50 ans de “Médecine Pour le Peuple” : WORKING CLASS HEROES

Sofie Merckx en 2021 (Photo de couverture : Solidaire/2011) 

« Médecine Pour le Peuple » fête cette année son 50ème anniversaire.
Au départ de la Maison Médicale d’Hoboken, dans la banlieue d’Anvers, ce réseau de santé, créé par le PTB, regroupe aujourd’hui onze maisons médicales dans les trois régions du pays.
L’occasion pour nous de rencontrer Sofie Merckx, députée PTB du Hainaut et conseillère communale à Charleroi.

 

Une double filiation, politique et professionnelle, puisque Sofie, qui est médecin, est aussi la fille du docteur Kris Merckx, cofondateur du PTB et de Médecine pour le Peuple. J’ai rencontré son père en 1979, alors que j’écrivais une chanson pour dénoncer la pollution par le plomb de la Métallurgie Hoboken – une filiale de l’Union Minière spécialisée dans les métaux non-ferreux.
Dans les écoles environnantes, des dizaines d’enfants souffraient de saturnisme (empoisonnement par le plomb), et la Maison Médicale avait dénoncé ce scandale sanitaire. J’en fis une chanson (« La Ballade d’Hoboken »). Elle passa « une fois » à la radio… et fut traînée devant les tribunaux par la Métallurgie Hoboken, qui me réclamait 100.000 FB de dommages et intérêts … et la destruction de tous les disques (qui n’existaient pas, mais que nous nous sommes bien sûr empressés d’enregistrer). Nous fûmes acquittés, mais c’est une autre histoire. Quoique… Revenons à Sofie.
Contrairement à son collègue Raoul Hedebouw, qui porte son accent de « standardman » herstalien à la boutonnière, Sofie, qui habite Marcinelle, garde dans la voix les traces de son enfance anversoise.
« En dat is Belgïe ! Et ça, c’est la Belgique ! ».
Précisons aussi que cette interview a été réalisée le 9 mars, juste avant que les derniers sondages ne prédisent une nouvelle grimpette du PTB aux prochaines élections.

Interview du Dr Sofie Merckx, députée PTB.

Claude : Que représente « Médecine pour le peuple » aujourd’hui ?
Sofie : Onze Maisons Médicales multidisciplinaires, en Flandre, à Bruxelles et en Wallonie, 25.000 patients, et plus de 200 collaborateurs mensualisés. Un projet très « post-68 », mais qui s’est structuré et développé dans le temps en gardant les mêmes valeurs. C’est une jeune infirmière qui est aujourd’hui à la tête de la structure.
Claude : Quelles étaient ces valeurs ?
Sofie : D’une part, offrir à tous et toutes des soins de qualité et « gratuits ». Enfin, « gratuits »… disons payés par la Sécurité Sociale ! Et d’autre part, lutter contre les causes sociales des maladies, lutter pour une société plus juste. « Médecine Pour le Peuple » a été initiée par le PTB.
Claude : Il faut être membre ou sympathisant du PTB pour être admis dans ces maisons médicales ?
Sofie : Pas du tout, elles sont ouvertes à tous ceux et toutes celles qui habitent un quartier ou une certaine zone géographique. Ce n’est pas non plus, comme on le croit parfois, réservé aux « pauvres ». On m’a une fois demandé « Est-ce qu’Albert Frère pourrait se faire soigner chez vous ? ». Bon, maintenant il est mort, mais la réponse est oui, s’il paye ses impôts et s’il contribue à la Sécurité Sociale, chacun doit pouvoir recevoir les soins dont il a besoin.
Claude : Quelle grandeur d’âme ! Accepter de soigner un patron mort ! (rires)
Sofie : Maintenant, on ne cache pas non plus notre appartenance. Les gens connaissent le lien que nous avons avec le PTB. Et pour nous, les patients ne sont pas des moutons qui viennent simplement consommer des soins. Nous les invitons aussi, s’ils le souhaitent, à s’impliquer activement dans la vie sociale.

 

Claude : Je sais que les débuts de la Maison Médicale d’Hoboken ont été assez mouvementés ?
Sofie : Oui, les fondateurs, dont mon père, ont été condamnés par l’Ordre des médecins pour « concurrence déloyale » (puisqu’ils ne faisaient pas payer de tickets modérateurs), mais aussi parce qu’ils s’impliquaient dans les grèves, dans le Comité de Quartier, dans un projet révolutionnaire. C’était considéré comme « indigne » pour un médecin – même s’il y a toujours eu des médecins communistes aux côtés de la classe ouvrière.
L’Ordre des Médecins a même réclamé une expertise psychiatrique contre mon père, parce qu’il était « obsédé par les ouvriers » (rires). Bon, finalement, ils n’ont jamais trouvé un psychiatre pour le faire, et c’est tombé à l’eau. Mais c’était évidemment clairement une attaque politique.

