TROIS MINISTRES POUR UN “STATUT DE L’ARTISTE”

Curieux mélange entre le Monstre du Loch Ness et l’Hydre à neuf têtes, la question du “statut de l’artiste” ressurgit rituellement en Belgique depuis plusieurs dizaines d’années. Le gouvernement de la “Vivaldi”, qui n’a pas hésité à usurper le nom d’un musicien mort pour baptiser son hétéroclite composition, avait épinglé le sujet dans l’accord de gouvernement.

Un certain nombre de fédérations professionnelles jouèrent le jeu de la concertation, espérant candidement que leurs multiples (et parfois contradictoires) préoccupations allaient être entendues.
L’avant-projet gouvernemental de “statut d’artiste” vient de sortir du four.
Or il fait à présent l’unanimité contre lui – y compris de la part ceux qui ont participé à toutes les discussions préalables !
Car ce n’est pas le résultat d’une concertation avec les syndicats et les associations professionnelles. C’est le fruit (pourri) d’un compromis intra-gouvernemental entre socialistes et libéraux, et entre wallons et flamands.
Ces “quatre saisons” là sentent les parts de pizza plutôt que la musique de Vivaldi.
Plutôt que de réellement traiter les problèmes propres à l’exercice de nos métiers artistiques et techniques (intermittence, poly-activité, travail non payé, sous-financement structurel, difficulté d’accès au “statut” pour les jeunes), le gouvernement a décidé de créer une ubuesque Commission Théodule qui devra juger ce qui est “artistique” et ce qui ne l’est pas ; et, en lieu et place des habituels contrats de travail, décider ce qui mériterait (ou pas) un statut de “professionnel” des Arts et du Spectacle.
Chaque “candidat” devra pour ce faire présenter devant La Commission Bidule un bilan artistique et comptable de ses cinq dernières années d’activités, en détaillant qui plus est ses perspectives futures de “carrière professionnelle”.
Les techniciens du spectacle, devront en outre “prouver” leur indispensable apport artistique à leurs divers projets, au risque sinon d’être recalés. Et les jeunes sortis des écoles… devront détailler de façon prospective leur futur (et “crédible”) “plan de carrière” !
A dix-neuf ans, moi, mon seul “plan de carrière” était de “jouer le plus souvent possible”. Je doute qu’il en aille autrement pour “les jeunes” qui débutent aujourd’hui.
Et cela ne m’a pas empêché de travailler ensuite pendant quarante-cinq ans.
Mais revenons à la Commission Machin Truc. J’ai calculé qu’à raison de dix minutes par dossier, lecture et discussion incluse, et en supposant résolue la question du bilinguisme, cet exercice ubuesque devrait prendre neuf mois de réunions non-stop. Sans compte le temps perdu à écrire ces milliers de dossiers aussi inutiles qu’éphémères.
Voilà ce qui s’appelle de la “simplification administrative” !

Alexandre Von Sivers et Nicola Donato, deux des piliers historiques du SETCa-culture, ont analysé en détail les 125 pages de ce pré-projet. C’est eux qui avaient négocié notre statut d’intermittents “à la belge”, en s’inspirant du statut saisonnier… des marins-pêcheurs. Leur expertise en la matière est ici irremplaçable.
Je résume en mon nom : cette nouvelle usine à gaz brasse du vent. Mais ses fumées nocives peuvent empoisonner toutes nos professions. Il y a plus simple et mieux à faire.

Claude Semal.

NB (1): Les trois ministres fédéraux concernés par le dossier “statut” sont Vandenbroecke (Affaires Sociales / Vooruit), Clarinval (Ministre des Classes Moyennes / MR) et Dermagne (Ministre de l’Economie et du Travail / PS).
Bizarrerie et absurdité belgo-belge : les ministres de la culture (qui dépendent des régions en Belgique) ne sont pas impliqués dans cette matière dite “fédérale”. Ils vont pourtant devoir en financer les emplois !
NB (2): Je ne résiste pas à reproduire ici le message que So Lastar a publié en commentaire sur la page Facebook de Pierre-Yves Dermagne : Bonjour monsieur Dermagne, puisque vous êtes si fier de ces avancées je vous propose, comme vous le faites pour les artistes, de créer au sein de votre parti une commission qui jugera du travail des élus/ nommés socialistes : leur travail a-t-il tellement fait avancer les droits sociaux ou à minima a-t-il empêché leur recul ? Cette commission – constituée de membres de la société civile, et d’un ou deux socialistes – aura le droit de dénier à tout élu/ nommé socialiste qui ne répondrait pas à ce critère le titre « de gauche » et pourra lui réclamer tous les émoluments (salaires, avantages et autres jetons de présence) perçus sous ce titre durant les 3 années précédentes… ce n’est qu’une proposition évidemment pour faire avancer le statut de « défenseur de la justice sociale » au sein de votre parti…

