LA RÉSISTIBLE RÉFORME DU “STATUT DE L’ARTISTE” par METAL

Parmi les intermittent·es et travailleur·ses de la culture, le projet de réforme dit “du statut de l’artiste” fait aujourd’hui l’unanimité contre lui, y compris de la part des associations et personnes qui s’étaient fortement engagées dans son élaboration.
Jamais le fossé n’a aussi été aussi profond entre les professions artistiques et le monde politique, qui s’obstine pourtant à présenter la chose comme un “progrès” et un “succès” du gouvernement.
Voici le point de vue du Mouvement des Étudiant·es et des Travailleur·euses des Arts en Lutte (METAL), qui co-organise une réunion de mobilisation à Liège ce lundi 30 mai (C.S.).

LA RÉSISTIBLE RÉFORME DU “STATUT DE L’ARTISTE” par METAL

En bref, et de manière non-exhaustive, ce que nous allons “gagner” avec l’actuel projet de réforme du chômage des travailleur.ses des arts :

– un accès “simplifié” à l’allocation qui passe par un contrôle supplémentaire, tout les 5 ans, de l’entièreté de nos pratiques pendant les 5 années précédentes, sur base d’un dossier que nous serons tenu.es de réaliser, avec retrait de l’assurance chômage en cas de rejet du dossier.

– un contrôle effectué par une commission non-qualifiée, non élue, qui évaluera sur base de critères subjectifs le caractère artistique ou non, professionnel ou non, nécessaire ou non, de notre pratique.

– une augmentation du nombre de jours pour le renouvellement de cette protection sociale (on passe de 3j/12 mois à 78j/36 mois – convertibles en montants bruts).

– la prise en compte des métiers dits “de soutien” ou “technique”… mais pas forcément, il faudra prouver de “l’artistique”… enfin ça dépendra de l’appréciation subjective de la commission.

– La précarisation de beaucoup de travailleur.ses à la durée qui verront leur allocation plafonnée à cause de la règle de conversion*, qui incitera les travailleur.ses qui gagnent le plus à sortir du régime générale de la sécurité sociale.

– Une attestation “débutant” réservée uniquement aux diplômé.es sorti.es d’école artistiques supérieures qui parviendront à proposer un plan de carrière, financier ou d’affaires, “réaliste”.

– La possibilité d’une reconnaissance professionnelle de notre pratique artistique sans suspicion de fraude à partir du moment où on parviendra à prouver un revenu artistique sur cinq ans supérieur à 64500 euros (soit l’équivalent de 12900 euros par an).

Organisons-nous pour contrer cette réforme :
Nous invitons les travailleur.ses à bloquer les représentations publiques de leurs productions, les étudiant.es à bloquer leurs écoles et toustes à informer nos publics.

Une réforme “pour les jeunes” :

Elle serait faite pour nous, cette réforme du chômage des travailleur.se.s des arts. C’est du moins ce qu’on croit comprendre ici et là, dans les entretiens, les articles, les conversations.
Elle serait faite pour nous, « les jeunes ».
Le simple fait d’entendre ce terme : « les jeunes », devrait nous mettre la puce à l’oreille. C’est souvent le signe avant-coureur d’une diminution de droits sociaux déguisée en faveur.

