ÉNERGIE : MAIS QUI A ALLUMÉ LA MÈCHE ?

Dans la série “je n’y connais rien, je vous le mets quand même?” voici, cette semaine, une réflexion sur l’explosion des factures d’énergie. Avec cette question toute naïve: on le sait, les prix flambent, mais au fait, qui a allumé la mèche?
Car il ne s’agit pas d’une sorte de “catastrophe naturelle” (à supposer que la plupart des catastrophes le soient vraiment). Il s’agit avant tout de choix politiques, guidés par des expert·es aussi brillant·es qu’incapables de raisonner dans un autre cadre que celui de la divinisation du marché.
A lire ce rappel, dans le Monde Diplomatique de novembre 2021 (avant la “crise”), sous la plume d’Aurélien Bernier :
Le 19 décembre 1996, les pays de l’Union européenne adoptent une directive concernant les ‘règles communes pour le marché intérieur de l’électricité’. Pour gérer ce monopole naturel, beaucoup d’États membres ont bâti un service public intégré, qui assure la production, le transport et la distribution. Mais Bruxelles veut instaurer ‘un marché de l’électricité concurrentiel et compétitif’. Moins de deux ans plus tard, une autre directive amorce la privatisation du gaz“.
Saint Marché allait faire baisser les prix, en faisant jouer la Sainte Concurrence. Il suffisait à chaque ménage d’aller joyeusement surfer, avec l’aide de ‘comparateurs’, pour trouver chaque année, sinon chaque mois, l’offre la plus intéressante. Résultat? On peut le lire dans AlterEchos :
Plus de 2,23 millions de ménages disposaient en 2020 d’un contrat d’électricité figurant parmi les 10 produits les plus chers proposés sur le marché alors que seulement 130.000 ménages avaient un contrat parmi les 10 produits les moins chers. Cela concerne 1,2 million de ménages pour le gaz. Pourtant, les fournisseurs en proposent plusieurs: à prix variable ou stable, avec des services supplémentaires, etc. Résultat, entre le contrat le plus cher et le moins cher, la différence peut atteindre 500 euros par an. La faute donc aux consommateurs peu «rationnels» et peu mobiles? D’autant que des comparateurs en ligne existent?
Dans le même article, Marie Hanse, chargée de mission au Centre d’appui social énergie de la Fédération des services sociaux, explique: “Des types de contrats, il en existe des centaines, Mais en changer n’est pas à la portée de tous. Il faut du temps, comprendre les mécanismes, avoir confiance en soi, etc. D’autant que, si un ménage souhaite toujours avoir le produit le moins cher, il doit régulièrement suivre le marché. Peu de personnes agissent comme cela. Alors, autant vous dire que les personnes pauvres en situation de précarité énergétique (une sur cinq en Belgique) ne font que très rarement ces démarches“.
Ben oui, les fracturé·es numériques, les allergiques à l’administration, les précaires, ne font vraiment aucun effort. C’est pas comme les riches, qui arrivent bien à dégoter, dans la jungle d’offres, le meilleur paradis fiscal pour leurs économies…

Sortir des logiques du marché

Alors, il faudrait faire quoi, à part éteindre les lumières (mais développer la voiture électrique), écourter sa douche (mais arroser les golfs), renoncer aux vacances par avion (mais laisser voler les jets privés)? Toujours dans AlterEchos, ne idée développée par Grégoire Wallenborn, chercheur à l’ULB :“Le but serait de jouer le jeu du marché, en dehors des logiques de marché, en gérant cet acteur de manière démocratique et en considérant l’énergie comme un bien de première nécessité. Les tarifs pourraient ainsi être plus intéressants et les bénéfices seraient utilisés pour aider les plus précaires ou pour construire de nouvelles éoliennes ou panneaux solaires. L’idée est de permettre au citoyen de se réapproprier l’énergie, de débattre de sa place dans notre société ou encore de discuter posément de réduction de consommation (un sujet essentiel aujourd’hui). En bref, d’accompagner le plus de personnes possible dans une transition qui devient urgente sur le plan environnemental et social
“En dehors des logiques du marché” : mais avec quoi il vient, celui-là ?
Voilà, tout est dit. Mais bizarrement, dans les débats qui se multiplient, les interviews de responsables politiques éplorés, il est question (pour les plus audacieux) de “réguler” le marché, d’en dénoncer les “excès”… mais pas de vraie remise en question. On n’entend guère ce simple aveu: “OK, on a fait une connerie en faisant confiance aux vertus du marché, on ne nous y reprendra plus!” Ça ne ferait pas baisser la facture mais au moins, on aurait l’impression que les politiques ont compris quelque chose. Quitte à l’oublier une fois la crise passée (pour être remplacée par une autre).
Il paraît que la semaine prochaine, on attend un grand coup d’une réunion des 27. Allez, je vous laisse avec la conclusion d’Aurélien Bernier, dans le même article du Dipl: “Aucune inflexion n’est pourtant prévue du côté de Bruxelles, qui persiste dans sa logique de dérégulation et de privatisation. Sortir l’énergie des logiques de marché pose donc une autre question, aux répercussions bien plus vastes: comment s’affranchir de ce droit européen ultralibéral qui s’impose aux États?” 
Je vous avais prévenu·es, je n’y connais rien. Sur ce je vous quitte, je vais prendre ma douche hebdomadaire (à l’eau froide).

PS : A propos du tarif social énergie, brandi comme des grandes mesures de la Vivaldi…
En principe, si vous y avez droit, il vous sera appliqué automatiquement… mais j’ai pu constater que cet “automatisme” a de sacrés ratés. Donc, n’hésitez pas à vérifier votre statut au SPF économie et à communiquer l’éventuelle confirmation à votre fournisseur chéri (qui, ô surprise, n’était pas… au courant!)
Je viens de faire l’expérience, ça m’a pris une bonne heure et encore, j’ai dû demander l’aide informatique d’une amie!
Je ne me plains pas, moi je souffre seulement d’une sorte d’allergie administrative. Mais j’imagine ce que c’est pour des personnes précaires et isolées.
Selon un article de la VRT, ce sont 50% des bénéficiaires potentiels, une personne sur deux, qui ne l’a pas demandé.
Certains adorent dénoncer la “fraude sociale”, mais le non recours à des droits pourtant précieux est un mal encore largement sous-estimé…

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