09 juin 2023
LES VIDEUSES DU PARC MAXIMILIEN par Marie Wiener
A partir de cette semaine, Marie W., qui héberge tous les jours, depuis plus de cinq ans, des sans-abri / sans-papiers chez elle, témoignera régulièrement de son vécu dans cette nouvelle rubrique de l’Asympto : “Vis ma vie d’hébergeuse”.
Ce monde sous-terrain, fait d’entraide et de solidarité, concerne tous les jours, dans une semi-clandestinité, plusieurs centaines de personnes à Bruxelles. Il nous a semblé utile de lui donner un peu plus de visibilité, car cet “univers parallèle” est souvent bien plus proche du “vrai monde” que celui dans lequel nous vivons. En 2023, des millions de personnes vivent comme ça, en errance entre deux pays ou deux continents. (C.S.)
À l’été 2017, l’enjeu depuis des mois était d’aller très tôt (vers 5 – 6 h) au Parc Maximilien, près de la gare de Bruxelles-Nord. Il s’agissait de réveiller les sans papier qui campaient là, ou dormaient à la belle étoile, avant que les flics ne les chassent et ne jettent leurs affaires à la benne.
Le réseau qui se constituait cherchait aussi à leur fournir si besoin des sacs de couchage.
En août, un slogan apparut sur Facebook: “Pas une femme au parc !“.
Outre les femmes, l’équipe essaya progressivement de mettre également à l’abri les hommes handicapés, les malades, les plus jeunes…
Mi-septembre, une fuite informa l’opinion que Théo Francken, Secrétaire d’Etat à l’immigration, avait ordonné à la police d’opérer une rafle au cours de la semaine suivante.
Là, j’ai sauté le pas : à 20h le lundi, j’étais au Parc.
Yoon et Adriana assuraient le dispatching et me confièrent mon premier hébergé: Ermias, Ethiopien “underage” (mineur).
Je ne fus pas la seule (1).
Le réseau s’étoffa à toute vitesse. La rafle n’eut pas lieu. Quelques semaines plus tard, le défi quotidien était devenu: “Vidons le Parc!”
Au cours des années qui suivirent, j’ai surtout hébergé des filles et des gars qui cherchaient à aller en “UK” (United Kingdom).
L’immense majorité y sont arrivés. D’abord comme passagers clandestins dans des camions, ensuite dans de “small boats”, dinghys et autres gonflables.
Depuis plus d’un an maintenant, mes hôtes demandent plutôt l’asile ici.
En Belgique, nombre de réfugiés et sans papier sont afghans, irakiens, iraniens, palestiniens… Mes hôtes à moi sont surtout africains sub-sahariens.
L’Etat belge ne respecte pas l’obligation qu’il a de les loger : la liste des demandeurs d’asile en attente d’une place dans le réseau Fedasil compte actuellement environs 2.100 personnes, a indiqué ce mardi 6/6 la secrétaire d’État à l’Asile, Nicole de Moor.
Ils et elles sont donc nombreux à se retrouver à la rue, ou dans un squat, ou dans une “family”: sous mon toit, par exemple, comme Billy.
Marie Wiener, “hébergeuse” (4).
BILLY
Billy s’est levé soulagé ce matin, en pleine forme malgré son gros rhume.
Il a eu son audition hier au CGRA (2) : j’ai vu le PV (3), rempli d’horreurs à ras-bord.
(C’est donc ce que nous appelons “un bon dossier”)
“Mami, do you have g’ng’r?”
Je répète: “g’n’g’r? G’n’g’r?? Oh, yes, ginger!!”
Of course, I have ginger (gingembre)!!
Voici!
Il se prépare un thé + “lemon and g’n’g’r : the doctor said it’s good!”
Mais ce n’est pas fini : il me photographie tous ses papiers, que je dois transmettre à son avocat.
Et ce n’est pas fini : le PV, il en voudrait une traduction dans sa langue
Et ce n’est pas tout : la plupart des documents, il ne les a qu’en scan: il en voudrait des exemplaires imprimés…
OK, OK, mon gars, je te fais (faire) ça dans les meilleurs délais.
Je suis ta Mami, mon gars, tu peux compter sur moi!
M.W.
(1) https://www.facebook.com/groups/140794776533345
(2) Commissariat Général aux Réfugiés et aux Apatrides
(3) Procès Verbal
(4) Voir également le portrait de Marie ici dans l’Asympto : LES AIRBNB DU CŒUR
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