LES ÉBORGNÉS CONTRE LES BASSINES DU DIABLE

Excusez ce titre “grand guignol”, mais il me semblait bien coller à mon sujet.
Les méga bassines de l’industrie agroalimentaire sont à mes yeux l’exemple typique d’une “fausse bonne idée”. Il y en a pourtant déjà une centaine en activité en France, et des centaines d’autres en projet.

Contrairement aux lacs artificiels des barrages, ces bassines ne sont pas alimentées par l’eau d’une rivière, mais pompent directement la flotte dans les nappes phréatiques.
Les “nappes phréatiques” sont d’immenses réservoirs d’eau sous-terrain, dont la surface globale peut varier de 10 à 100.000 km2 (!) (1). On en compte près de 6500 en France.
Si vous pompez inconsidérément dans une de ces nappes à un endroit précis, vous pouvez donc très bien priver d’eau ceux qui habitent à 20, 40 ou même à 100 kilomètres de là.
“En principe”, selon ses concepteurs, les pompages destinés à remplir ces immenses “bassines” ne devaient s’opérer qu’en période de fortes pluies hivernales.
L’idée étant de “récupérer” ainsi des masses d’eau qui, sinon, “déborderaient” (l’image de la baignoire s’impose fallacieusement à nous) pour aller gonfler les rivières et finir “inutilement” à la mer.

Sauf qu’avec le réchauffement climatique, les périodes de sécheresse se prolongent et s’intensifient, y compris en hiver. Comme nous venons de le vivre cette année.
Loin de “déborder”, les pluies hivernales n’arrivent même plus à combler le déficit pluviométrique de l’année. Qu’on pompe de l’eau en hiver ou en été n’a donc plus que peu d’importance : il en manquera au solde final, et on la gaspille en toutes saisons.
D’autant qu’une fois ramenée à la surface, cette eau de pompage subira les effets bien connus de l’évaporation (une perte de l’ordre de 20% de la masse).
Loin d’être une “économie”, c’est donc un gaspillage supplémentaire.

L’industrie alimentaire s’attaque ainsi à un bien commun (l’eau millénaire des nappes phréatiques) pour la privatiser dans une “méga-bassine”.
Ces bassines serviront ensuite à irriguer, dans une zone géographique limitée, les cultures industrielles du complexe agroalimentaire qui les aura “financées”… essentiellement avec de d’argent public !
…Et tout ça pour faire pousser des kilomètres carrés de maïs, destinés aux auges des cochons et à l’exportation, reproduisant ainsi ce modèle agricole industriel qui détruit les sols, pille et privatise les matières premières, amplifie le réchauffement climatique, détruit les petites entreprises agricoles et met l’ensemble de la planète à genoux.
Bref, en regard de nos nécessités et de nos priorités alimentaires, sociales et climatiques, l’exact contraire de ce qu’il faudrait impérativement faire.

Les méga-bassines ? Un crime de l’industrie alimentaire contre la nature et les êtres humains, absurdement soutenu par la violence éborgneuse de l’État français.
C’est donc tout naturellement que ces méga-bassines ont rapidement polarisé l’opposition des écologistes, de la confédération paysanne, de la France Insoumise, des jeunes activistes du climat, et d’une myriade d’associations citoyennes et environnementales (dont certaines regroupées sous la bannière “Soulèvement de la Terre”, et d’autres dans le Collectif “Bassines non merci”).
Exemple : la manif du 25 mars à Sainte-Soline (Deux-Sèvres) contre la bassine locale. Elle a fait plus de 200 blessé·es parmi les manifestant·es, dont deux victimes sont encore aujourd’hui entre la vie et la mort.
Les mal nommées forces “de l’ordre” reconnaissent avoir tiré 5185 projectiles sur les 6000 participants comptés par la police, soit presque une grenade par manifestant (même si les organisateurs en revendiquent quatre à cinq fois plus).
Outre l’habituelle pluie de lacrymogènes, ici particulièrement drue, la gendarmerie nationale a reconnu l’usage de 89 “grenades de désencerclement” (qui projettent des éclats particulièrement dangereux…) et de 81 tirs de “LBD” (qui ont déjà défiguré des dizaines de personnes en France). Dont certaines tirées depuis des Quad, ce qui est strictement interdit, certains gendarmes se prenant à la fois pour Ben-Hur et pour Buffalo Bill.

Or comme l’a rappelé Amnesty International, ces deux dernières catégories de grenades sont classées comme “matériel de guerre” selon le Code de la sécurité intérieure. Des armes à « létalité réduite », mais susceptibles de blesser gravement et de tuer.
Reste à comprendre alors pourquoi, en pleine crise des retraites, avec trois millions de personnes dans la rue, le gouvernement Macron-Borne a jugé indispensable et urgent d’envoyer 3200 gendarmes “protéger” (de quoi ?) un grand trou perdu au milieu de nulle part, avant de pilonner la zone à la grenade comme si c’était la banlieue de Bakhmout ?
La “jurisprudence gilets jaunes” : on tape d’abord, on refuse de discuter ensuite ? Un pas de plus vers l’interdiction des manifestations et la criminalisation de l’opposition ?

