
31 juillet 2025
VIE ET MORT DE L’AIDE HUMANITAIRE par Gwen Breës
Il y a quelques jours, une info circulait selon laquelle des soldats israéliens auraient reconnu avoir détruit le contenu de plus de 1000 camions d’aide humanitaire à destination de Gaza. Je me méfie toujours des infos qui circulent sur les réseaux sous forme d’un visuel et d’une phrase courte. Sur le coup, je n’avais trouvé qu’un média turc et un média russe qui en parlaient, sans donner plus de détails.
Ce matin, j’ai pris le temps de chercher la source : un reportage de KAN, la chaîne publique israélienne, daté du 25 juillet. C’est en hébreu, mais grâce à la traduction en ligne, on peut apprendre qu’en effet, des soldats disent avoir enterré ou brûlé d’importantes quantités de nourriture avariée, mais aussi de fournitures médicales et d’eau en bouteille périmées.
Et cela risque de se reproduire, si ce n’est déjà fait. « Nous avons ici le plus grand entrepôt de céréales existant », explique une source militaire à KAN. « Si les marchandises qui s’y trouvent aujourd’hui ne sont pas récupérées, nous évacuerons et enterrerons le matériel ».

Kerem Shalom
La raison ? « Le mécanisme ne fonctionne tout simplement pas » et « la coordination non plus ». Les colis croupissent au soleil, au poste-frontière de Kerem Shalom — l’unique terminal commercial et humanitaire officiel vers la bande de Gaza, régulièrement fermé par Israël, notamment durant les périodes de blocus total.
Les camions se trouvent « du côté palestinien » de Kerem Shalom, précise KAN, sans mentionner qu’il s’agit d’une zone tampon sous contrôle israélien. Le gouvernement israélien se dédouane entièrement de ses responsabilités dans cet immense gâchis. Dans un clip vidéo posté le 29 juillet, son armée met en scène des sms envoyés à l’ONU : « L’aide a été délivrée à Gaza. Nous avons fait notre part, maintenant à vous de la distribuer. »
Dans la propagande israélienne, l’ONU ne répond pas. Dans les médias, ses agences (PAM, OCHA, UNRWA) ne cessent au contraire de demander à Israël de permettre l’acheminement de l’aide. Cela dépend d’itinéraires sécurisés où les convois ne risquent pas d’être bombardés, mais aussi de la possibilité logistique de distribuer l’aide alors que la plupart des infrastructures ont été détruites — et ce, dans un contexte où les pauses humanitaires sont limitées à 10 heures par jour et à certaines parties de l’enclave, et où les pillages sont légion, notamment de la part de bandes armées qu’Israël a reconnu soutenir.

Kerem Shalom
Dans un article du Guardian publié le 30 juillet, des ONG pointent de nombreux obstacles bureaucratiques. Ainsi, certaines d’entre elles ne parviennent pas à se faire enregistrer, ce qui bloque indéfiniment leurs envois d’aide. Autre exemple : un nouveau processus oblige les ONG à fournir les données personnelles de leurs employés palestiniens au nouveau ministère des Affaires de la diaspora et de la lutte contre l’antisémitisme — ce que la plupart des ONG refusent, de nombreux humanitaires ayant été tués par l’armée israélienne après s’être dûment enregistrés auprès d’elle.
Les organisations humanitaires dénoncent une politique délibérée de complexification administrative. Par exemple, elles ne reçoivent pas d’instructions claires sur les denrées autorisées par Israël. On sait par exemple que le lait infantile est confisqué par l’armée. Les ONG se sont aussi rendues compte que les dattes et les olives sont systématiquement jetées par les douanes israéliennes, sans explication. Elles ont fini par comprendre : les fruits à noyaux sont interdits — on n’est jamais assez prudent, si les Palestiniens les replantaient, ils pourraient un jour se nourrir par eux-mêmes…
« Les violations flagrantes sur le terrain ont un fort impact sur l’opinion publique, mais les violations bureaucratiques d’accès, elles, passent inaperçues car elles sont ennuyeuses et compliquées », déclare un travailleur humanitaire au Guardian. « Pourtant c’est ça qui empêche l’aide d’entrer ».
Résultat : moins de 100 camions entrent chaque jour dans Gaza, tandis que le contenu de milliers de convois périt lentement au soleil. Pour rappel, avant la « guerre », il fallait environ 600 camions d’aide, chaque jour, pour subvenir aux besoins de la population de Gaza, or les besoins se sont évidemment multipliés depuis lors.
Et pendant ce temps, plutôt qu’écouter les organisations humanitaires et imposer à Israël la relance sans entraves de l’acheminement terrestre de l’aide, nos gouvernements se contentent de largages aériens aussi dangereux que symboliques… et dont même la source militaire israélienne citée par KAN disait, il y a une semaine : « Une telle tentative a déjà eu lieu et elle a été un échec total ».
Gwen Breës, le 31 juillet 2025
(sur sa page FB et dans l’Asympto avec l’aimable autorisation de l’auteur)
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(Sources : KAN, Guardian, PAM, UNWRA, OCHA – liens en commentaires)
(Photos d’archives : le point de passage de Kerem Shalom)
https://www.kan.org.il/content/kan-news/defense/935178/?
https://www.theguardian.com/world/2025/jul/30/israel-gaza-humanitarian-aid-starvation-crisis?
Elisabeth FRANKEN
Posted at 15:01h, 02 aoûtToutes celles et tous ceux qui ont connu de près des personnes victimes de dénutrition (parfois lors de grèves de la faim) savent pertinemment que le retour à l’alimentation est très délicat et très lent. Il faut une personne à côté de chaque “dénutri-e” et qui, patiemment, le/la réhabitue à avaler du liquide, d’abord, puis du solide. Il faut donc prévoir de nombreuses/nombreux “bénévoles” à l’appui des “professionnel-le-s” . Les largages par avion, outre qu’ils sont dangereux et TRES insuffisants, ne sont que de la poudre aux yeux. On ne reviendra pas en arrière: il aurait fallu continuer l’acheminement régulier des camions. Par contre, il reste possible de rouvrir tous les accès avant qu’une part trop importante de la nourriture n’ait pourri, desséché, été frappée de péremption. Il y aura des pertes, inexorablement, mais toujours des centaines de fois inférieures au désastre actuel. D’urgence. Avant la reconnaissance officielle de la Palestine dont tous les agendas annoncent qu’elle n’aurait lieu, dans le “meilleur (???) des cas” qu’en septembre… Combien de milliers de morts de soif, de faim et de maladie d’ici là?
Philippe Malarme
Posted at 09:39h, 02 aoûtSi monsieur Bouchez me lit, merci à lui de cesser d’envoyer des avions qui ne servent à rien. Qu’il reconnaisse plutôt officiellement la Palestine dans ses frontières de 1967, préalable indispensable, même si insuffisant, à une paix méritée par toutes les parties.