Comment trois ministres coalisés vont essayer de détruire notre « statut d’artiste »

Les commentaires ci-dessous porteront sur les 125 pages ( ! ) de projets de loi et d’arrêtés royaux concernant distinctement deux volets : chômage et « Commission du travail des arts ». Il s’agit de projets provisoirement adoptés par le Conseil des Ministres du 6 mai 2022.

Notre syndicat de travailleurs de la culture n’a jamais voulu que les travailleurs du domaine des arts aient un statut privilégié d’extra-terrestres distinct des régimes généraux appliqués solidairement aux autres travailleurs. Tout au plus, nous avons voulu que dans les régimes généraux on tienne compte de certaines particularités objectives, comme cela se fait d’ailleurs pour d’autres travailleurs.

Ainsi, pendant plus de trente ans, notre syndicat a bataillé pour que l’article 10 de l’Arrêté ministériel chômage soit déclaré inadéquat (voire illégal) et discriminatoire à l’égard des techniciens. Le nombre de jours valant pour l’admissibilité au chômage devait significativement être réduit, comme cela existe d’ailleurs pour d’autres travailleurs.

Or on nous vend l’illusion d’avoir été entendus sur ces trois points, mais les moyens mis en œuvre sont scandaleusement pervers et destructeurs de la solidarité que nous voulons maintenir avec les autres travailleurs du pays.

En 2002, le Conseil national du travail avait rejeté à l’unanimité le projet de loi dit « Statut d’artiste » et la Commission ad hoc… Force est de constater que nos trois ministres coalisés maintiennent l’essentiel de cette réforme de 2002 et l’alourdissent, la complexifiant par 82 pages de textes légaux !…

Chômage

Il est prévu d’accorder l’admissibilité aux allocations de chômage si on fournit 156 jours de travail en 24 mois : bien. Mais… problème : ces jours seront obtenus en divisant le salaire brut par un salaire de référence (actuellement 70,86 €). Il ne s’agit donc pas de jours réellement prestés. Une discrimination subsistera car ce principe ne s’appliquera pas à tous les techniciens, mais aux « artistes-techniciens » et ceci ne pourra être précisé que lorsque la « Commission » aura réussi à élaborer un « cadastre » des professions… dans deux ans ou trois ?! Cette méthode de calcul du nombre de jours ne s’applique actuellement à aucun autre travailleur.

Ce procédé aura pour conséquence de rompre les liens de solidarité et d’équité actuels parce que les gros salaires obtiennent ainsi des allocations plus vite que les petits salaires. Certains gros salaires pourraient obtenir des allocations en 6 mois alors que les petits salaires, avec contrats clairsemés pourraient y mettre 24 mois. Ce constat devrait pousser les travailleurs du secteur à faire augmenter leurs salaires : nul doute que les employeurs vont apprécier !… D’autre part, il n’y aurait plus à se battre pour que les répétitions ou d’autres travaux que certains qualifient d’ « invisibles » soient déclarés.

La majorité écrasante des travailleurs du secteur est occupée (comme tous les autres citoyens) dans des liens de contrats de durée déterminée ou indéterminée. Seule une petite minorité de notre secteur (utilisant l’article 1bis en l’absence de contrat subordonné) pourrait avoir certains soucis. Mais pour très mal régler les éventuels problèmes d’une minorité on a donc inventé un système de jours fictifs qui pénalise la majorité écrasante des travailleurs du secteur. Car, une fois obtenues les allocations de chômage, cette méthode de calcul de jour fictifs sera utilisée pour nous enlever des allocations de chômage. Exemple : la personne qui aurait travaillé dix jours pour un tournage de film à 600 € par jour (cession de droits comprise) se verrait retirer 23 jours d’allocations (outre les 10 jours réels). Pourtant ces dix jours de travail seront peut-être les seuls qu’elle prestera dans les 6 ou 7 mois !… Ces 23 jours (et d’autres à venir) non travaillés et non couverts par une allocation de chômage pourraient, à la longue, nous causer quelques soucis pour l’obtention du nombre de jours annuels ouvrant les droits à la pension et aux soins de santé. Principales victimes de ceci : les techniciens.

