Macron au Champ de Mars LE JOUEUR DE PIPEAU ET LES ENFANTS PERDUS

Le soir de son élection, avant son élocution télévisée, Emmanuel Macron est arrivé au Champ de Mars à pied, main dans la main avec Brigitte, à la tête d’un troupeau d’enfants et d’adolescents bien peignés.
Il y avait même une petite black au premier rang, mais tout à l’extrémité, presqu’en dehors du cadre, faut pas exagérer tout de même, pour célébrer symboliquement « la diversité ».
Dans les baffles, une version très oléagineuse de l’Hymne à la Joie européen, jouée par un orchestre d’escargots retraités, sous lequel on aurait juré entendre Jingle Bells et de vagues chants de Noël pour ascenseurs en panne. Communi-cancan, quel beau métier.
Je ne sais quelle image subliminale les géniaux stratèges élyséens ont ainsi voulu transmettre aux téléspectateurs.
Un berger BCBG conduisant son jeune troupeau bêlant (mais studieux et silencieux) dans les verts pâturages du futur ?
Une institutrice peroxydée conduisant sa classe de sixième à la fête de Saint-Nicolas d’Amiens (ou en voyage scolaire à Disneyland Paris) ?
Charles-Amaury rencontrant ses 53 cousins à la Manif pour Tous au pied de la Tour Eiffel, ou au second mariage de sa grand-tante Marie-Joséphine-Charlotte à l’Église de Saint-Cloud ?
Je donne ma langue au chat, sinon à la chatte.
Car moi, avec mon esprit mal tourné, j’ai immédiatement pensé au conte des frères Grimm, vous savez, Le Joueur de Flûte d’Hamelin, cet as du pipeau sans trous, qui devait débarrasser la ville de ses rats (les fachos), et qui a fini par noyer son troupeau d’enfants dans la rivière (le réchauffement climatique).

Ce sentiment d’étrangeté s’est pour moi accentué dès que Macron a entrouvert la bouche.
L’éborgneur autoritaire s’était soudain métamorphosé en murmurant compassionnel.
Où est-il passé, notre trader exalté, transpirant et cocaïné, qui hurlait en 2017, cravate au vent, à s’en faire péter la luette, et peut-être même le scrotum : « …PARCE QUE C’EST NOOOOTREEE PRRROOOOJEEET ! », comme un chanteur de Heavy Métal qui aurait perdu son micro ?
Avant de lever un visage extatique vers le ciel, attendant je ne sais quelle onction mariale, tombée des cintres sur les épaules de l’ange Gabriel ?
Le voilà qui susurre aujourd’hui à l’oreille des Sennheiser et des Sonotones, un sourire niais sur le visage, en s’excusant presque d’être là, d’une voix fluette de premier communiant sous Xanax : « Je suis votre obligé ».
Tu parles, Charles.
Obligé de nous mentir, ça c’est sûr, comme tous ceux qui servent une extrême minorité de riches et doivent pourtant se faire élire par une extrême majorité de pauvres.
Depuis La Boétie, rien de neuf au soleil de la « Servitude Volontaire ».
Il suffisait d’ailleurs de voir, en contre-plongée dans l’ombre, au pied de la scène pailletée, tous les Castex, les Valls et les Bayrou, tous ces vieux crocodiles blancs grenouillant déjà dans leur marigot, pour comprendre que le vieux monde n’allait pas tarder à se rappeler brutalement à nous.

Juste avant cela, en guise de défilé de la victoire, Easy Reader chez les bourges, le cameraman de T1 avait poursuivi en moto la petite Renaud noire présidentielle jusqu’aux grilles de l’Elysée, genre seconde voiture du ménage pour faire les boutiques le samedi, je la prête à ma fille en semaine pour aller à la Fac, à la prochaine élection, on louera une deux-chevaux verte ou une 4L blanche, nous sommes restés des gens très simples.
Je suis peut-être injuste, mais chez Macron, j’ai toujours le sentiment que tout est fake, fabriqué, insincère ; je vois les ficelles et les rouages, je ne vois pas l’humain ; je vois les calculs et les postures, je ne vois pas les convictions ; je vois les écarts de langage, je ne vois pas la profondeur intellectuelle ; je vois l’enfant tyrannique, et pas l’homme bienveillant ; je vois les intérêts de classe, et pas le charme probable du séducteur.
Finalement, ce qu’il y a de plus intéressant chez Macron, c’est sans doute sa femme, qui a bien du mérite à rester sympathique et élégante dans un univers qui l’est si peu.
Oui, toute cette histoire romanesque qui a construit sa destinée. Ce non-dit fondateur. Cette transgression primitive. La formidable force du désir et de la volonté. Car si un adolescent peut épouser sa prof de français, pourquoi ne pourrait-il pas aussi devenir président de la République ? Et de fait.

