LE PALAIS DU MIDI ÉVENTRÉ par Gwenaël Breës

Que faites-vous lorsque vous commettez une erreur qui a de graves conséquences sur les autres ? Vous essayez de la réparer illico en vous excusant platement ? Ou bien vous persévérez ? Dans l’affaire du chantier de la station de métro Toots Thielemans, qui bouleverse l’avenue de Stalingrad depuis quatre ans, le gouvernement bruxellois et la STIB ont vraisemblablement choisit la seconde option puisque c’est “l’option d’évidement” du Palais du Midi qui a aujourd’hui leurs faveurs. Traduisez : la démolition de l’intérieur du bâtiment. Et le coup de grâce pour le quartier.

Si l’on en croit les informations de L’Écho dans son édition du 4 mai, l’option privilégiée par le gouvernement bruxellois pour poursuivre les travaux de la station de métro Toots Thielemans (station à l’utilité toute relative, mais c’est un autre débat) consiste désormais à “se libérer de la contrainte du maintien en l’état du Palais du Midi”. Comme ces choses-là sont élégamment dites. Plus prosaïquement, ce bâtiment empêche l’avancement du progrès et puisqu’on n’arrive pas à creuser un tunnel par-dessous, il n’y a qu’à l’ôter du chemin et en démanteler tout l’intérieur pour faire passer les grues par-dessus. “Si on ne sait pas passer sous le Palais du Midi, il faudra passer dans le Palais du Midi”, résume le CEO de la STIB.

Au passage, il faudra en expulser les occupants (deux écoles, des dizaines de commerces, des centaines de sportifs jeunes et moins jeunes qui le fréquentent quotidiennement) et achever le tissu urbain et socio-économique du quartier de l’avenue de Stalingrad, déjà mal en point en raison de ce chantier, et dont la population semble décidément ne pas peser grand chose aux yeux des décideurs bruxellois. Il faut dire que cette population a la caractéristique d’être largement immigrée et d’avoir développé là des salons de thé, pâtisseries ou autres restaurants de poisson jugés un peu trop “communautaires” et donc pas assez compatibles avec le potentiel international et touristique de cette avenue stratégiquement située entre la gare du Midi et le centre-ville.

Non contentes d’avoir délivré le permis de construire cette station le 24 mai 2019, soit 48 heures avant les dernières élections régionales, afin de mettre le nouveau gouvernement bruxellois devant le fait accompli ; non contentes d’avoir par ailleurs ignoré l’Histoire et les avertissements brandis à plusieurs reprises par des associations et des experts pour leur préférer les “solutions techniques” vantées par des ingénieurs et des entreprises de béton ; la STIB et la Région bruxelloise n’ont admis les réalités géologiques de Bruxelles que lorsque, creusant le sous-sol marécageux qui compose l’ancien lit de la Senne, les piliers en béton se sont irrémédiablement enfoncés de plusieurs mètres. Pas de chance pour ces années passées à payer de coûteuses études inutiles…

Ensuite, sans doute trop affairées à se renvoyer la balle avec les entrepreneurs, les deux institutions ont caché la réalité de ce désastre pour ne la rendre publique qu’en février dernier, après une bonne année de mise à l’arrêt du chantier.

Le pauvre Toots, embarqué dans une bien marécageuse histoire !

Mais pensez-vous qu’elles sont à présent rongées par les remords, les scrupules et l’humiliation ? Nenni, hein. Plutôt que s’excuser de s’être montrées tellement bornées et d’avoir ainsi saccagé un quartier, pourri la vie de ses habitants, détruit une économie locale et jeté des millions d’argent public par la fenêtre, elles ont aussitôt dénoncé les scénarions alternatifs proposés par les entrepreneurs, pour dégaîner une solution jugée moins longue et moins onéreuse : “Se libérer de la contrainte du maintien en l’état du Palais du Midi”. Se libérer des contraintes du droit aussi, ce que la Région imagine pouvoir faire grâce à des procédures spéciales qui lui permettrait à la fois d’aller vite et d’éviter les recours en justice que pourraient introduire des esprits chagrins.

Voilà donc la Région et la STIB, toute honte bue, menant campagne en faveur de nouvelles solutions techniques, de nouveaux plannings pour de nouvelles années de chantiers, de nouveaux budgets synonymes de nouveaux endettements, et le tout à l’aide de nouveaux éléments de langage…

Une démolition ? Parlons de préférence “d’évider” ou de “démonter” (on avait bien démonté la Maison du Peuple d’Horta). Une pratique de façadisme, digne l’urbanisme des années 60 que notre notre classe politique, unanime, a voué aux gémonies et définitivement rangé aux poubelles de l’Histoire ? Dites plutôt “enlever la toiture”.
Un gaspillage d’argent public ? “Cela nous coûterait le même montant de tout arrêter“, répond la ministre Groen de la Mobilité, dont l’esprit ne semble pas effleuré un instant par l’idée que, justement, il vaudrait mieux arrêter les frais – et pas que financiers, mais aussi sociaux, humains, urbains, patrimoniaux…

Un entêtement inconsidéré, enfin, en faveur d’une ligne de métro que Bruxelles n’a pas les moyens de se payer et dont le chantier Toots Thielemans confirme toutes les inquiétudes ? Nuançons.
Tout d’abord, on ne saurait retarder les promesses du Métro 3 qui aura l’inestimable avantage de desservir la commune d’Evere au plus grand bonheur de son bourgmestre, le ci-devant Ministre-Président socialiste de la Région bruxelloise.
Ensuite, les apparences démocratiques seront sauves. Certes, la décision est “difficile” à prendre lorsqu’il s’agit de justifier qu’on va “enlever une toiture”, mais elle sera “prise en concertation étroite avec la Ville de Bruxelles, les riverains, associations, commerçants et autres usagers du Palais du Midi”, a promis la ministre. Retenez bien ces mots : “concertation étroite”.
On en reparle dans quelques semaines.

Si nous avons quelques raisons de douter de la sincérité de cette annonce, il faut reconnaître qu’il y a un acteur qui a effectivement été étroitement associé à la réflexion.
C’est la Ville de Bruxelles, propriétaire du Palais du Midi, et plus particulièrement son bourgmestre (socialiste lui aussi), dont on ne doute pas qu’il ait pris fait et cause pour éviter la mise à mort du tissu social de l’avenue de Stalingrad et de ses activités éducatives, économique ou sportives.
On attend d’ailleurs impatiemment ses déclarations sur cette affaire. Gageons qu’il apparaîtra très prochainement dans les médias, empli de compassion, la main sur le coeur et les yeux humides, s’engageant à tout faire pour accompagner, aider, indemniser, relocaliser.
On l’entend déjà dire que oui, on sait, c’est dur et c’est injuste, mais vous savez on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs, l’intérêt commun doit primer, etc.

Dans son esprit, le Palais du Midi appartient déjà au passé, effacé par un projet plus rutilant et bankable dont il suffit, pour se faire une petite idée, de regarder l’actuel chantier de l’ancienne Bourse, désormais coiffée d’une gaufre géante pour parfaire sa mutation en Beer Temple…
À quelque chose malheur est bon : le flop du chantier Toots Thielemans et le drame des riverains constituent une opportunité immobilière inespérée (quoiqu’on ne puisse totalement occulter la question de savoir si l’incompétence des autorités dans cette affaire n’aurait pas été un peu teintée de pragmatisme machiavélique…).
Le coup de pouce qui manquait pour faire basculer définitivement ce quartier populaire en future artère dédiée au tourisme et aux classes aisées.
On en reparle dans quelques années.

Gwenaël Breës

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