Celui qui gagne plus de 354 brut par jour se verra retirer des jours d’allocations en plus des jours réellement déclarés. Il vaut donc mieux, à cause de ce système de calcul, gagner 1.000€ brut en un jour plutôt qu’en 10 jours. Conclusion : notre assurance chômage n’existera plus, je recevrai une espèce d’allocation universelle (pas très universelle), j’aurai droit à une espèce de revenu d’intégration CPAS.

Ce système inique n’existe dans aucun pays d’Europe. Nul doute que certains travailleurs du secteur commenceront à faire de savants calculs qui auront pour conséquence que d’aucuns ne voudront plus être traités de travailleurs artistiques et d’autres trouveront plus avantageux de faire des journées de « faux indépendant », de transformer tout ou partie en « faux droits d’auteur », voire plus simplement faire du noir !

Le pourcentage d’allocation est maintenu pendant trois ans. Pour le conserver au-delà, il faudra prouver 78 jours de travail dans cette même période de trois ans. Or, actuellement, en vertu de l’article 116 § 5 et 5bis de l’arrêté royal chômage, artistes et tous les techniciens maintiennent leur pourcentage d’allocation moyennant trois prestations annuelles (trois contrat de moins de trois mois en ce qui concerne les techniciens). Ce principe était initialement appliqué à tous les travailleurs engagés dans des liens de contrats de courte durée, et il existait depuis l’A.R. chômage de 1963 ! Pendant 59 ans donc ce principe fut appliqué sans que cela n’ait provoqué de trous abyssaux dans la sécurité sociale et sans que jamais quiconque n’ait démontré une quantité de fraudes inadmissibles. On aura donc voté un budget particulier de 75 millions d’euros pour financer une réforme du « statut d’artiste » tout en nous confisquant de l’autre main le soi-disant « avantage » de l’article 116 § 5 et 5bis, en diminuant le nombre de jours indemnisables et en excluant les techniciens supposés « non artistiques » de notre statut actuel.

Le législateur n’est pas tout à fait sûr de sa réforme, il promet d’en faire le bilan dans trois ans : nous voilà donc transformés en champ d’expérimentation. En réalité, le ministre Dermagne déclare au Roi que son successeur fera l’évaluation de tout ça dans trois ans !

A l’article 182 § 2 du projet d’A.R. chômage, on découvre que pour le maintien du pourcentage d’allocation « ne doivent plus fournir 78 jours de travail, mais 39, ceux qui ont été détenteurs d’une « attestation » pendant 18 ans ». Ceci ne pourrait donc être applicable que dans une vingtaine d’années… On fait quoi en attendant ? Et si on disait que, dès à présent, entrent dans le nouveau statut ceux qui démontrent que leur premier contrat salarié, dans le domaine des arts, remonte à plus de 18 ans ?…

Au même article 182 : « les périodes de référence sont prolongées du temps d’incapacité indemnisé ». Ceci concerne donc aussi le congé de maternité. Nous estimons qu’il manque là une mention particulière concernant les danseuses et diverses artistes du cirque pour qui la durée actuelle de congé de maternité est trop courte : difficile de danser (au minimum) à partir du troisième mois de grossesse et jusqu’à trois mois après accouchement.

