TINA ET JEAN LOUIS MURAT par CharlElie Couture

Hier soir c’est la bombe Tina Turner que le « Grand Démineur » a désamorcée. Celle qui après avoir survécu aux tumultes d’une époque en folie sous l’emprise d’un mari violent, celle qui se vit traverser un long désert avant de retrouver le sommet des charts et une gloire qui ne devait rien à personne qu’à elle-même, celle dont les chansons vibrantes faisaient entendre les affres et les exaltations d’une vie qui ne fut pas toujours faite que de paillettes et de poudres… celle dont la voix chaude et vibrante vous transperçait autant que son regard, celle qui n’avait pas besoin d’autant d’artifices et de matériels de mises en scène que le Barnum de Madonna ou les douze danseuses de Beyoncé avec écran géant, pour créer ce frisson d’excitation passionnée que provoquent certaines musiques venues du plus profond de l’âme, celle qui, à soixante ans, jupe fendue sur talons de quinze cm, faisait encore vibrer le monde, celle qui telle une héroïne tonique et souriante, douée d’une énergie planétaire aurait à elle seule pu incarner toutes les cougars de la terre, oui, hier soir, à 83 ans, la mèche de Tina Turner, la Dynamite Queen s’est éteinte en Suisse, où elle habitait depuis une vingtaine d’années dans le calme des alpages Helvètes.

Tandis que dans les montagnes d’Auvergne, c’est un autre artificier qui a mis aussi la clé sous la porte. Jean-Louis Bergheaud alias Jean Louis Murat a rendu le silence à cette campagne nue qu’il aimait tant. Si le « Grand Public » n’avait fait de lui un chanteur populaire que pendant un petit nombre d’années, il n’avait pas lui, Jean Louis, pour autant cessé de chercher, de créer et de produire des disques.
Jean-Louis Murat ne se résumait pas seulement à des traits d’esprit façon poil à gratter qu’il se plaisait à distiller devant les caméras, mais il avait surtout construit une œuvre tout au long de ses vingt-quatre albums studios. Oui une œuvre dans laquelle il faisait la part belle aux expériences sonores de tous ordres.
Auteur d’un certain nombre de chansons “pop”, il ne cherchait pas pour autant à être populaire. Non, c’est le moins qu’on puisse dire. Intransigeant, bourru, se glissant dans la peau d’un tonton flingueur même, JLM ne jouait pas vraiment le jeu de la complaisance, lui qui adoptait souvent une position de juge-arbitre, dictant ses avis tranchants d’une voix douce, mais avec l’autorité d’un jongleur qui lance en l’air des quilles ou des flambeaux, des tronçonneuses ou des boules de neige.

Jean-Louis Murat était un animal sauvage qui refusait de se laisser domestiquer. Il assumait ses paradoxes ; comme celui d’aimer qu’on le déteste, à croire que ce désagrément, lui donnait une autre motivation, une autre raison pour se montrer parfois aussi acerbe qu’un homme de lettres s’étant vu refuser les honneurs.
D’un côté il y avait son ambition sans limite à défier les mots dans un style littéraire surréaliste, de l’autre ses mauvais coups de gueule de collégien adoptant la posture du provocateur insolent.
Mais surtout le musicien aimait s’enfermer en studio pour contrecarrer l’ordre des choses, celui des harmonies conventionnelles en utilisant des boucles électro, et des longues nappes de synthés, des bruits d’animaux ou des séquences folks sur lesquelles venaient se poser ses flows que j’aurais qualifiés de « poétiques », si Jean Louis n’avait refusé qu’on l’appelle « poète » pour je ne sais quelle obscure raison.

J’avais aimé « Suicidez-vous le peuple est mort » et, en 1984, je lui ai donné l’occasion de monter sur scène pour ce qui fut sa première tournée…
Ensuite, il fit de la route sa routine, sillonnant la France contre vents et marées, allant de scène en scène, avec ou sans mécène, pour quelques cachets de survie, et se mettant souvent à l’envers quel que soit l’endroit. Seul contre tous, celui qui pendant une dizaine d’années, maquillé d’un trait de khôl, incarna le beau quinqua mal rasé, était-il vraiment maudit comme il s’empêtrait à le croire aux confins d’une mélancolie ombrageuse ?
En dehors des évidences et des lignes droites ennuyeuses que dessinent les autoroutes de la « bonne humeur », Jean-Louis Murat représentait la différence, une autre option, celle des belles départementales et des chemins de traverse.
Murat des villes, ou Murat des champs, toute sa vie il a cherché sa place, aux frontières d’une sorte de dépression chronique, lui, le chanteur au sourire espiègle qui s’adressait aux anges déchus.
Et s’il est désormais seul dans son linceul, je dois aussi admettre que nous qui l’avons connu, nous qui appréciions sa quête éperdue, oui, nous aussi, nous sentons quelque peu esseulés.
Qu’il repose en paix désormais au milieu de ce mystérieux brouillard Arverne, qui était pour lui le meilleur des cocons…

CharlElie COUTURE sur sa page Facebook

1 Commentaire
  • Hughes Maréchal
    Publié à 16:38h, 03 juin

    Très beau portrait avec celui fait par Arthur H sur Instagram ! Réécoute cet album fascinant intitulé « Dolorès » du très grand art

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