Il y avait en effet, parmi les manifestants, des dizaines d’élu·es en écharpe, notamment celles et ceux de la France Insoumise et d’Europe Ecologie Les Verts.
J’avais ici-même annoncé la semaine passée que Macron, dépassé et minorisé par les réactions à sa “réforme des retraites”, allait jouer la carte de “l’ordre” face aux “violences” médiatisées du mouvement social. Nous y sommes.
Analyse confirmée cette semaine par Natacha Polony dans “Marianne”, qui écrit : “… Alors que 70 % des Français restent opposés à la réforme des retraites, alors que la mobilisation, loin de faiblir, s’amplifie, (…) la discussion médiatique se focalise désormais sur l’opposition entre violence et ordre, sur fond d’images apocalyptiques“.
CQFD.
Voilà à quoi servent les 3200 casqués massés devant la Bassine : à fournir des images de “violences” aux perroquets macronistes des médias “mainstream”.
Un combi de gendarmerie qui brûle et passe en boucle sur les chaînes “d’infos”, c’est cent combis de gendarmerie qui auront “brûlé” à la fin de la journée.
C’est une manif de 30.000 personnes réduite à 20 secondes de bagnole en flammes au JT.

Après avoir parfois parlé “d’éco-terrorisme”, il y a quelques mois, ce qui était pour le moins un abus de langage, voilà que le Ministre de l’Intérieur Français Darmanin, vient de dissoudre “Le Soulèvement de la Terre”, un des deux collectifs à l’origine de la manifestation de Sainte-Soline.
On ne voit pas très bien ce qu’une “dissolution” pourrait concrètement signifier pour cette nébuleuse qui regroupe des dizaines de microstructures militantes, indépendantes et autonomes à travers toute la France. Comme l’a déclaré son porte-parole, “on ne dissout pas un mouvement social“.
Mais cette interdiction crée aussi un certain “climat”, qui permettra un peu plus aux autorités policières de persécuter et criminaliser toutes ces structures militantes de base (perquisitions arbitraires, interdictions de se réunir et de manifester)

Il y a en outre un autre scandale dans le scandale.
Car cette manif, sous ce déluge de grenades, a rapidement provoqué des dizaines de blessés, qui ont été rassemblés dans une zone plus calme, à l’arrière des “affrontements”, où les députés de la Nupes ont cru pouvoir les protéger, en arborant leurs écharpes tricolores.
Parmi ces blessés, des gens en situation d’extrême urgence, dont un dans le coma, dont le processus vital était visiblement menacé.
Or pendant plus d’une heure trente, et à de multiples reprises, des médecins, des élus Verts et Insoumis, des observateurs de la Ligue des Droits Humains, ont désespérément appelé le SAMU et la préfecture pour demander l’évacuation d’urgence de ces cas graves vers un hôpital.
“Le Monde” et le site d’information “Médiapart” ont publié quatre minutes absolument glaçantes du dialogue entre le responsable du SAMU (service de secours français) et un médecin réclamant en urgence une ambulance. En présence d’observateurs de la Ligue des Droits Humains, le responsable du SAMU répète à deux reprises qu’il agit sous l’autorité du commandement de la gendarmerie, et que cette dernière a explicitement interdit l’accès de la zone aux ambulances.
Les parents d’un des deux manifestants dans le coma ont porté plainte pour “tentative de meurtre” et “entrave aux secours” (Nouvel Obs, 29 mars).

MACRON PREND L’EAU

Alors que toute la France est vent debout contre sa réforme, et qu’il a systématiquement refusé de rencontrer l’intersyndicale, à qui Macron vient-il d’accorder une interview ?
À “Pif Gadgets”, le magazine pour enfants autrefois créé… par le PCF (29 mars 2023).
À deux jours près, c’était presque un vrai poisson d’avril : “Toi aussi, construit ta grenade lacrymogène avec un pot de yoghourt vide et la poudre noire magique contenue dans ce numéro !“.
Mais dans le genre ridicule, une interview à “Picsou Magazine” eut peut-être mieux convenu.

Tout à fait autre chose. Que vient de lancer Macron ce 30 mars, une semaine après la manif “monstre” contre la méga-bassine de Sainte-Soline ? Un “plan eau” national, axé sur la “sobriété” et la “technologie“. Ce qui ne manque pas d’air.
Questionné sur les violences à Sainte-Soline, le président a affirmé que des “milliers de gens” étaient “simplement venus pour faire la guerre” (France TV info, 30/03/2023).
Oui, oui, c’est vrai. Même qu’ils avaient des casques noirs, de longues matraques, des Quads et des lance-grenades, et qu’ils avaient été amenés sur place en combi de gendarmerie. Mais les autres, non.
Cette fois, le doute n’est plus permis : on a clandestinement engagé un clown comme “communiquant” à l’Élysée.
Si vous voyez donc prochainement Macron en petit baigneur, avec un nez rouge, un parapluie qui “pleut” des confettis et une bouée-canard, ne vous inquiétez pas : “cela fait partie du Plan”.

Claude Semal, Le 31 mars 2023

(1) chiffres de www.geo.fr, 2017.

Lire également le très beau texte de Pascal Maillart, qui participait à la manif : RESTE AVEC NOUS par Pascal Maillart

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