Première douche froide, déjà : la réforme ne propose pas d’avantages pour « les jeunes », mais pour les « débutant.es » ayant obtenu un diplôme de l’enseignement artistique supérieur ou disposant d’une formation/expérience équivalente dans un secteur artistique. Ce qui réduit pas mal la population visée.
Il s’agira ensuite de donner la preuve de cinq prestations artistiques effectuées ou d’un d’un revenu reçu en échange de prestations artistiques.
Mais surtout, il s’agira de prouver que l’on suit, ou que l’on se forme à suivre un « plan de carrière, financier ou d’affaires», avec un « projet réaliste de développement d’une pratique professionnelle dans le domaine des arts”.
Le diable se cache dans les détails, et au détour d’une phrase, tout le véritable projet peut apparaître. La réforme se révèle comme elle est, c’est à dire la poursuite d’une logique – certain.es diraient d’une idéologie.
La réforme s’inscrit parfaitement dans la redéfinition de la Sécurité Sociale opérée depuis de nombreuses années par les partis au pouvoir un peu partout en Europe, et dans la financiarisation de tous les secteurs appartenant au domaine du “non-marchand”.
C’est tout un programme qui se construit et qui s’affirme dans cette réforme : celui de soumettre les bénéficiaires de droits sociaux élémentaires à une série de devoirs pour les conserver.
Cela part d’un présupposé infantilisant et culpabilisant, selon lequel les droits sociaux bénéficieraient à des personnes indolentes, oisives, fraudeur.euses – et que tou.te.s ces jeunes (ou ces non-jeunes) devraient déjà être bien content.es de vivre dans une démocratie qui donne tellement, alors qu’on lui donne si peu.

On ne le présentera pas comme ça. On enrobera plutôt le tout d’un paternalisme nauséeux qui exposera cette dérogation comme un mécanisme visant à accompagner, à prendre par la main des débutant.es qui, incapables de s’en sortir par elles et eux-mêmes, ont besoin qu’on leur indique la route à suivre.
En l’échange de cette “faveur”, il faudra rendre des comptes : “Plan de carrière”. “Projet réaliste de développement”. “Preuve de revenus”.
Argument financier encore, encore, encore, et ce dès les premiers pas dans un milieu qui se remet à peine de 2 ans de pandémie et qui étouffe déjà dans le “bouchon” annoncé depuis bien longtemps. Tout un programme.

Et tout ça, rappelons-le, pour obtenir une « attestation du travail des arts ». C’est à dire un document accordant simplement le droit… de demander des droits.

Plutôt que de mettre en place un régime de protection sociale difficilement atteignable avec des dérogations pour les populations les plus précarisées, il est aujourd’hui nécessaire de penser la protection sociale pour tou.tes à partir de la situation des populations les plus précarisées.
C’est ce que nous demandons depuis le début des négociations, mais sans être entendu.es, écouté.es.
Cette logique devrait tomber sous le sens, si elle n’était pas escamotée par l’acharnement des médias, des spécialistes et malheureusement de nos « représentant.es » (politiques ou sectoriels) à nous faire croire que la Sécurité Sociale est une “charge” qui pèse sur une société perpétuellement en crise économique.
Qui roulent des yeux à notre écoute en nous adjurant d’être “raisonnables”.
Soyons raisonnables, en effet : redonnons son sens à la Sécurité Sociale.

Certes, la réforme présente certains points qui pourraient être considérés comme des progrès.
Avant toute chose, la diminution du nombre de jours (en comptant la règle de conversion*) à prouver pour avoir accès à l’allocation. 156 jours sur 24 mois, c’est un progrès (à nuancer fortement, quand on connaît les conditions de travail de certain.es travailleur.ses des arts, comme les artistes plasticien.nes, les écrivain.es, les bédéistes, etc., ou quand on mesure l’ampleur du “bouchon” de créations dans certains secteurs (2) et l’impact qu’il a sur les jeunes travailleur.ses).

La suppression de “la recherche active d’emploi”, c’est un progrès. (même si les rendez-vous ONEM seront remplacés par un énorme dossier détaillant toutes nos pratiques, à renouveler tous les 5 ans, et qui en cas de “ratage”, nous prive de l’assurance-chômage travailleur.ses des arts pour… 3 ans.).
Mais ces progrès ne doivent pas servir à camoufler :
a. les éléments qui n’ont pas été améliorés dans la réforme
b. la perte de droits qu’elle engendrera.

A. Les éléments qui n’ont pas été améliorés.

Dans ce projet, on retrouve :

– la non-reconnaissance du “travail invisibilisé” dans nos pratiques. Malgré l’opacité des textes, tout laisse à croire que cette partie de notre travail (qui est souvent plus importante que la partie rémunérée) ne sera presque pas reconnue. Et, si elle l’est, ce sera seulement pour obtenir l’attestation du travail des arts.