A l’entrée du siège de la SABAM était naguère affiché : « Le droit d’auteur est la rémunération du travail des auteurs ». Et tel est toujours le cas, au-dessus ou en-dessous de 37.500 €, quoi qu’en disent nos légiférants lorsqu’ils interprètent la fiscalité applicable aux auteurs et artistes interprètes. Pour nous, ne seraient des revenus purement mobiliers que les droits perçus par des héritiers.
En vertu de plusieurs arrêts de Cassation et de plusieurs conventions collectives de travail, les droits d’auteur et droits voisins cédés à un employeur sont soumis à cotisations ONSS. Tel ne peut évidemment être le cas des droits récoltés et répartis par les sociétés de gestion. Pour nous, il s’agit dans ce cas de revenus du travail différés. Tel est le cas pour la majorité écrasante des artistes interprètes et pour certains auteurs, alors que d’autres auteurs perçoivent des revenus différés d’un travail indépendant.
Sur tous ces revenus de travail indépendant, il n’y a pas de cotisations INASTI, lorsqu’on a droit aux allocations de chômage.
Les légiférants ne nous semblent pas tenir compte des faits ci-dessus répétés.

A l’article 193 : « On tient compte pendant trois ans des mêmes rémunérations que celles qui servirent à obtenir le droit et sur lesquelles fut appliqué le pourcentage ». Pour nous, cela devrait se faire dès la deuxième année d’indemnisation.

Dans les mesures transitoires, il est prévu que les bénéficiaires au 31/08/2022 de l’article 116 § 5 et 5bis entrent dans le nouveau statut : bien. « Tous », c’est-à-dire tous les techniciens et pas seulement les « artistico-techniciens ». Mais qu’adviendra-t-il aux techniciens lorsque la « Commission » sera opérationnelle ? La Commission ne pourra pas, en un seul jour, trier tous les techniciens en deux groupes (séparant les « artisticos » des autres), donc cela engendrera des discriminations intolérables et qui plus est dans un groupe social de personnes qui travaillent ensemble, pour les mêmes entreprises et dans les même conditions de travail et de rémunération.

Et quant aux travailleurs qui ne bénéficient pas de l’article 116, ils devront prouver 156 jours de travail (dont 104 artistiques) : 156 jours de travail pendant les deux années COVID ?… de qui se moque-t-on ! Enfin, ceux qui ne bénéficiaient pas d’allocations avant le 1er septembre 2022, ils devront prouver des jours réels !… comme cela devrait être le cas depuis toujours ! Et eux aussi ont subi les deux années COVID !…

L’article 27 prévoit que les mesures transitoires cessent à la date d’entrée en vigueur de la loi instituant la « Commission ». Or la date d’entrée en vigueur ne signifie pas que la Commission sera opérationnelle le même jour : beau bordel en perspective.

A l’article 185 § 2, il est dit que « les jours chômés ne sont pas des jours assimilés à du travail pour l’octroi initial du droit ». Or en Europe, en vertu de la libre circulation des travailleurs et du principe d’équivalence des droits sociaux européens : un artiste ou technicien grec, bulgare etc… peut venir en Belgique avec un formulaire U1 ou U2. Il peut transférer ses droits nationaux originels définitivement en Belgique (U1) pour autant qu’il ait un contrat d’au moins 3 mois en Belgique. Or, avant, il était au chômage dans son pays… on fait quoi ? Pire encore, le formulaire U2 permet de venir en Belgique pendant trois mois pour y chercher du travail. Les collègues européens entrent donc, de facto, dans les allocations prévues par le statut des travailleurs des arts. Statut qui exige la preuve que l’intéressé exerçait bien dans son pays une profession artistique, technique ou de support. Attestation qu’il ne pourrait recevoir que de la « Commission » belge (cela n’existant pas ailleurs). On fait quoi à titre provisoire ? Le pire adviendra quand la Commission sera opérationnelle et pourra se pencher sur ces dossiers… en cyrillique entre autres !

La Commission

Il y a donc obligation, pour tous, d’obtenir une « attestation » délivrée par une Commission pour bénéficier du statut de travailleur des arts. Nous serons nombreux à appeler cette Commission : la « Matriochka » (ensemble de poupées russes emboitables) car en outre ce fourbi ressemble furieusement à une académie des arts de l’époque stalino-bolchévique.

Nos ministres auraient-ils une dent contre l’État de droit ? Certes, ils conviennent qu’on peut recourir aux tribunaux du travail contre une décision de la « Commission », mais les trois juges ne pourraient s’occuper que de la « légalité » de cette décision. Autrement dit, vérifier que les formes juridiques d’une décision administrative furent respectées, sans que le tribunal puisse réformer la décision contestée. En effet, les 125 pages de projets législatifs sont émaillés des citations suivantes :

« La Commission est la seule instance qui peut refuser ou retirer cette reconnaissance » ;
– « aucune institution n’est mieux placée que la Commission pour évaluer si une personne est dans les conditions pour obtenir une attestation » ;
– « le juge ne devrait pas, en principe, se substituer à la Commission » ;
– « le recours devant le tribunal du travail se limite à un contrôle de légalité » ;
– etc.

