LA GAUCHE S’EST LONGTEMPS STRUCTURÉE SUR L’OPPOSITION À LA GUERRE… par Pierre Eyben

J’ai pris quelques jours à digérer l’inqualifiable (et je dois dire inattendue) agression militaire de l’Ukraine par la Russie. Comme bien souvent dans ce genre de contexte, il est très difficile d’obtenir une information qui en reste à de l’analyse politique et évite de trop succomber dans l’émotionnel voir la psychologisation des acteurs politiques.
Sans prétendre avoir une position totalement établie sur la question, voici en tout cas quelques premières réflexions :

1. Rien ne peut légitimer l’agression militaire aujourd’hui subie par un pays souverain. Le “campisme” post-soviétique de certains sur ce sujet est profondément dérangeant. L’impérialisme américain, leur présence militaire aux quatre coins de la planète et leur implication dans de nombreux conflits est sans égal. Mais cela ne peut justifier aucune mansuétude quand d’autres Etats pratiquent le même genre de politiques. C’est le cas de la Russie du nationaliste Poutine en Ukraine, et cela risque bien d’être demain celui de la Chine à Taiwan. Le droit à l’auto-détermination vaut pour tous et partout.

2. Pour autant, je ne comprends pas celles et ceux qui érigent désormais monsieur Zelenski en dirigeant modèle. Monsieur Zelenski est impliqué dans les Pandora Papers pour plusieurs comptes offshores. C’est un président populiste erratique et corrompu à la Trump.
Il a été « créé » de toute pièce par le multimilliardaire Ihor Kolomoïsky, un homme qui possède une télévision privée qui a rendu monsieur Zelenski célèbre et a largement soutenu sa campagne … mais également (selon wikipedia) principal financier du bataillon « Azov », une structure militaire aux sympathies néonazies affirmées et pourtant officiellement intégrée à l’armée ukrainienne.
Monsieur Zelenski plutôt que de faire reculer la corruption massive fait reculer la démocratie dans son pays.
Le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme a fait état, dans un rapport publié à la fin de l’année 2021, de la réduction des libertés fondamentales en Ukraine, pointant en particulier la fermeture de médias et les restrictions sur les opinions critiques. Bref, le régime politique de monsieur Zelenski est tout sauf recommandable.

3. On peut ou pas aimer ce fait, mais aucune grande puissance militaire n’accepte de voir une menace militaire se développer à sa frontière. Ce fut le cas des USA avec les missiles à Cuba (en réaction à ceux mis par les USA en Turquie on l’oublie trop souvent) … c’est aujourd’hui le cas de la Russie.
L’OTAN qui nous avait déjà embarqué dans des opérations plus que hasardeuses (Afghanistan ou Libye pour en citer deux), a provoqué délibérément Moscou en étendant à l’Est son influence (en contravention avec ses propres engagements).
Quel intérêt, nous européens, pouvons nous tirer de cette stratégie de la tension dictée largement par les Etats-Unis sur NOTRE continent ? Loin de renforcer la légitimité de l’OTAN, ce conflit en montre toute la dangerosité.
Les USA sont tout sauf un allié. L’Union européenne, dont l’ambition se limite à une zone de libre-échange total, manque cruellement d’une stratégie propre.

4. La gauche s’est longtemps structurée sur la question de l’opposition à la guerre, notamment parce que celles et ceux qui y meurent sont rarement ceux (peu de celles) qui la déclarent. La décision d’un gouvernement vert et social-démocrate en Allemagne de quasi doubler son budget militaire est un très mauvais signal. L’adage selon lequel si l’on veut la paix l’on doit préparer la guerre ne se vérifie quasi jamais. Au contraire, tout cela conduit invariablement à une escalade de la violence. Que la Belgique, comme de nombreux pays européens, participe à cette escalade en livrant (vendant?) elle aussi des armes me laisse plus que perplexe.
Ils sont bien peu nombreux celles et ceux qui continuent de faire réellement de la recherche de la paix leur principal moteur. En France, loin du discours va-t’en guerre et pro-Otan de Yannick Jadot et des habituels belliqueux de service comme BHL, quelques voix, au premier rang desquelles un remarquable Jean-Luc Mélenchon, sauvent la mise.
Mais aussi des sociaux-démocrates comme Ségolène Royal, et même des libéraux comme Dominique de Villepin. En Belgique, on cherche désespérément un(e) responsable politique qui tienne ce discours.

5. Cela peut sembler anecdotique à l’heure où coule le sang mais la nature et l’incohérence des sanctions économiques prises en Europe est assez révélatrice. Elle montre assez cruellement combien notre dépendance énergétique à la Russie, mais de la même façon industrielle à la Chine, nous empêche d’agir avec la conséquence voulue. On sanctionne mais en préservant tant que possible les robinets dont nous sommes devenus dépendant dans notre économie mondialisée. Un enseignement de tout ceci, c’est aussi que nous avons besoin de plus d’autonomie économique pour avoir plus de cohérence politique.

Pierre Eyben (“Demain”, Liège sur sa page FACEBOOK

1 Commentaire
  • Philippe VANHAL
    Publié à 19:55h, 06 mars

    Merci M. Eyben pour votre billet sans faux-fuyants aussi documenté que pertinent.
    Vous citez opportunément les prises de position courageuses de Mélenchon, Royal et de Villepin … vous omettez cependant de souligner qu’elles rejoignent, à quelques minimes nuances près, celles des représentant(e)s du PTB qui, par leur “audace” se sont littéralement fait clouer au pilori (voir la carte blanche d’Hugues Le Paige du 01/03 dans Le Vif).
    Puis-je me permettre de rapporter les propos tenus fin 2021 par un Mikhail Gorbatchev toujours aussi lucide (91 ans ce 02/03) à l’occasion du trentième anniversaire de la dislocation formelle de L’URSS ? Je cite : “Ça leur est monté à la tête, l’arrogance, l’autosatisfaction, ils se sont proclamés vainqueurs de la Guerre froide alors qu’on avait ensemble sauvé le monde de la confrontation” et d’ajouter : “Comment peut-on espérer des relations d’équité avec les E-U, avec l’Occident dans cette situation ?”
    A lire (ou à relire) sans modération : “Principes élémentaires de propagande de guerre” d’Anne Morelli.
    Merci également à Irène, Claude et tous les autres de faire vivre ce Web magazine plus qu’indispensable en ces temps où l’obscurantisme nous envahit peu à peu.

Poster un commentaire