VIVE LA “VIOLENCE OUVRIÈRE” par José Fontaine (Revue Wallonne “Toudi”)

La Cour d’Appel de Liège a décidé de confirmer le jugement du tribunal correctionnel dans l’affaire dite « du pont de Cheratte ».
17 syndicalistes de la FGTB sont condamnés à des peines de prison avec sursis (allant de 15 jours à un mois) et des amendes de plusieurs centaines d’euros. Pourquoi ? Simplement pour avoir été présents sur un barrage routier, un jour de grève, le 19 octobre 2015. Il y a 6 ans jour pour jour.
C’est “l’entrave méchante” à la circulation qui est invoquée (art. 406 du code pénal), tout comme pour le procès qui a condamné le Président de la FGTB d’Anvers, Bruno Verlaeckt, en 2019. Dans les deux cas, les leaders syndicaux écopent de peines plus lourdes, histoire de dissuader quiconque d’organiser la résistance sociale.
Au lendemain de cette manifestation, qu’une certaine presse avait présenté de façon particulièrement péjorative, José Fontaine avait publié cette “mise au poing” dans la revue wallonne Toudi.

Vive la “violence ouvrière” !
(par José Fontaine, dans la revue politique, sociale et culturelle wallonne “Toudi”, le 22 octobre 2015)

 
On observe une escalade médiatique dans les accusations portées contre la « violence » ouvrière ces derniers temps avec cet hôpital de Liège qui accuse, fait répercuté dans tous les médias, le blocage syndical autoroutier de lundi matin d’avoir retardé la venue d’un chirurgien, retard qui aurait entraîné la mort d’une patiente admise quelques heures avant.
La relation de cause à effet entre les deux faits n’a rien d’évident. Certains supposent même que de cette façon l’hôpital trouverait une excuse à ses propres manquements. Interprétation sans doute téméraire, mais qui peut sembler aussi la réponse à une accusation du même tonneau.
Rien n’est évident dans cette affaire.
Rien n’est évident sauf les images et les mots parfaitement exagérés que les médias se hâtent de diffuser comme le mot « Apocalypse » pour désigner les actions de grève de lundi, terme d’autant plus aisément utilisé que les images de hautes flammes sur les autoroutes (hautes à la télé), le suggéraient à des journalistes en mal de copie, désireux de rivaliser avec les médias audiovisuels contemporains et leur soif d’images sans analyse. Le terme « Apocalypse » étant d’ailleurs proprement utilisé ici : la « révélation », en effet, de leur vide effrayant.

De quoi est-il question ? De la « violence » ouvrière.

C’est la violence ouvrière qui a permis la Révolution de 1830, immédiatement confisquée très longtemps par la bourgeoisie au cœur de l’Etat monarchique belge, qu’elle domina sans partage.
Cette Révolution violente avait dû affronter les fusils et les canons de l’armée hollandaise.
Ceux qui en volèrent le fruit élevèrent un monument à ceux à qui elle avait été confisquée, des « martyrs », d’autant plus « respectés » qu’ils n’étaient plus là.
Puis s’empressèrent de faire du premier roi des Belges la plus grosse fortune du pays.

C’est la violence ouvrière qui a permis que cesse cette confiscation à partir du moment où le sillon industriel wallon, capable de mener des grèves générales, la première au printemps 1886, la seconde au printemps 1893, prit conscience de sa force de résistance.
Cette violence de 1886 sera réprimée dans le sang de ce que Pirenne appelle « une véritable campagne militaire » et, en 1893, à la limite de Mons et Jemappes, par les fusils de la bien nommée « garde bourgeoise » de la ville de Di Rupo tirant sur des mineurs désarmés.

C’est la violence ouvrière de 1893 qui permit que soit instauré pour la première fois le suffrage universel (masculin) tempéré par le vote plural et qui en définitive permit que soit instauré après la Grande guerre, le suffrage universel pur et simple, les dirigeants belges de l’époque ayant pris peur d’une extension possible à la Belgique et à la Wallonie de la « violence ouvrière » des travailleurs et des soldats allemands.
C’est la violence ouvrière des années 1930 qui aboutit à l’octroi de congés payés au monde du travail à la suite de grèves et, avant celles de 1936, celles de 1932, si atrocement réprimées qu’elles n’ont cessé depuis lors de faire le tour du monde grâce à ce film culte du cinéma politique universel qu’est Misère au Borinage.

C’est la violence ouvrière exercée dans la Résistance au nazisme qui a débouché dès le 31 décembre 1944 sur l’arrêté instituant la Sécurité sociale.

C’est la violence ouvrière qui a permis que durant l’été 1950, Léopold III, ce « chef nécessaire » (La Gazette de Liège), et ses idées d’autocrate cessent de régner, tout cela grâce à l’insurrection de la Wallonie de la Résistance.

Cette violence ouvrière de l’été 1950 et celle de l’hiver 1960-1961 ont révélé comme jamais la minorisation politique de la Wallonie, consciente après Grâce-Berleur et ses Résistants que n’avait pas tués la Gestapo, mais qu’avait abattus la gendarmerie belge, qu’il lui fallait pour s’extraire de sa dépendance, autre chose que des vetos du même type que celui de juillet 1950, nécessairement sanglants.

C’est la « violence ouvrière » des femmes de Herstal qui en Wallonie et dans toute l’Europe a exemplairement fait avancer la cause des femmes et du principe « à salaire égal, travail égal ».

Cette violence ouvrière, comme on l’a vu, s’explique par la violence infiniment mieux armée et infiniment plus meurtrière de l’Ordre établi.

L’Ordre établi n’use plus de la même violence aujourd’hui, désarmé qu’il est face à une culture démocratique et citoyenne qui, jusqu’ici, était à même de justifier la rudesse des actions syndicales toujours infiniment moins violentes, infiniment plus respectueuses des personnes et des biens que la violence d’en face.
Il n’y a qu’à songer ici à cette “violence d’en face” des très nombreux « accidents » du travail, des suicides, des « burn out », avec la violence instituée qu’est l’exclusion, en Wallonie, de plus d’un cinquième de la population depuis des décennies, par le chômage ou la pauvreté.
Ou cette autre violence du monde financier dont on s’amuse à entendre les alliés inconscients —jusqu’au sein du gouvernement wallon—insister comiquement sur le respect des propriétés publiques.
L’Ordre établi va chercher maintenant ses fusils et ses canons au sein de certains médias, avec leurs jaunes et leurs policiers, d’autant plus assoiffés de spectaculaire que le spectacle est le dernier « service » qu’ils sont encore en mesure de rendre à la population.

Il est navrant de découvrir d’innombrables braves gens —parmi lesquels des intellectuels bien mal inspirés mais aussi de mauvaise foi— qui pensent que c’est de la « violence ouvrière » que viendrait tout le mal.
Alors que tous les droits, toutes les libertés, en Wallonie et en Europe, ont été arrachés par la « violence ouvrière » et longtemps empêchés par la violence brutale de l’Ordre.
Toutes nos valeurs, toutes nos libertés, toutes nos sécurités, tout le pauvre bien-être dont nous pouvons jouir, tout cela, c’est le fruit de la « violence ouvrière ».

José Fontaine (Revue Wallonne “Toudi”, 22 octobre 2015)

Pas de commentaires

Poster un commentaire