Claude : Dans vos Maisons Médicales, les travailleurs ne sont pas payés « à l’acte », mais mensualisés. Qu’est-ce que cela change pour vous ?
Sofie : L’idée est de fournir gratuitement des soins complets (médecine générale, kiné, psychologue…) à une certaine population de patients. C’est un modèle qui est devenu un exemple. Il y a aujourd’hui plein d’autres Maisons médicales qui travaillent de la même façon. Nous organisons des stages pour les universités, on forme des médecins généralistes,… Que de chemin parcouru !
Quand les premiers collègues de mon père faisaient des stages à Médecine pour le Peuple, et on refusait de valider leur diplôme ! Mais nous sommes restés fidèles à nos principes de base. Même avec l’Ordre des Médecins, on a fini par signer une sorte « d’accord de paix » il y a deux ans. Ils ont reconnu notre utilité, et nous aussi, on a mis un peu d’eau dans notre vin.

Claude : Pourquoi lier la médecine à une question de classe sociale ?
Sofie : Pour prendre des exemples concrets, on voit de l’asthme chez des enfants mal logés, ou des maladies pulmonaires dans des quartiers pollués. Une maladie comme le diabète touche principalement les plus pauvres, parce qu’il s ont moins accès à une alimentation saine, ou à des activités physiques.
Il y a aussi une dimension mentale. Quand vous n’avez pas de contrôle sur votre situation et votre travail, cela vous stresse, et cela finit par altérer votre santé. C’est typiquement le problème du burn-out.
Et puis il y a tous les problèmes liés au travail lui-même. Si on accélère les rythmes de travail, comme ces dernières années, si vous supprimez toutes les micro-pauses, vous développez des tendinites, des céphalées, des maux de dos. Un ouvrier qui a mal au dos, vous pouvez toujours lui donner des conseils d’ergonomie, mais si vous ne changez pas ses conditions de travail, c’est un emplâtre sur une jambe de bois.

Janneke Ronse, infirmière, la nouvelle présidente de Médecine Pour le Peuple, et le Dr Sofie Merckx

Claude : Comment vos maisons Médicales ont-elles géré la crise sanitaire du corona ?
Sofie : Comme pour tout le monde, cela a d’abord été difficile.
Mais nous avons pu au moins nous concerter, et réagir ensemble.
Par exemple, au début, quand le matériel élémentaire de protection manquait dans tout le pays, nous avons pu faire des commandes groupées.
Chez nous, à Marcinelle, il y a deux mille patients inscrits. Pendant le premier confinement, comme on ne pouvait pas les voir, on a téléphoné aux personnes seules, surtout les personnes âgées, pour voir si elles ne manquaient de rien.
On a aussi été faire du « testing » dans les homes de la région, parce qu’on s’est rendu compte que rien n’était organisé de ce côté-là.
On a même créé notre propre système de « tracing », pour contacter l’entourage des personnes malades, et leur proposer des tests de dépistage gratuits. Il y a une étude qui vient de sortir dans une revue médicale en Flandre sur l’ensemble de ces pratiques.
On a essayé ainsi de retrouver les « clusters », les foyers de contamination, qui étaient souvent les lieux de travail, mais ils n’ont presque jamais été fermés. Il faut savoir que moins de 4% des entreprises en infraction avec les « mesures corona » ont été sanctionnées. Compare cela à trois personnes qui sont sur un banc, et qui se tapent trois amendes de 250 euros…

Claude : A ton avis, pourquoi les Maisons médicales, comme d’ailleurs l’ensemble des médecins généralistes, ont-ils été totalement tenus à l’écart de l’actuelle compagne de vaccination ?
Sofie : Bonne question. Notre système de santé est basé sur le curatif, pas sur le préventif. Même pour la grippe, il n’y a pas un système centralisé pour déterminer les personnes à risque. S’il avait existé, comme c’est le cas par exemple au Chili, on changeait deux ou trois trucs, et on aurait pu l’utiliser pour le corona. Là-bas, ils ont déjà vacciné tous les plus de 65 ans !
En plus, ce gouvernement n’a pas la réputation d’écouter beaucoup « le terrain ».
Le 1er juillet, le Conseil Supérieur de la Santé avait déjà émis un avis sur « les groupes à risque ». Mais la « task force » vaccination n’a été créée qu’en novembre. Les médecins généralistes n’y ont pas été invités… parce qu’il y avait, paraît-il, trop de monde autour de la table ! Peut-être pour faire de la place aux membres des cabinets des neuf ministres de la santé ?
En janvier, j’ai demandé, « si vous éliminez les médecins généralistes, qui sont en contact avec les patients, comment allez-vous déterminer les personnes à risque, les comorbidités, etc… ? ». Là, ils en étaient toujours au stade de la discussion, c’est incroyable ! Et les médecins généralistes, dont ce devrait être le rôle, sont ainsi dans l’incapacité de donner la moindre information à leurs patients sur les priorités et les délais de vaccination. J’en reste moi-même bouche bée.

