissible. Les gros travaux réalisés avec les subsides de la région ont été pensés par les architectes de la ville en étroite collaboration avec Michel Roger, metteur en scène et directeur de la compagnie qui a travaillé avec le service architecture de Saint-Denis pour que ce lieu devienne accueillant, beau, apaisant, qu’il soit pour les habitants du quartier, de la ville, un point de référence, de culture, un refuge, un point d’ancrage pour quiconque cherche à se cultiver, cherche une écoute, cherche à apprendre, cherche à se distraire. Bref, un théâtre pour ceux qui pensent que le théâtre n’est pas pour eux.

Michel Roger et son équipe ont, en ce sens, largement réussi, ils produisent beaucoup d’autres compagnies, groupes, artistes, jouent eux-mêmes plus d’une vingtaine de week-ends par an, bref du jeudi au dimanche le lieu vit et propose diverses programmations, accueils, soirées, sans compter les ateliers de début de semaine. Le lieu est dorénavant connu, fait salle comble pratiquement toujours, ce qui n’est pas si aisé à notre époque, et ils sont très bien intégrés dans leur quartier, ce qui n’est pas toujours aisé non plus. Mais tout cela, vous le savez déjà.
Je connais bien la compagnie et, d’un point de vue politique nous ne sommes pas du tout sur la même longueur d’onde. Je reconnais que leur radicalisme entêté peut être exaspérant pour ne pas dire insupportable, mais, cela justifie-t-il une telle rudesse dans la séparation ? Une telle « mise à la porte » plus digne d’un Laurent Wauquiez que d’un maire socialiste ?
Pourquoi ne pas entendre qu’ils ont absolument besoin de finir leur saison ? Pourquoi ne pas leur laisser le temps d’envisager leur départ sereinement ? Pourquoi supprimer d’un trait de plume leur outil de travail à plus d’une douzaine de salariés ? Pourquoi laisser entendre qu’ils vont dépouiller la salle comme des malfrats ? Ils reprendront leurs affaires sans doute et c’est bien normal, mais il n’est pas dans les habitudes des amoureux du théâtre de détruire, de dégrader leurs précieux outils de travail avant de les quitter. Or, ce sont des amoureux du théâtre. Je dirais des amoureux fous du théâtre.

Pourquoi se précipiter ? Est-ce si urgent de mettre à la rue une bande de fous amoureux du théâtre ? Je ne le crois pas. Voilà pourquoi, je vous demande, je vous prie, de bien vouloir reconsidérer, sinon votre décision du moins les modalités de son exécution, en prenant en compte les besoins de cette compagnie et de ses salariés pour qu’elle puisse finir sa saison et envisager plus sereinement un déménagement éventuel si vous ne voulez absolument pas changer d’avis. Cela rassérénerait un peu la profession qui, je dois vous le dire, est très troublée par l’éventualité de voir la compagnie Jolie Môme se retrouver sur le trottoir sans aucune solution de repli pour pouvoir continuer son travail.
Merci d’avoir pris le temps de me lire.

Très sincèrement,
Ariane Mnouchkine

Pas de commentaires

Poster un commentaire