Un auteur, mais aussi un musicien BRASSENS, POUM PAPOUM PAPOUM…

Si je vous demande l’apport de Brassens à la chanson française, vous répondrez sans doute, sans hésitation : “ses textes”.
Tonton Georges est en effet considéré comme l’un des pères fondateurs de “la chanson à texte”, cette étrange catégorie qui sous-entendrait qu’il existe des “chansons à musique”, voire même des “chansons sans texte”.
Et certes, Brassens est un formidable auteur de chansons.

Dès son premier tour de chant, on le reconnaît entre cent à son vocabulaire fleuri, à la fantaisie de sa narration et à la palette originale de ses sujets, de l’amour cru à l’amour courtois, en passant par la satire sociale et la camarde cent fois revisitée.
Mais son écriture et sa versification restent relativement “classiques”.
Par contre, il fut le premier, si je ne m’abuse, à introduire dans la chanson “rive gauche” une véritable rythmique, le fameux “poum papoum papoum” de “La Mauvaise Réputation” ou du “Pauvre Martin, cette alternance de basse alors si caractéristique, cette “pompe” à la guitare que soulignait la contrebasse de Nicolas, et qui nous permet de musicalement “caricaturer” notre bon vieux Maître en trois accords.
Cela n’enlève rien aux qualités de son écriture. Cela rajoute simplement une plume à son chapeau. Car pour un coup “d’essai”, ce fut un coup de maître. Heureux celui qui peut être parodié : il montre qu’il a trouvé son propre style.

La base de toutes les musiques populaires, c’est en effet un rythme et une mélodie.
C’est pourquoi le piano, qui peut assumer ces deux fonctions de base, reste l’instrument privilégié des compositeurs – qui peuvent en outre y ajouter l’harmonie (les accords).
La mélodie, c’est ce qui les relie à la voix, au chant, à la parole.
La rythmique, c’est ce qui parle au corps, au ventre, à la danse, ce qui fait que, dans un concert, vous claquez des doigts ou vous vous trémoussez sur place.
L’harmonie, c’est pour faire joli.
Mais la base, c’est le chant et le rythme.
En Afrique, dans le Maghreb, en Inde ou en Espagne, un chanteur ou une chanteuse peut simplement s’accompagner d’un tam-tam, d’un tambourin, de castagnettes ou de tablas.
Mis à part peut-être les Fabulous Trobadors en Occitanie, ou Mélaine Favennec en Bretagne, rien de tel en France.

C’est sans doute une des faiblesses de la chanson dite “française” : elle ne dispose pas d’une rythmique qui lui soit musicalement propre. Les “chansons françaises” traditionnelles sont souvent des complaintes ou des ballades, que l’on chante “rubato” sur des arpèges approximatifs. Essayez donc de frapper dans vos mains sur “Aux Marches du Palais” ou “La ballade de Mandrin” ! Vous voyez “le problème” ?
La chanson, justement appelée “de variété”, doit donc emprunter toutes ses rythmiques à ses cousines et à ses voisines : au jazz, au rock, au blues, à la bossa-nova, aux musique des îles, à la “world music”, au folklore …
Brassens lui-même ne s’est d’ailleurs pas cantonné pas à son “poum papoum papoum”.
Comme Trenet, qu’il a beaucoup écouté, il a ses influences “swing” : “Le 22 septembre”, “Les copains d’abord”, “La princesse et le Croque-Note” ….
Il y a les valses (qui, via l’accordéon musette, sont sans doute ce qui se rapproche le plus d’une musique populaire “à la française”) : “L’Auvergnat”, “Le Vieux Léon”, “La Marine”, “Le Bistrot”, “Les bancs Publics”…
Il y a les influences folkloriques et italiennes (tarentelles) : “Il suffit de passe le Pont”, “Gastibelza”, “la légende de la nonne”…
Il y a les comptines enfantines (“Le Roi”) et les chansons de corps de garde (“Fernande”).
Sans compter tout le patrimoine musical directement hérité du music-hall. Car outre Charles Trenet, déjà cité, Brassens connaissait par coeur des dizaines de chansons de ce large répertoire.

Je suis persuadé que si le rap français connaît aujourd’hui un tel succès commercial dans l’Hexagone, c’est parce qu’il a su greffer toute l’expressivité d’une langue parlée sur une rythmique enfin clairement identifiée.
Mais pour la chanson française dans son ensemble, le “problème” reste entier.
Mis à part quelques francs-tireurs, comme Sanseverino, qui a écrit de superbes chansons sur des rythmiques “manouches”, ou ceux qui, comme Voulzy et Cabrel, se sont totalement appropriés la pop-rock anglo-saxonne, ou ceux qui, comme Nougaro, Maurane et Jonaz, ont totalement assimilé la grammaire du jazz, à chacun donc, comme notre bon vieux maître, de trouver son propre poum papoum papoum.

A l’occasion du centième anniversaire de la naissance de Brassens, on avait déjà abondamment célébré “le poète”.
J’ai aussi voulu rendre ici hommage au musicien.

Claude Semal le 29 septembre 2021.

Ci-dessous, Georges Brassens chante “Pour me rendre à mon bureau” de Jean Boyer, une chanson du répertoire “music-hall” initialement interprétée par Georges Tabet en 1945.

2 Commentaires
  • Guy Leboutte
    Publié à 12:54h, 02 octobre

    Bonjour,
    Je ne dispose pas de toute cette science musicale, mais le style de Georges Brassens n’est-il pas aussi marqué par ses mélodies? J’ai lu que durant son enfance, sa mère chantait de nombreux airs populaires du sud de l’Italie, et quand j’écoute un certain disque de chansons napolitaines, je crois y entendre du Brassens…

    • Semal
      Publié à 13:52h, 02 octobre

      Tout à fait Ce sont les “influences italiennes” que je cite. On aurait pu préciser : “napolitaines”, mais je ne connais pas assez les chansons italiennes pour faire dans le détails.

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