Claude : L’autre gros problème, c’est que toute la chaîne de production des vaccins est entre les mains des labos privés. Or cela fait plusieurs fois qu’ils ne livrent que la moitié des vaccins commandés. D’un côté, tu as des firmes privées qui font passer l’intérêt de leurs actionnaires avant ceux des malades. De l’autre, tu as les politiques néo-libérales qui, depuis des années, ont sabré dans les budgets des hôpitaux et de la santé. On s’est tiré deux fois une balle dans le pied.
Sofie : Avant même le début de la crise sanitaire, on aurait dû engager d’urgence près de 2000 infirmières pour remplir le « cadre ». Car les restrictions budgétaires ont diminué le nombre de lits, mais aussi le personnel soignant.
Or une étude médicale a démontré que la mortalité augmente avec le nombre de patients qu’une infirmière graduée doit prendre en charge. Si tu dois t’occuper de trop de monde, la qualité des soins diminue, et tu rates certains signaux d’alerte.
C’est pourquoi, même au cœur de la crise sanitaire, le personnel s’est mobilisé pour améliorer ses conditions de travail et de salaire, comme la fameuse fois où ils ont accueillis Sophie Wilmès à l’Hôpital St Pierre en lui tournant le dos.
Sans compter qu’une partie du personnel soignant, comme beaucoup de travailleurs de « première ligne », était lui-même victime du COVID et en arrêt maladie. Là, cela fait un an que cela dure, les gens sont au bout du rouleau.

(photo 2011 / Solidaire)
Claude : Et sur la fabrication des vaccins eux-mêmes ?
Sofie : Quand on a demandé en 1955 à Jonas Salk, « l’inventeur » du vaccin contre la polio, à qui appartenait sa découverte, il a répondu : « Au peuple, je crois. On ne brevète pas le soleil ». Et grâce à ce vaccin, librement reproduit, on a pratiquement pu éradiquer cette maladie dans le monde entier.
Quand une invention bénéficie comme cela à toute l’humanité, il faut donc savoir qu’elle n’a pas toujours été entre les mains du secteur privé.
Les premiers accords commerciaux sur la propriété intellectuelle des brevets, les accords « TRIPS » de l’Organisation Mondiale du Commerce, sont assez récents. Ils ont été conclus en 1994.
Avec les vaccins pour le COVID-19, ce qui est dingue, c’est que la recherche fondamentale a été réalisée dans les Universités avec de l’argent public.
Puis les labos ont reçus des subsides pour les aider à développer des vaccins.
Puis encore de l’argent public pour les préachats.
Et s’il y a des problèmes demain, les contrats précisent que ce sont toujours les Etats qui vont ensuite devoir casquer !
Donc, tous les investissements et tous les risques ont été supportés par l’argent public, et tous les bénéfices seront empochés par les actionnaires des labos privés ! C’est juste indécent.
Il y a pourtant une jurisprudence « SIDA », suite à un procès que l’Afrique du Sud a gagné, lorsque les labos vendaient leurs traitements à 1000 euros.
Il a été précisé que pour la santé publique, on pouvait demander une dérogation à la règle générale du commerce, et rendre les licences obligatoires. C’est pourquoi, au mois d’avril déjà, le PTB avait déposé une proposition de loi en ce sens.
Mais c’est l’été passé, au moment des négociations commerciales sur les vaccins, que ce principe aurait dû être imposé à l’industrie pharmaceutique.
Claude : Le confinement a aussi de lourdes conséquences sur l’usage de nos libertés et de notre santé mentale, particulièrement pour les plus jeunes et les plus vieux. Et celles et ceux  qui sont privé·es d’études sont aussi privé·es de revenus, car ils ont perdu les petits jobs dans l’HORECA qui leur permettaient de subsister.
Sofie : C’est le règne du « deux poids, deux mesures ».
Le gouvernement a uniquement fait des choix guidés par le poids du lobbying, en culpabilisant à chaque étape la population.
On laisse rouler les bus bondés, mais on impose « une bulle de un » à la maison. On ouvre toutes les grandes surfaces, mais on ferme tout le secteur culturel et l’HORECA.
On a infligé plus de 200.000 amendes corona à la population, mais les grandes entreprises, lorsqu’elles étaient dans l’illégalité, n’ont pratiquement jamais été mises à l’amende.
D’autres mesures, comme le couvre-feu, sont totalement disproportionnées.
Il y a un vrai danger de dérive autoritaire. Je crois au contraire qu’en temps de crise, il faut plus de démocratie, pour renforcer notre capacité à agir ensemble.
La Loi Pandémie, actuellement en discussion au Parlement, vise à institutionnaliser ces mesures autoritaires. Ce serait une carte blanche donnée au gouvernement, avec un bref passage devant le Parlement tous les trois mois.
Mais bon, il ne faut pas se faire d’illusion non plus. Bien avant cela, beaucoup de choses se décidaient déjà seulement au gouvernement, ou dans certains milieux d’affaires, et très peu au Parlement.

