MICHEL BÜHLER – 1945 – 2022 par Mohamed Hamdaoui

Michel Bühler m’avait donné envie de devenir Suisse.
Pas seulement pour ses sensibilités sociétales (j’y reviendrai). Mais d’abord et surtout pour son incroyable amour de la langue française. Adolescent, quand j’entendais ses chansons, j’avais immédiatement eu envie d’en lire les paroles. Il n’était pas rare que je passe et repasse en boucle certains de ses disques pour réécrire ses mots si beaux.
Car Michel n’était pas « que » un artiste engagé (j’y reviendrai, patience !), mais un véritable auteur, capable de sublimer les mots et d’éveiller ma suissitude. Un peu comme Ramuz. Ses chansons évoquant la solitude («Quand on est seul, c’est le soir quand on est seul ! ») ou la vie quotidienne (« Cité de carton-pâte ») sont pour moi des bijoux.
Michel avait aussi su avec un talent rare sublimer sa région de Sainte-Croix, dans le Jura vaudois. Et au-delà, ce que les technocrates appellent aujourd’hui la ruralité. « Jean d’En Haut » est peut-être une des plus grandes chansons françaises de tous les temps, mêlant tendresse et drame. Nous avons tous (et toutes, bien sûr !) été un jour dans nos vies été ce « Jean d’En Haut ». Ou alors, nous avons essayé de consoler une personne en détresse.
Mais c’est vrai. Michel Bühler fut aussi un infatigable militant. Il se revendiquait à juste titre de gauche. Une gauche résolue mais non dogmatique. Pour moi, il était surtout aux côtés de celles ou ceux qui avaient la solidarité chevillée au cœur et au corps.
Deux exemples.
Quand certains de mes camarades d’école d’origine italienne étaient victimes de xénophobie dans les années septante, je chantais avec Michel Bühler :
« Dans la chaleur pesante, de la salle d’attente, à Lausanne une nuit, ils sont là vingt ou trente, qui somnolent ou qui chantent, pour passer leur ennui. Ils ne parlent pas mon langage, viennent d’Espagne ou d’Italie. C’est pas par plaisir qu’ils voyagent. »
Quelle cruelle actualité.

Et quelques années plus tard, j’étais Djamel, quand l’ami Michel chantait sur la scène des Faux-Nez de Lausanne ces sincères paroles antiracistes:
«T’en souviens-tu, Djamel, quand tu as débarqué? Les cousins t’avaient dit que c’était la terre promise. On t’a pris tes papiers, on t’a déshabillé. T’as attendu des heures sans même une chemise. Te souviens-tu, Djamel, des regards de mépris des autres voyageurs quand tu as pris le train? Toi, tu voulais sourire et tu n’as pas compris que c’était le commencement d’un nouveau quotidien. »
Un soir, toujours à Lausanne, j’avais bu des coups avec Michel à la Frat, en dessus du Théâtre Boulimie. Sachant que j’étais Touareg d’Algérie, il m’avait demandé des adresses pour se rendre dans le Hoggar. Ma famille l’avait accueilli à bras ouverts. Il était revenu de ce voyage avec dans les yeux toutes les étoiles du désert une nuit sans nuages.
Merci, Michel, pour tout ce que tu nous as apporté.
Nos chemins se sont parfois éloignés. Mais notre phare est reste le même.
Que l’éternité te soit douce.

Mohamed Hamdaoui (sur la page Facebook des Amis de Mihel Bühler)

NDLR : Un visage plus souriant de Michel, qui interprète ici une chanson du chansonnier Gilles en duo avec Sarclo:

 

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