– la reconnaissance très insuffisante des activités dites « périphériques », comme l’enseignement, qui représente pourtant une source de revenu importante pour de nombreu.x.ses travailleur.ses des arts, qui réclame sans conteste des qualités artistiques professionnelles et qui participe fortement à la création artistique professionnelle (il n’y a qu’à voir, par exemple, l’influence des travaux issus d’écoles nationales sur les scènes de théâtre).

– le doute quant à savoir si certaines professions, par exemple des professions techniques ou de soutien (terme fourre-tout et dénigrant) seront véritablement considérées comme nécessaires à la création d’une œuvre artistique.

En somme, ce qui ressort, c’est une persistance à essayer de séparer ce qui est “artistique” de ce qui ne l’est pas, plutôt que de travailler sur le problème de la discontinuité de l’emploi.

B. la perte de droits qu’elle engendrera :

Dans ce projet, il y a de nouvelles pertes de droits : par exemple, l’augmentation considérable du nombre de jours nécessaires pour le renouvellement (on passe de 3j/12 mois à 78j/36 mois – convertibles en montant brut*).
Un des axes de cette réforme, c’est le passage d’une logique de renouvellement du chômage symbolique, à une logique de productivisme et de surveillance.
On peut aussi citer la généralisation de “la règle de conversion” qui ouvre la porte à la facilitation d’accès à l’assurance-chômage en privilégiant les hauts revenus et en discriminant les travailleur.ses à la durée.

Par ailleurs, nous ne devons pas sous-estimer le danger d’une “commission du travail des arts” dont l’autorité pourrait outrepasser celle des tribunaux et qui aura quasiment tout pouvoir pour accorder ou refuser aux travailleur.ses leur “assurance-chômage artiste”, en suivant des critères très subjectifs.
Cette commission aura-t-elle les moyens et les compétences pour accomplir cette mission?
Quelle place s’ouvrira aux copinages et aux règlements de compte?
Notre vie va désormais être ponctuée par la rédaction de dossiers (comme si elle ne l’était pas déjà sans cela), et la menace permanente de se voir retirer notre protection sociale.
Non-contente de ne pas reconnaître suffisamment le travail invisibilisé, la réforme va le démultiplier.
La santé mentale des travailleur.ses avait commencé à être un enjeu de santé publique pendant le Covid. Qu’en sera-t-il au sein d’un secteur déjà rongé par ces problématiques ?

Il est odieux de faire miroiter une “victoire sociale” dans cette réforme quand le filtre qu’elle emploie est clairement celui de l’exclusion de plus en plus massive de nombreuses catégories de personnes, obligées de se reconvertir, ou en voie de demander de l’aide au CPAS.

Ceci n’est pas une fatalité.
Pour celles et ceux qui nous répèteront que nous en demandons trop, que nos revendications sont démesurées, nous rappellerons un simple fait : entre 1991 et 2014, tous les travailleur.euses à contrats courts pouvaient bénéficier d’un chômage non-dégressif, avec une seule porte d’accès, et ne devaient prouver qu’un jour de travail pour le renouveler.
Peu à peu, d’abord par des notes en interne, puis par la réforme de 2014, ce “statut” n’a plus concerné que les “artistes”, (avec tout le flou que ce terme contient) et les conditions d’accessibilité et de renouvellement ont été durcies.
Si aucune avancée conséquente n’est actuellement possible pour l’assurance-chômage des travailleur.ses des arts, c’est par manque de volonté politique d’entreprendre une réforme véritablement progressiste et par manque de combativité chez les représentant.es du secteur qui sont les interlocuteur.ices de ce gouvernement.
Cette réforme pourrait, devrait, être étendue par la suite à tou.tes les travailleur.ses discontinu.es, voire à toutes les travailleur.ses tout court, dans l’objectif d’en finir une fois pour toute avec l’idée de dégressivité de l’assurance-chômage.
Car la dégressivité des allocations, les politiques « d’activation » des travailleur.ses, nous ne sommes pas les seul.es à les subir et leur inefficacité n’est plus à prouver.