Et qui plus est, le recours au tribunal du travail ne peut se faire que dans le mois qui suit la décision de la Commission : trop court ! Dès lors qu’il s’agit d’une décision « administrative » comme celles de l’ONSS ou de l’ONEM, le pouvoir du juge est de pleine juridiction, il peut réformer la décision de la « Commission ». Il y a sur le sujet une montagne de jurisprudences constantes.

Parce que les mots « art », « artiste », « artistique » sont liés à l’esthétique et à l’éthique, ils ne peuvent être que subjectifs ! Quelques exemples contenus dans les 125 pages de projets législatifs sont éclairantes, on y postule :

– le sous-titrage d’un film n’est pas artistique. Donc « Douze hommes en colère » adapté sur papier imprimé engendre des droits d’auteur, mais pas si couché sur pellicule.
– atelier de formation, conservatoire, académie etc., lieux où un metteur en scène, un chef d’orchestre, un réalisateur de film montreraient leur art, ils ne seraient plus artistes, mais pédagogues. Ainsi, André Delvaux montrant à de futurs artistes comment il dirige des acteurs ne ferait pas un travail artistique ; Léonard de Vinci montrant à ses disciples comment il peint ne serait plus artiste, mais pédagogue ; toutes ces transformations d’artistes en « pédagogues » vont pénaliser lourdement tous les contractuels qui transmettent ou éveillent à l’expression artistique ;
– pas artiste, le photographe portraitiste : Hubert Grooteclaes, auteur des portraits de Brel, Léo Ferré pour leurs pochettes vinyle, ne serait pas artiste ;
– ni un photographe publicitaire : pauvre Olivier Toscani dont les photos pour Benetton ne seraient pas artistiques ;
– animer un public n’est pas artistique : alors, costumé ou non, pauvre Monsieur Loyal ;
– se déguiser en saint Nicolas idem. Or une jurisprudence de 1943 dit déjà que saint Nicolas aux Galeries Anspach est un artiste de spectacle ;
– la stripteaseuse actant dans un film serait artiste interprète, mais la même ne l’est plus au cabaret ; nos ministres moralisateurs ne peuvent imposer leur éthique : s’il y a spectacle (et spectateurs non ministériels il y a) le-la stripteaseur-euse est bien artiste de spectacle (vivant ou enregistré) ;
– voix off de documentaire, pas artistique. Nos trois ministres devraient expliquer à Sophie Marceau ou à Gérard Depardieu qu’ils ne sont plus artistes quand il font des voix off. L’ONEM, lui, considère actuellement que c’est artistique. Ceci concerne quelques dizaines d’entreprises et au moins un millier d’artistes interprètes ;
– la création d’affiches n’est pas artistique. Il en serait donc ainsi de René Magritte créant l’affiche du premier festival de cinéma expérimental de Knokke ; hors-jeu aussi Toulouse Lautrec avec sa « Goulue » ;
– exit aussi la photo de mode. Yves Saint-Laurent photographiant Catherine Deneuve : aucun apport esthétique, pas artistique ;
– les figurants et silhouettes parlantes, eux, seraient intégrables dans l’artistique. Or l’acteur étant celui qui interprète par la voix et/ou le geste, on ne peut dire que le figurant fasse du travail artistique, il serait d’ailleurs étonnant qu’un seul figurant ait fourni à l’ONEM 312 jours de travail comme figurant. Quant à la « silhouette parlante », ce terme n’est pas utilisé dans nos usages professionnels, ni dans aucune convention collective, on parlera donc d’un petit rôle d’acteur. Il peut y avoir, dans les opéras, des figurants habituels, incontestablement petits rôles d’artiste de spectacle.

S’ajoutent à ces quelques exemples énumérés par nos trois législateurs, le fait que le subjectivisme continuera de sévir lorsqu’il s’agira de trancher entre artiste et artisan. Le statut légal de l’artisan l’oblige à être « créatif », certains pourraient donc être reconnus créateurs artistiques.

