UNE SORCIÈRE COMME LES AUTRES (et une femme magnifique)

Anne Sylvestre, qui vient de nous quitter…
Non, elle ne nous a pas quitté, justement.
Mais elle est morte.
Anne Sylvestre, qui vient de mourir à 86 ans d’un AVC, a occupé une place particulière dans la vie d’Irène et de Claude.
Car pour tous ceux qui aiment la chanson comme une route, un partage, un art de vivre, elle fut un exemple et une amie. Jusqu’au bout, elle a donné de magnifiques concerts. Jusqu’au bout, elle a écrit de magnifiques chansons. Pour « les gens qui doutent », « une sorcière comme les autres », « non, tu n’as pas de nom »,… et pour ces dizaines d’autres chansons qui vivent et vivront dans nos mémoires,
merci, merci et merci.
 

Pas un obstacle, mais un inconvénient.

 

C’était à Pourchères, en juin 2016. Je m’étais inscrite à un stage d’écriture animé par Anne Sylvestre, précédant un festival de chanson, les Chansonnades.
Pourchères, c’est un village en Ardèche, sans un café, une boulangerie, un quelconque lieu où s’isoler des autres, sauf la campagne. Si on ne dort pas ensemble, toutes les autres activités se font en commun, depuis le petit déjeuner jusqu’au repas du soir, en passant par la sieste et, bien sûr, les ateliers.
Anne n’était pas dupe : comme elle l’a dit plus tard à une amie commune, elle savait que je n’étais pas venue là pour « travailler mon écriture » mais pour passer du temps avec elle, elle que j’admirais tant tout en la craignant quand même un peu. Elle avait une réputation de “râleuse” (ce qui n’est pas fait pour me déplaire); elle s’est montrée de fait très exigeante, autant qu’encourageante, et aussi d’une grande patience avec les débutant·es
J’étais la « Belge » de service (et « belge », ça ne rime avec rien), celle qui ne respectait jamais l’ensemble des consignes, qui s’imposait des contraintes supplémentaires et qui a eu la chance infinie d’interpréter un de ses textes sur scène avec Anne, en ouverture du festival. Anne a aussi écrit pour l’occasion une chanson en l’honneur ces Chansonnades, que l’ensemble des participant·es ont eu le bonheur d’interpréter avec elle.
Mon texte s’appelait « Ce n’est pas un obstacle, c’est un inconvénient », thème qu’elle avait lancé parmi d’autres, d’apparence plus abordable. J’en avais fait une « lettre de motivation » pour être acceptée au stage, lui faisant la liste de toutes mes imperfections mais prête à tout pour me rendre utile («faire le ménage, vous gratter le dos, chasser les mouches… ») Et elle, à chaque fois que j’énumérais l’une de mes incompétences, lâchait « ce n’est pas un obstacle, c’est un inconvénient ».
Me trouver sur une scène à ses côtés restera le plus beau moment de ma brève carrière artistique.
Lors du festival lui-même, deux artistes ayant dû déclarer forfait pour cause de maladie, leur concert a été remplacé au pied levé par une celui, improvisé, de Francesca Solleville et Anne Sylvestre, avec Nathalie Fortin au piano (et à la course après les feuilles qui s’envolaient dans ce décor magique). J’en ai vu des spectacles d’Anne surtout ces dernières années; celui-là fut le plus fou et le plus émouvant.
Ces souvenirs reviennent en force en ce jour où elle est allée rejoindre toutes les sorcières.
Pour parler d’elle, son absence n’est peut-être pas un obstacle, mais c’est à coup sûr un inconvénient.

Irène

Ci-dessous, Claude, Michel Buhler et Anne au Cabaret des Forges à Liège. Au second plan, Andrée des Forges et Jean-Marie, son compagnon, les deux merveilleux animateurs bénévoles de ce lieu magique (photos Bernard Hennebert).

 

Une rencontre en autoproduction

Au mitan des années ’80, à l’initiative de Diffusion Alternative et de Bernard Hennebert, j’ai participé à une série de débats en France, en Suisse et en Belgique avec Anne Sylvestre et Michel Buhler. Le thème ? L’ (auto)production discographique.
Par la force des choses, dans cette itinérance débatique, nous avons partagé quelques séjours à l’hôtel et quelques heures de voiture.
De là est née une relation personnelle, quoique très épisodique, qu’à ma grande honte, Anne était souvent la première à nourrir.
Elle était très généreuse avec ses jeunes collègues, toujours curieuse de découvertes, toujours à l’écoute, toujours passionnée des chansons des autres. Elle a dû assister à une demi-douzaine de mes concerts.
Elle qui, à ma connaissance, n’a jamais chanté que ses propres textes, m’avait même proposé d’enregistrer la chanson “être utile”, qu’elle avait entendue lors d’un de mes concerts à Paris.
C’est vous dire si elle était généreuse dans son écoute ;-).
C’était une femme formidable, avec quelques fêlures terribles, que cette sorcière transmu(t)ait en or dans ses chansons.
Une femme profondément « de gauche », qui était aussi la fille d’un collabo.
Un être humain complet, qui, après une vie familiale gentiment hétéro, a magnifiquement chanté les amours féminines (“partage des eaux”).
Dernier coup de pied de l’âne du destin, elle avait perdu un petit-fils dans le massacre du Bataclan.
Un AVC a mis fin à 86 ans à cette vie de « sorcière comme les autres », qui était avant tout une femme formidable.
Anne, ma grande soeur Anne, tiens-moi une bouteille au frais.

Klod

Le bel hommage de François Morel sur France Inter:

https://www.youtube.com/watch?v=UMC6RIYLxgI&fbclid=IwAR1FblVAAB9af2B-nhO1U0oVXQ8ib_aDBnWrx4xVqZfOMFaLP-u345BNZas
Une très belle émission “historique” sur Anne Sylvestre (installez-vous tranquillement pour une heure en sa compagnie):
https://soundcloud.com/luc-malghem/anne-sylvestre-une-chanteuse-francaise?fbclid=IwAR0Rsl5mObR3qE9-lxBJQbI0zsaLXVHlNRcrWvdOcjzydDapveIg2KYZuV0

Une chanson : “Ecrire pour ne pas Mourir”

https://www.youtube.com/watch?v=w7lHXwW2zOc

Et si vous avez un peu plus de temps devant vous, quatre émissions où elle parle des copines et des copains chanteur·euses (merci à Bernard Hennebert pour le lien):

http://rienalaffaire.com/avec-anne-sylvestre/?fbclid=IwAR0U9dOj1VW1C0ldOFnnpZdmLrrcdzoHE7s5MwLHz1ZxrlVALevErtksa_0

 

4 Commentaires
  • Catherine Vegairginsky
    Publié à 13:23h, 01 janvier

    merci!

  • Colette Sancy
    Publié à 09:03h, 05 décembre

    Bien vrai que sa mort est presque le contraire d’une disparition… Un rappel, une réincrustration définitive pour combien d’entre nous de tout un parcours d’engagement personnel, tant social que musical, littéraire et individuel !

  • Claude Semal
    Publié à 12:49h, 04 décembre

    J’ai mis le lien pour la chronique d’hommage de François Morel.

  • Réginald BRIBOSIA
    Publié à 12:28h, 04 décembre

    Un très bel hommage de François Morel sur France Inter

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