Mais revenons à notre obligé. Macron sait très bien que, parmi les 58% de voix exprimées qui lui ont donné la victoire, il y a quelques escouades des fameux « castors », celleux qui « ont fait barrage » à Le Pen en choisissant le moins pire des maux entre les deux bulletins de vote proposés.
La moindre des choses était donc de ne pas leur cracher à la gueule dès le premier soir, d’autant qu’il y a des élections législatives dans six semaines, et qu’il reste peut-être là-bas quelques « barrages » à construire au bout des départementales.
Son discours de dimanche était donc un exercice obligé, qu’il avait d’ailleurs déjà pratiqué en 2017, ce qui ne l’a pas empêché ensuite, alors qu’il avait pareillement été élu avec une pelletée des voix « de gauche », de mettre la barre à droite durant tout un quinquennat.

Ceci étant dit, ce résultat du second tour est avant tout pour moi une excellente nouvelle : l’élimination de la candidate néo-fasciste.
Je le dis sans le moindre doute, ni la moindre nuance, ni la moindre hésitation.
Or je reste sidéré de voir combien nombreuses sont les âmes perdues qui, notamment dans la mouvance « antivax », tout en s’affirmant non racistes, parlent du vote Le Pen comme une possibilité, un souhait… voire même, un regret !
Variante un peu plus alambiquée : c’est le gouvernement de Macron qui serait vraiment fasciste, ceux qui ont appelé à voter pour lui sont « complices du système », alors que le Rassemblement National, lui, ne serait qu’un moindre mal exprimant une légitime colère populaire.
Bullshit.
Ces assertions témoignent surtout d’une profonde méconnaissance, et politique, et historique, de ce qu’est vraiment le fascisme. Or cela, même avec un oeil crevé par la police, le gilet jaune Jérome Rodrigues l’a parfaitement compris.

Il y a bien un Michel Onfray, décidément tombé du côté obscur de la force, pour nous expliquer « que Marine Le Pen n’est pas d’extrême-droite ». Ce qui raconte finalement plus de choses sur Onfray que sur Le Pen elle-même. C’est comme ça : chaque génération produit inexplicablement ses petits Doriot, qui naissent dans un camp politique, et finiront par mourir dans l’autre (1).
Il suffit pourtant d’ouvrir n’importe quel brochure du Rassemblement National pour découvrir que la « préférence nationale », c’est à dire le racisme institutionnalisé et l’apartheid d’état, reste le coeur et la colonne vertébrale de tout son programme (2). Avec, à l’avance, la légitimation de toutes les bavures racistes (3).
« Bah! La France est déjà raciste », ai-je parfois lu ici et là.
Mais ce racisme-là est aujourd’hui formellement puni par la loi. Avec Le Pen, il serait au contraire gravé dans la constitution.
Or il y a une différence fondamentale entre avoir du mal à trouver un logement parce qu’on est black ou maghrébin, et envoyer la police vider 650.000 logements sociaux « occupés par des étrangers », comme le prévoit explicitement le programme du Rassemblement National.
Si vous ne la voyez pas vous-même, demandez à vos copains basanés.
Ne pas comprendre cette différence de nature, c’est confondre un tram avec un wagon plombé, une colonie de vacances avec un camp de concentration.
Oui, aujourd’hui, on peut encore se moquer de Macron avec un conte des frères Grimm. Mais pour combattre le Pen, il va vraiment falloir rouvrir les livres d’Histoire.

Claude Semal le 25 avril 2022.

(1) Jacques Doriot fut un dirigeant connu du Parti Communiste Français de 1920 à 1936, avant de devenir une des principales figures du fascisme français et de la collaboration active avec l’Allemagne nazie.
(2) L’ÉBORGNEUR ET LA FILLE DU BORGNE
(3) C’est ce que le programme de Le Pen appelle « la présomption de légitime défense ».

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