Carnets de route COMMENT J’AI PERDU (ET RETROUVÉ) MON iPHONE

Je m’étais levé à l’aube, comme tous les samedis, pour mettre en ligne la formule d’été de l’Asymptomatique, avant l’envoi à onze heures de la lettre hebdomadaire à tous·tes les abonné·es.
Moi qui me trimballe depuis vingt ans avec un vieux NOKIA à quinze balles, fendillé de partout et résolument non connectable, je m’étais payé pour l’occasion un iPhone 7 déclassé pour relayer, au fin fond de mon village périgourdin, le précieux signal Wi-Fi qui me permettrait de travailler pour vous à Saint-Sulpice d’Excideuil comme à Bruxelles.
C’est alors que je m’aperçus que j’avais oublié la veille mon nouveau “G” à la Guinguette du lac de Nantheuil, où nous avions tardivement fêté la veille, avec quelques amis et diverses libations, notre retour estival dans cette verte région d’adoption.
Qu’importe“, me dis-je, “nous étions tous un peu fatigués ; il a dû tomber dans l’herbe autour de la table en bois. Je vais aller voir”.
C’est alors que je m’aperçus que le pneu avant droit de mon Opel Combo était crevé, fruit d’une rencontre nocturne, courte mais passionnée, avec une bordure voyageuse ou un sanglier en pâté.
Qu’importe“, me dis-je, “je vais changer ce foutu bordel de merdre de pneu“.
C’est alors que je m’aperçus que le garage saint-gillois, où j’ai acheté il y a dix-huit mois ma camionnette Combo d’occasion, me l’avait vendue sans roue de secours.
Qu’importe“, me dis-je, “je vais appeler une dépanneuse“.
C’est alors que je m’aperçus que le numéro d’appel de l’assurance était dans mon téléphone au Lac, et que cette journée commençait à sentir un peu la merde.
Qu’importe“, me dis-je alors, avec mon légendaire à propos, “allons chier un coup, cela m’éclaircira les idées“.
C’est alors que je m’aperçus qu’avec le foutu tour de rein que je m’étais fait en allant traquer les ceps en bouchon dans la mousse, j’avais désormais les bras trop courts de quinze centimètres pour pouvoir m’essuyer le derrière.
Et c’est à cet instant précis que je me suis rappelé que la veille, l’Italie avait battu la Belgique 2-1.

Bon, pas de panique. Si vous lisez ces lignes, c’est que tout est rentré dans l’ordre, grâce à cette généreuse solidarité villageoise bâtie à coup d’arbres tombés sur la route, de murs branlants remontés en commun et de tournées gaspillées le dimanche matin au bar-tabac d’Yvette. Merci les ami·es.
Mon téléphone était bien dans l’herbe, le casse-garage du coin a réparé mon pneu à un prix d’avant-guerre (20 euros, sans facture), le football, ce n’est jamais qu’un jeu où l’on pense avec ses pieds, et mes bras ont presque retrouvé leur taille normale.
Pour des raisons qui m’appartiennent, je serai sur les routes tout cet été.
Les gamins, qui deviennent franchement des ados, sont bien sûr en vacances.
Nous, c’est un peu plus compliqué. On garde toujours un pied dans le travail, sinon les deux. Disons qu’il y a des pays pour passer l’été, et d’autres pour passer l’hiver.
Toutes les hirondelles le savent, et Marcel Pagnol a écrit de très belles pages là-dessus.
Cela dit en passant, si vous êtes dans le coin et si vous aimez la chanson, je chanterai le 16 juillet au Festival de Montcuq (cela ne s’invente pas) en co-plateau avec Jofroi (que vous retrouverez aussi la semaine prochaine en interview dans l’Asympto).
Mon seul regret, en quittant Bruxelles dans la précipitation des départs, est de ne pas avoir trouvé le temps, ni d’aller saluer mon vieux père, ni d’aller saluer les grévistes de la faim de l’Eglise du Béguinage, qui réclament toujours en urgence des papiers.
Été, hiver, ceux-là espèrent “simplement” trouver un pays où pouvoir vivre.
Ce contraste entre l’extrême précarité des uns, et la quête de plaisir des autres, a certes quelque chose d’obscène.
Mais si vous la découvrez aujourd’hui, c’est que vous manquez furieusement d’imagination. Car il se passe chaque jour dans le monde assez d’horreurs pour nourrir quotidiennement les pires de vos cauchemars.
Si ce constat devait donc, au plus intime de nos humeurs, étouffer en nous toute joie de vivre, cela augmenterait sans doute la consommation d’alcool et d’anxiolytiques, sans faire pour autant reculer d’un centimètre cette invisible misère. La quête du bonheur est le premier des droits humains.

Parmi nos autres futiles et incontournables urgences, il y avait le renouvellement de la carte d’identité du gamin, obsolète avec son ex tête d’écolier, et le passage d’un test COVID moins de septante-deux heures avant le départ, désormais imposé à tous les enfants de plus de douze ans pour pouvoir voyager en Europe.
Pour la carte d’identité, l’administration communale de Saint-Gilles nous a proposé une procédure d’urgence à 112 euros. Pas le choix, on prend.
Surprise : les nouvelles cartes d’identité contiennent désormais vos empreintes digitales. On les prélève sur un lecteur ad hoc, quatre doigts d’un côté, quatre doigts de l’autre. Absurdité bureaucratique : pour la récupérer le lendemain matin, il faut recommencer toute la procédure, histoire de vérifier si c’est bien “vous” qui en prenez possession.
Un des doigts de mon fils dépasse un peu du cadre.
La guichetière : “Il faut que les quatre témoins lumineux soient verts“.
C’est vrai, ça, si jamais vous vous étiez fait greffer entretemps un médium de maffieux russe entre trois droits “normaux”.
La guichetière : “Maintenant, la main gauche“.
Ah! ben oui. Parce qu’il aurait aussi pu se faire greffer le bras gauche d’un terroriste islamique. On n’est jamais trop prudent.
Comme je me sens en sécurité dans ce monde-là !
Pour les tests, nous avions choisi l’option “antigénique”, dont les résultats sont presque immédiats, mais qui doivent, pour être validés aux frontières, être réalisés dans un environnement médicalisé (pas question donc de vous contenter d’un autotest en pharmacie).
En face du hall des départs de l’aéroport de Zaventem, pour les voyageurs distraits ou pressés, une grande tente a donc été dressée pour faire à la chaîne des tests nasopharyngés. Personnel jeune, métissé, voilé, bilingue et décontracté, comme on en croise généralement plutôt dans les magasins de chaussures du centre ville.
Nous avions réservés un créneau horaire précis, ce qui ne nous a pas empêché de faire deux heures de file en plein air. Quand il pleut, on doit pouvoir se moucher dans les écouvillons.
Bon. Négatif, négatif. On the road again. Deux fois 49 euros pour les tests, plus 112 euros pour la carte d’identité, ça commençait très fort. Business COVID as usual. Vous l’entendez, le doux bruit du tiroir-caisse au milieu du chant des reinettes ?

Claude Semal, le 4 juillet 2021

NB: Sur la photo, notre petit coin de paradis, le lac de Nantheuil, le 2 juillet à 15 heures.

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