Les quelques exemples ci-dessus nous donnent la fâcheuse impression que nos trois ministres et leurs conseillers veulent légiférer sur un secteur qu’ils ne connaissent guère. On se demande à quoi devaient servir les représentants des « fédérations » qu’ils prétendent avoir consultés.

Si ce que nous avions fait savoir aux cabinets ministériels au début de leurs travaux avait été entendu, la majorité écrasante des situations dans le domaine artistique aurait déjà été réglée, si le groupe sociologique envisagé se limitait, dans une première étape, aux auteurs (musique, arts plastiques, BD, littérature, etc.) ainsi qu’aux artistes et techniciens des spectacles vivants ou enregistrés. Les moyens objectifs d’identification de ce personnel existent, sans qu’il soit besoin de recourir à une « attestation ».

Perpétuels demandeurs de travail, les professionnels du secteur peinent parfois à entrer en conflit avec les donneurs de travail. Mais leur mal-être social s’exprimera volontiers contre les « administrations », quelle qu’elles soient. La complexification des règles chômage et leurs nouveaux devoirs administratifs envers la « Commission » vont amplifier le phénomène et les recours.

L’exposé des motifs du projet de loi « Commission » pointe à la page 3 l’absence de « conventions et de négociations collectives » et ceci est répété à la page 4 : visiblement nos trois ministres ne connaissent pas le secteur ni les 5 commissions paritaires dont nous relevons.

Par arrêté ministériel, nos trois ministres vont agréer des « fédérations des arts » qui « devront bénéficier d’une certaine représentativité » : sur quels critères objectifs vont-ils sélectionner ?… Encore une porte ouverte au clientélisme ? Ceci part du postulat que les syndicats ne représentent pas les travailleurs du secteur. Les « fédérations » qui participèrent aux travaux WITA représentaient (toutes ensemble) bien moins de membres que les trois organisations syndicales réunies et, qui plus est, ces fédérations affilient également des syndiqués. Nombre d’entre elles sont en fait dirigées par des demandeurs de subventions, des employeurs. Ceci aura pour conséquence que la composition de la « Commission » ne sera plus paritaire !… puisqu’il est prévu que « le nombre de représentants des fédérations doit être égal au total des représentants des administrations et partenaire sociaux réunis ».

Le président et le vice-président de la « Commission » seront licenciés en droit et « indépendants » : aucun critère objectif ne garantit leur indépendance, contrairement à l’actuelle « Commission artistes », dont le président est magistrat. Encore une porte ouverte au clientélisme politique.

A l’art. 2 § 5, il est prévu que « la Commission donne des avis sur des projets de lois et d’arrêtés ». Donc, les partenaires sociaux ne représentant que 16 % des membres de la Commission (les politiques désignant les autres 84 %) se verront minorisés et « doublés » quant aux mêmes fonctions qu’ils assument seuls et paritairement dans les comités de gestion de l’ONEM, de l’ONSS et au Conseil national du travail.

La Commission a aussi « la tâche d’informer » : ici encore, nous voilà avec une Commission susceptible de donner des informations différentes de celles que donneraient les syndicats patronaux ou de travailleurs.

Cette Commission mobilisera au total une cinquantaine de personnes. Il est impossible que la parité linguistique et communautaire puisse être respectée dans chacune des composantes : neuf membres représentant les fédérations ; trois, l’administration ; trois, les syndicats de travailleurs ; trois, les organisations patronales.

En outre l’obligation de bilinguisme (qui peut s’admettre pour les représentants des administrations) est inadmissible pour les 15 autres membres et leurs suppléants. Le fait que ce bilinguisme puisse être « passif », dans des matières techniques, artistiques et juridiques, ne garantit pas l’efficacité des dialogues. Et en plus, trois d’entre eux devront parler allemand.

A l’article 4, § 1er du projet d’arrêté royal, il est prévu que dans les chambres restreintes il y ait un seul représentant des syndicats de travailleurs, … or il y trois syndicats et nul ne peut les contraindre à être d’accord quant au choix de l’unique représentant : on fait comment ?… à l’épée et à l’aube ?

