CE QU’ON AURAIT PU LIRE EN COUVERTURE DE “LA LIBRE” par Adriana Costa Santos (sur Facebook)

Ce qu’on aurait pu lire en couverture de La Libre dans la citation de Sammy Mahdi samedi dernier :

En Belgique, il est trop facile d’être exploité.e par son employeur et ne pas avoir de quoi s’acheter un pain au bout d’une journée de travail
En Belgique, il est trop facile d’être violé.e et obligé.e de s’abstenir de porter plainte par peur de se retrouver au cachot ou de mourir étouffé.e dans un avion
En Belgique, il est trop facile de ne pas aller aux urgences ou en pharmacie pendant le couvre-feu parce qu’on risque de se faire arrêter
“En Belgique, il est trop facile de payer une fortune pour un toit insalubre
“En Belgique, il est trop facile de perdre son boulot et se retrouver sans la moindre bouée de secours de l’état social”
“En Belgique, il est trop facile d’être victime de violences intraconjugales et ne pas être protégé.e
“En Belgique, il est trop facile d’être privé.e de revoir sa famille pendant des décennies pour une vie de misère”
“En Belgique, il est trop facile de se faire arrêter lors d’un contrôle dans un bus en accompagnant ses enfants à l’école”
“En Belgique, il est trop facile de pallier à une maladie grave avec des antidouleurs parce que l’AMU ne donne pas accès à toutes catégories de médicaments”
“En Belgique, il est trop facile de se battre auprès d’administrations publiques pour rêver d’obtenir des droits et ne pas savoir sous quels critères ces administrations les refusent”
“En Belgique, il est trop facile d’être le bâton humain avec lequel l’extrême-droite piétine les forces démocratiques à chaque jour de silence qui passe”
“En Belgique, il est trop facile d’entendre dire de ses concitoyen.ne.s que si l’un.e n’est pas bien, iel n’a qu’à s’en aller”

Devoir choisir entre l’exploitation et la faim, la violence et la prison, le sans-abrisme et l’insalubrité, le viol et la peur, l’inhumanité du voisin et celle du gouvernement, est trop facile en Belgique.
Et cela devrait être une honte pour tout.e homme et femme qu’un jour a décidé de s’engager auprès d’un pays pour le gouverner.
Comment arrive-t-on à mettre en cover d’un grand journal qu’il est “trop facile de vivre dans l’irrégularité” et que l’on se dise que c’est admissible de ne pas le nuancer jusqu’à ce que le/la plus distrait.e d’entre-nous se rende compte qu’on parle d’humains qui subissent l’infinie difficulté que d’être inexistant.e aux yeux de l’État ?

Qu’on parle de personnes avec qui nous partageons la vie et la ville et qui sont tout aussi engagées que nous à la construire dans toutes ses formes ? Qui n’ont le moindre mot à dire, parce qu’iels n’existent pas et que l’État n’en tient pas compte dans ses calculs, même s’il en bénéficie largement de la misère et de l’exploitation de certain.e.s?
Quand est-ce qu’une information nuancée et factuelle a perdu la priorité face à une inhumanité du discours qui se généralise ?
Quand est-ce que se foutre de la misère d’autrui ou attaquer la société civile qui en est solidaire est devenu un discours digne d’être prononcé par des forces démocratiques ?
Quand est-ce qu’on a décidé que “contrer l’extrême-droite” ne passait pas par proposer un discours alternatif, solide, humain, démocratique, avec toutes les nuances politiques qu’il peut avoir ?

Certains membres de l’ancien gouvernement sont connus et reconnus pour l’indécence de leurs paroles, mais où se sont perdues toutes les autres voix d’une majorité démocratique qui nous montraient les limites morales et politiques de ces discours haineux ? Quand est-ce que leur silence a poussé la majorité d’entre-nous au next level du chacun.e pour soi ? Quand est-ce que nous avons laissé ériger des frontières aussi solides entre les préoccupations de nos vies et celles des autres sans nous indigner ?
Je suis sans voix face à l’inhumanité des discours et des interventions dans la presse de certains membres démocratiques du gouvernement et de la politique belge, face à la détresse des personnes sans-papiers. Je suis sans voix face au peu de réaction qu’elles suscitent.
Je suis sans voix et je ne veux pas croire que nous sommes une minorité à saisir l’indécence d’une telle formulation dans la Belgique de 2021.

par Adriana Costa Santos (sur Facebook le 28 juillet)

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