Ce qu’il faut combattre dans cette réforme, c’est une logique.
C’est un projet. Le projet de “l’Etat Social Actif”, sur lequel semblent s’accorder la droite et la “gauche”, Messieurs les ministres Clarinval, Vanderbroucke et Dermagne.

Les grands noms du MR, se félicitant de la réforme, trouvent sans doute les meilleurs mots pour éclairer le projet de loi : “militant” pour un statut plus responsabilisant et moins culpabilisant (parce que bénéficier de la Sécurité Sociale, il y aurait de quoi avoir honte…) ils se félicitent de l’augmentation du nombre de jours nécessaires pour le renouvellement en ces termes : “Cette exigence [3j/12mois] est tellement dérisoire qu’elle désincite plusieurs de ses bénéficiaires à travailler et constitue une injustice.” “Pourquoi d’ailleurs bloquer dans un régime dérogatoire des personnes qui pourraient s’épanouir dans d’autres activités professionnelles correspondant davantage à leurs aspirations ?”

Cette réforme n’est pas encore mise en place, et elle ne fait pas l’unanimité.

Nous devons penser une autre réforme en nous donnant les moyens de proposer une véritable assurance-chômage, réaliste et progressiste.
Se donner les moyens, c’est s’accorder un vrai budget, mais c’est aussi faire une véritable étude du secteur du travail des arts (par exemple, en consultant les travailleur.euses autrement que par une mascarade de site internet “consultatif”), afin de prendre en compte tou.tes les travailleur.ses “hors-radars” qui le constituent.
Mais c’est aussi inviter les travailleur.euses les plus concerné.es, précarisé.es, invisibilisé.es à la table des négociations, en leur donnant les moyens de s’exprimer à égalité avec les expert.es du sujet qui se présentent comme nos représentant.es.

Il faut également, et ceci n’est pas une contradiction, lutter pour obtenir un véritable refinancement du secteur culturel à la hauteur du travail qui y est fourni.
Parce que le statut de chômeur.se ne doit pas être un statut à vie, créons une assurance-chômage puissante qui permettra aux travailleur.ses de tenir un rapport de force lors du choix de ses contrats, sans craindre la précarité, afin de transformer le marché de l’emploi et de rendre cette assurance superflue.

Aujourd’hui nous ne devons pas céder au sentiment d’impuissance et nous devons affirmer que cette réforme n’est pas une fatalité, qu’une alternative progressiste est possible.
Il ne tient qu’à nous de la faire exister.
En effet, nous sommes en lien : parlons-en à nos pairs, bloquons nos spectacles, nos concerts, nos expositions, nos écoles, alertons les publics, interpellons nos politiques, occupons les locaux des concerné.es.
Lors de la fermeture des théâtres, le secteur a prouvé qu’il pouvait agir vite et de manière soudée. Si cette réforme passe, ce n’est pas la fermeture de nos théâtres pour quelques semaines qui nous attend, mais le plongeon dans la précarité, voire pire, d’un grand nombre des travailleur.euses discontinues des arts et de la culture, et ce pour toute la vie…

METAL (mouvement des étudiant.es travailleureuses des arts en lutte)

Lien vers les textes de loi de la réforme du chômage des travailleur.se.s des arts :

https://workinginthearts.monopinion.belgium.be/pages

contact : coordination.metal@gmail.com

Réunion de Mobilisation à Liège ce lundi 30 mai :

https://www.facebook.com/events/559493005785276/?ref=newsfeed

Évènement de SETCa Liège-Huy-Waremme, IRW CGSP Culture et METAL
FESTIVAL DE LIEGE 2 rue Ransonnet Liège 4000

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