Les même commissions restreintes peuvent siéger si quatre membres sont présents ; par les procurations on pourrait donc avoir délivrance d’attestations par deux personnes… bonsoir les soupçons de copinage !…

A l’article 5 § 2, le même genre de problème se répète pour la chambre élargie. Si la moitié des neuf membres (3 pour l’administration, 3 pour les organisations patronales, 3 pour les syndicats) doivent être présents : la parité patrons / travailleurs pourrait ne pas être respectée.

On nous promet une deuxième phase de travaux WITA qui se penchera « sur les conditions de travail et situation socio-économique ». Quelle compétence légale auraient des représentants de corporations pour intervenir comme les partenaires sociaux dans nos cinq commissions paritaires du secteur culture ? Par ailleurs, il ne peut y avoir d’accord collectif pour le travail indépendant.

Ce genre de comportement ministériel nous fait penser à l’époque douloureuse où Benito Mussolini remplaçait les syndicats par des « corporations »… Quand bien même ce n’est pas l’intention de nos légiférants, car nous savons que la mode de la « démocratie participative » est passé par là…

A l’article 19 § 2, l’alinéa 1 et 2 sont semblables, les rédacteurs et signataires n’auraient-ils pas dû se relire ?

Article 19 § 5 : en cas de recours en annulation de l’attestation, l’intéressé en est informé par la plateforme numérique et non par recommandé : dommage ! Et pendant l’enquête en annulation, l’attestation est suspendue. Plus d’attestation… que deviennent les allocations de chômage de l’intéressé ? Pire encore : l’attestation m’est retirée dans le courant de la 4ème année… comment rembourser les allocations de 4 années ? Sur la paille à vie ?!…

L’attestation est délivrée dans un délai de trois mois maximum. Mais ces trois mois sont suspendus par juillet et août. Or, dans la culture, on travaille aussi pendant ces deux mois de suspension. Que devient l’Européen qui cherche du travail en Belgique pour trois mois, qui fournit son U2 le 15 juin et qui devra en outre fournir un volumineux dossier dans on ne sait quelle langue… et qui recevra son attestation le 15 novembre ! après son départ de Belgique. Pas d’allocs pendant ce temps ?…

A l’article 6 § 4 du projet de loi « Commission », on lit : « Une activité est considérée comme artistique seulement si le demandeur livre avec cette activité une contribution artistique nécessaire à une création ou une exécution artistique. Une contribution artistique est considérée comme nécessaire lorsque, en l’absence de celle-ci, le même résultat ne pourrait être obtenu. ». C’est du patagon, incompréhensible. Cela semble vouloir définir ce que devraient être les prestations artistico-techniques et les activités de soutien. L’appréciation du côté artistique de ces deux fonctions est éminemment subjective. La discrimination entre technicien et artistico-technicien nous semble intolérable : tous sont indispensables et irremplaçables faute de quoi l’œuvre ou l’exécution seraient handicapées ou différentes.

Au même article 6, § 5 : l’exigence de fournir des éléments concernant « l’investissement en temps » nous semble éminemment subjective, le temps employé par les uns ou par les autres peut être différent sans que cela n’obère la qualité du résultat. Il en est de même pour l’obligation de fournir la preuve de revenus professionnels suffisants pour pouvoir assurer une partie (laquelle ?) des frais de subsistance. Ceci est évidemment différent d’un individu à l’autre et invérifiable.

Les détenteurs de l’ex « visa » recevront l’attestation alors que la quantité de travail artistique ne devait pas être prouvée précédemment. Les bénéficiaires de l’article 116 § 5 et 5bis de l’arrêté royal chômage recevront l’attestation « plus »… Pourquoi cet état de fait ?

Les représentants des fédérations doivent avoir « une connaissance pertinente en matière de protection sociale des travailleurs »… On leur fera passer un examen ?…

Les débutants doivent fournir un « plan de carrière, plan financier et plan d’affaires ». Van Gogh, Arno ou Hugo Claus n’auraient pas pu être ce qu’ils furent sans cela, bien sûr. Nous ne connaissons aucun professionnel qui aurait fait ça par écrit à l’âge de 22 ans. Nos trois ministres, d’ailleurs, l’ont-ils fait, à cet âge-là ou après ?…

Les bénéficiaires de l’article 1bis (personnes engagés dans un rapport de travail où le lien de subordination est difficile à prouver) doivent fournir la preuve de l’existence d’un donneur d’ordre. Or trop souvent dans le passé, certains des contrats étaient établis par un bureau social pour artistes (SMART, Merveille et consorts). Les bureaux sociaux ne peuvent être considérés comme donneurs d’ordre. Et ceci n’était jamais contrôlé.