Propos recueillis par Claude Semal le 9 mars 2021.

 

La pochette du 45 T des “Ateliers du Zoning”, pour qui j’avais écrit “la Ballade d’Hoboken”. Ici avec le groupe dans une manif en 1979.

La Ballade D’Hoboken (C. Semal 1979)

Dans la banlieue d’Anvers près du chantier naval
Un enfant m’a montré à côté du canal
Des cages sans oiseaux et des fleurs sans pétales
Voici l’histoire vraie de ce fait peu banal

Sous un ciel gris de plomb les enfants couraient
Oh ! l’air était si lourd le vent soufflait si frais
C’est un étrange orage qui se préparait
Dans le ciel au-dessus de Métallurgie-Hoboken

La Métallurgie produit des métaux sans fer
2.000 travailleurs y gagnent leur salaire
Mais sur ses capitaux règne majoritaire
L’or de la Générale et de l’Union Minière

A plus d’un kilomètre tombe sur les jardins
La poussière du zinc, du cuivre, de l’étain
A plus d’un kilomètre tombe sur les maisons
La poussière du plomb de Métallurgie-Hoboken

Avril 73 on découvre dans un champ
Huit vaches et deux chevaux morts d’empoisonnement
On trouve assez de plomb incrusté dans leurs dents
Pour remplir les crayons de tout un parlement

Sous un soleil de plomb les enfants couraient
Le soleil était si chaud le sol était si près
Est-ce bien la chaleur qui les fait transpirer
La nuit dans le quartier de Métallurgie-Hoboken

Après ces incidents un comité d’habitants
D’Hoboken: ouvriers, employés, paysans
Découvrent en colère que depuis 20 ans
L’usine crache dans les airs 200 tonnes de plomb par an

Croyez -vous après ça qu’on va filtrer les tuyaux
Monter la cheminée, c’est déjà bien trop beau
25 mètres de briques pour polluer d’un peu plus haut
Voilà le seul cadeau de Métallurgie-Hoboken

Voilà le seul cadeau d’un patron capital
Le premier patron belge du secteur métal
Quand on a tant de fric, après tout c’est normal
Qu’on puisse assassiner pour motif commercial

Du plomb dans le sang plus de cent enfants
Couchés à l’hôpital sont touchés par le mal
Mais les juges d’Antwerpen trouvant ça normal
Acquittent au tribunal la Métallurgie-Hoboken

D’un sommeil de plomb, dormez les enfants
Vous semblez si petits, lorsque vous serez grands
Nous serons des milliers pour faire sauter les plombs
Des barreaux des Barons de Métallurgie-Hoboken
Nous serons des millions pour faire sauter les plombs
Des barreaux des barons de Métallurgie Hoboken

Claude Semal (1979)

Cette petite vidéo a été filmée avec un doigt à l’ex librairie Aden, en 2011, pour la sortie du livre de Kris Merckx, « Médecin du Peuple ». Prenez donc ça plutôt comme un témoignage archéologique et militant ;-).

2 Commentaires
  • anne collard
    Publié à 11:28h, 21 mars

    Et s’il y a des problèmes demain, les contrats précisent que ce sont toujours les Etats qui vont ensuite devoir casquer !
    Donc, tous les investissements et tous les risques ont été supportés par l’argent public, et tous les bénéfices seront empochés par les actionnaires des labos privés ! C’est juste indécent.
    A propos des “problèmes ”
    Est ce possible d’avoir plus d’informations sur cette partie de l’interview ?
    Merci

  • Gilbert Laffaille
    Publié à 11:17h, 20 mars

    Exemplaire! Financement public, bénéfices privés… Tout est dit.

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