TRUMP, GILETS JAUNES, CHARLES MICHEL par Daniel Tanuro

L’éditorial de La Libre: un exemple parmi des centaines d’autres aujourd’hui de la manière dont l’idéologie dominante exploite à son profit l’assaut trumpo-fasciste contre le Capitole, mercredi.

Le système présidentiel US a été fondé au temps de l’esclavage, au 18e siècle; il est basé sur le suffrage indirect, biaisé de toutes les manières possibles, gangrené par l’argent jusqu’à la moëlle… Qu’importe: dans les médias, il a suffi que de dangereux apprentis fascistes prennent le Capitole d’assaut pour que les Etats-Unis redeviennent comme par magie “la grande démocratie par excellence”.
Inégalités sociales vertigineuses, discriminations racistes criantes, sexisme virulent, absence de sécurité sociale, sectes religieuses fanatiques, groupes nazis et suprémascistes ultra-armés, refoulement des migrant.e.s, agressions homophobes et… soutien impérialiste aux dictateurs du monde entier… Soudain, Trump est désigné comme la cause principale, si pas exclusive, de tous ces maux, qui ne datent pourtant pas d’hier!
Le message aux populations est clair comme de l’eau de roche: “La polarisation fait le jeu des ‘extrémistes’ qui mettent la Démocratie en danger, rassemblons-nous pour La défendre, faisons taire nos querelles, aimons-nous les un.e.s les autres”.
Traduit en termes politiques et sociaux, cela signifie: “travaillez bien, acceptez patiemment les sacrifices, obéissez à la police et respectez vos Gouvernements. Sinon, les méchants extrémistes (‘de droite ou de gauche’, ajoutait un responsable du MR…) mettront en danger les Institutions sacrées de la Démocratie”.
 

Gilets Jaunes

 
Pour que les choses soient tout à fait claires, certains observateurs (comme on dit) ont d’ailleurs osé mettre un trait d’égalité entre les bandes fascistes lancés par Trump à l’assaut du Capitole et le mouvement des Gilets jaunes lancé par la base sociale contre la politique austéritaire-sécuritaire d’Emmanuel Macron! Plus c’est gros, mieux ça passe…
Bien qu’il soit plus subtil et qu’il se réclame des “valeurs démocratiques”, ce discours n”est, en fin de compte, pas moins mensonger que celui de Trump. Simplement, il remplace les “vérités alternatives” par la pensée unique (révélée par les “faiseurs d’opinion” vedettes) et les discours de haine par des déclarations d’amour (dégoulinantes d’hypocrisie).
On.ne peut pas dire que les grands médias nous aient avertis du danger de coup d’état : au contraire, ils l’ont ignoré, alors qu’il était évident. Si Trump avait réussi à utiliser la Cour Suprême des Etats-Unis pour inverser le résultat du vote – comme il en avait clairement l’intention! – les autres responsables politiques du capitalisme et leurs relais médiatiques se seraient fort probablement contentés d’un commentaire désapprobateur, tout en soulignant les bizarreries du système étasunien…
Mais ce qui s’est passé au Capitole change la donne. Tout à coup, des masses de gens constatent avec inquiétude que le chômage massif, les inégalités, les lois du marché, la guerre de toustes contres toustes et les relations impérialistes font renaître la barbarie fasciste et raciste, comme dans les années trente. Elles constatent aussi que, comme dans les années trente, les tentatives d’ouvrir le chemin du pouvoir à cette barbarie ne viennent pas seulement d’en-bas (des “QAnon” et autres “Proud Boys”) mais souvent aussi d’en-haut, parfois même du sommet de ces Etats qu’on nous dit “démocratiques”. (De Trump aux Usa et, chez nous, avant guerre, de Léopold III qui, avec Henrik De Man, avait choisi “l’Ordre Nouveau”).
 

Joe Biden et les Républicains

 
Le choc du Capitole est comparable à celui du 11 septembre, sur un autre terrain. Alors, les responsables politiques du capitalisme et leurs relais médiatiques se précipitent. Pour en finir avec le chômage massif, les inégalités, les lois du marché, la guerre de toustes contre toustes, les relations impérialistes? Ah non, au contraire: ils se précipitent pour sauver ces politiques injustes qui sont les leurs, sauver les institutions par lesquelles ils édictent ces politiques. et sauver l’idéologie hypocrite qui fait passer ces institutions pour défenderesses démocratiques de “l’intérêt général”, alors qu’elles sont au service des intérêts particuliers des puissant.e.s.
C’est très clair aux Etats-Unis, où la stupeur créée par le coup foireux de Trump est mise à profit pour tenter de consolider la position fragile de Joe Biden, de justifier son rapprochement avec les Républicains “anti-Trump” (entre guillemets), et donc l’élimination de tout ce que le programme du futur président comportait encore de concessions faites à la gauche au sein du Parti démocrate… La manœuvre ne débouchera pas sur une alternative démocratique, sociale et écologique au trumpisme mais sur un approfondissement du genre de politique qui a rendu le trumpisme possible, et par conséquent sur son renforcement.
 

Charles Michel et l’union sacrée

 
Et la même tendance s’observe en Europe également. On a eu droit à un échantillon hier soir, sur les écrans de la RTBF, avec l’interview complaisante du désormais président du Conseil européen, Charles Michel. Charles Michel, le chef du gouvernement le plus anti-social d’après-guerre; Charles Michel, l’homme qui a gouverné pendant quatre ans avec un secrétaire d’Etat à l’immigration fascisant et admirateur explicite de Trump; Charles Michel, l’homme qui a trouvé “démocratique” d’imposer la pension à 67 ans (!!!) alors que cette mesure criminelle ne figurait même pas au programme des partis formant sa coalition.
Le même genre d’enfumage est en cours dans tous les pays, avec d’autant plus de risque de succès que la pandémie favorise les discours d’unité nationale par-delà les clivages sociaux. Dans tous les pays, comme aux Etats-Unis, le résultat sera le renforcement de la droite extrême et de l’extrême-droite populiste, raciste, conspirationiste et sexiste. Le danger que celle-ci représente ne peut en effet pas être combattu par “l’union sacrée de tous les démocrates” – une union sacré dans la régression sociale néolibérale. Il ne peut-être combattu que par la mobilisation de masse des exploité.e.s et des opprimé.e.s en défense de leurs droits démocratiques et donc de leurs droits sociaux, et contre toute forme de domination.
Dans cette mobilisation, il faut que les partisan.e.s de l’écosocialisme se regroupent, car le système capitaliste n’a plus rien d’autre à apporter que la régression sociale, la destruction écologique et le despotisme politique.
Daniel Tanuro
Écosocialiste, membre de la Gauche Anticapitaliste, auteur de « Trop tard pour être pessimistes » (Éditions Textuel, 2020)

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