En 2002, constatant que le nombre d’ouvriers diminuait, le ministre Vandenbroecke a voulu augmenter le nombre de « clients » de l’ONVA. Pour leurs congés payés les artistes furent donc transformés en ouvriers. Les techniciens, eux, chez les mêmes employeurs, ne devaient pas passer par l’ONVA. On renfloua un peu l’ONVA, puisque les cotisations ONSS s’établissent sur 108 % des salaires bruts. Les entreprises subventionnées du Nord et du Sud du pays se virent ainsi amputées par des augmentations de cotisations. Or l’attestation artistique va aussi être délivrée aux techniciens et aux activités de soutien. Pendant 20 ans on a donc diminué les capacités de production dans un secteur où les emplois sont rares… et ça va être pire encore à l’avenir !

Le RPI (Régime des petites indemnités) sera enfin supprimé : bien ! Mais le nouveau régime « amateur » ne sera pas appliqué par l’intégralité du groupe des amateurs. Une montagne débordante (et c’est tant mieux) de fanfares (constituées ou spontanées), de chorales (laïques, églises, temples…), trois mille ateliers de céramique, spectacles, expositions annuelles d’académies etc., etc. Par contre ce nouveau régime permet à des entreprises permanentes de productions artistiques d’embaucher des amateurs, y compris des membres de leur personnel pour une autre fonction que l’objet de leur contrat. Ceci ouvre la porte à l’embauche d’amateurs, aux tarifs et conditions du nouveau régime sans que les conventions collectives soient respectées. Ça va pas !
L’artiste amateur interviendrait dans des équipes professionnelles lors de spectacles vivants ou enregistrés sans qu’il y lien de subordination ?… impossible. Ceci contreviendrait donc à la loi sur les contrats de travail : belle pagaille juridique en perspective.
Si l’indemnité amateur est forfaitaire (frais compris donc) pourquoi prévoir l’ajout de maximum 20 € de frais de déplacement ? Il ne nous semble pas admissible que le détenteur d’une attestation artiste (professionnel donc) puisse également être amateur. Or les textes légiférants actuels le permettent.
Une chambre « restreinte » délivre l’autorisation. Or le donneur d’ordre peut introduire une demande le jour même de l’exécution !… Impossible de donner l’autorisation le jour même puisque administrativement elle peut être donnée dans les trois mois.
La même journée il pourrait y avoir plusieurs donneurs d’ordre, l’amateur pourrait arriver ainsi à une activité quasi professionnelle !

Cette « Commission » doit être revue, la « Matriochka » doit être nettoyée. Une quantité de dossiers et de travaux administratifs pour les artistes et techniciens en plus de ceux qu’ils ont déjà… Et pour tout cela nos trois ministres auraient relu la loi du 15 décembre 2013 sur la simplification administrative !

Les utilisateurs du « Droit » (avocats, juges, etc.) se réfèrent souvent au « Rapport au Roi » et à l’ « Exposé des motifs ». Il faut, par conséquent, nettoyer également ces textes.

Pour l’obtention et le maintien du droit au chômage, les seuls arrêtés chômage devraient suffire, sans « attestation » de la « Commission ». L’ONEM et l’ex Commission subirent tous deux des recours devant les tribunaux du travail. Et tel sera le cas pour la future Commission. Nous estimons que l’ONEM a, à la longue, acquis une expertise. Quitte à ce qu’une section spéciale de l’ONEM (dans le domaine des arts) soit mise sur pieds, y compris avec adjonction de partenaires sociaux et autres spécialistes. Beaucoup moins coûteux, administrativement plus léger.

Bienheureux les pensionnés-pas retraités, car ils n’auront pas à subir tout cela.

Pour le Conseil général SETCa-Culture
Nicola Donato, président
Alexandre von Sivers, Secrétaire

Bruxelles, le 27 mai 2022

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